"Je ne me suis pas posé la question" : au procès des viols de Mazan, l'indifférence des accusés vis-à-vis du consentement de Gisèle Pelicot

Six accusés âgés de 26 à 43 ans ont été interrogés toute la semaine sur les faits qui leur sont reprochés. Tous ont livré une version similaire, assurant qu'ils étaient persuadés de se rendre chez le couple Pelicot pour "un trio échangiste".
Article rédigé par Juliette Campion
France Télévisions
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Gisèle Pelicot, au tribunal judiciaire d'Avignon (Vaucluse), le 17 septembre 2024. (CHRISTOPHE SIMON / AFP)

Une quatrième semaine d'audience s'achève, jeudi 26 septembre, au procès des viols de Mazan. Six accusés ont été entendus depuis lundi. Comme l'immense majorité des 51 accusés de ce procès fleuve, Husamettin D., Mathieu D., Joan K., Andy R. et Fabien S. sont poursuivis pour "viols aggravés". Cas unique dans cette affaire, Hugues M., entendu lui aussi cette semaine, comparaît pour "tentatives de viol". Tous encourent jusqu'à vingt ans de réclusion.

A la barre, face à la cour criminelle du Vaucluse, les six hommes ont livré une version similaire, assurant qu'ils étaient persuadés de se rendre chez Dominique et Gisèle Pelicot pour "un trio échangiste", selon les mots d'Hugues M. Une invitation qui s'est transformée en supplice pour la victime, assommée aux anxiolytiques par son mari. Interrogé sur la notion de consentement, chacun a semblé en avoir une connaissance floue, voire l'ignorer totalement.

"Je ne peux pas nier que c'est un viol"

"Personnellement, je n'étais pas au courant", jure Andy R., qui avait 31 ans lorsqu'il est allé à Mazan, le 31 décembre 2018. Cet ouvrier agricole à Carpentras n'avait "rien d'autre à faire ce soir-là". Ses frères ne l'avaient pas convié pour le Nouvel An. "J'étais l'évité, pas l'invité", ironise-t-il devant la cour criminelle du Vaucluse, précisant qu'il est alcoolique depuis l'adolescence et consommateur régulier de cocaïne. La proposition de Dominique Pelicot, formulée quelques heures avant sur le site Coco.fr, lui semble alors attrayante. Il pense qu'il s'agit d'un "délire de couple". Une fois arrivé sur place, le trentenaire aurait pu rebrousser chemin, en découvrant que la victime "ronflait", lui rappelle Stéphane Babonneau, l'avocat de Gisèle Pelicot. Pas suffisant pour arrêter celui qui est alors marié et père de deux enfants. Car l'accusé avait eu "la permission" du mari. Avant se reprendre :

"Enfin, pour moi, elle était d'accord."

Andy R.

devant la cour criminelle du Vaucluse

Mathieu D., que l'on voit imposer de nombreuses pénétrations à la victime inconsciente, sur 16 vidéos retrouvées sur le disque dur de Dominique Pelicot, ne dit pas autre chose. Pour cet ancien boulanger de 53 ans, le simple fait que le retraité lui ait demandé une photo de son visage, pour savoir s'il plairait à son épouse, a suffi à lui faire penser qu'elle était au courant. "Je ne peux pas nier que c'est un viol", finit-il par admettre. Le quinquagénaire fait partie des 14 accusés qui reconnaissent les faits.

"Est-ce qu'un mari peut consentir à la place de sa femme ?"

Pour Joan K., l'avis de Gisèle Pelicot semble n'avoir jamais été un sujet. Ce militaire avait 22 ans lorsqu'il s'est rendu au domicile des Pelicot pour la première fois en novembre 2019, avant d'y retourner en janvier 2020. "Est-ce que vous vous êtes posé la question de savoir si elle était d'accord ?", lui demande Roger Arata, le président de la cour criminelle du Vaucluse. "Je ne me suis pas posé la question une seule fois", reconnaît-il.

Le président cherche à comprendre : "Quand vous avez eu des relations dans le cadre normal, avec votre partenaire, vous avez respecté ses volontés ?" "Oui", assure le jeune accusé, décrit par l'expert-psychiatre comme "une personnalité immature, anxieuse et dépressive". Joan K. vient d'un milieu précaire, trois de ses frères sont morts très jeunes. "Est-ce qu'un mari peut consentir à la place de sa femme ?" insiste le président. "Logiquement non", avance Joan K., sans avoir l'air certain.

"Vous savez que le consentement peut être repris au cours de l'acte sexuel ?"

Antoine Camus, avocat de la partie civile

devant la cour criminelle du Vaucluse

"C'est possible, oui", répond-il d'une voix peu audible. Joan K. assure toutefois avoir découvert la notion "en prison" avec une psychologue.

"On dirait que ta femme est morte" 

Son interrogatoire, très poussif, tranche avec celui d'Husamettin D., 43 ans, plus prolixe. Mais pas plus éclairé en matière d'éducation sexuelle. A la barre, il raconte que Dominique Pelicot l'a appelé avant sa venue pour lui assurer que sa femme était partante pour une soirée échangiste. "Vous n'avez pas demandé à parler à madame ?" demande le président, faussement naïf. "Non, je n'y ai pas pensé", répond le quadragénaire. "Oui, ça aurait été mieux. Mais pour moi, cet appel, c'était une confirmation comme quoi ce couple était réel", assure l'accusé.

Une fois sur place, Husamettin D. constate cependant que Gisèle Pelicot ne réagit pas. "On dirait que ta femme elle est morte !" lance-t-il à Dominique Pelicot. "Tu te fais des films", répond l'autre, avant de la pénétrer à son tour. Sur les 68 images – photos et vidéos – retrouvées par les enquêteurs, plusieurs montrent que l'accusé a imposé des fellations à la victime inerte. 

"Qui donne l'accord ? C'est monsieur ou madame ?"

Roger Arata, président de la cour criminelle du Vaucluse

au procès des viols de Mazan

Sous le feu des questions, l'accusé se justifie : "Je ne suis pas allé loin à l'école, 'à son insu' [du nom de la rubrique sur Coco.fr où Dominique Pelicot postait ses annonces], je ne savais pas ce que ça voulait dire." Et d'ajouter, indigné : "On me traite de violeur, mais je ne suis pas un violeur ! C'est un truc trop lourd à porter pour moi."

"Ce que vous décrivez, c'est un viol par surprise"  

Hugues M. semble plus tranquille. Cet adepte du libertinage, âgé de 39 ans, n'a pas imposé de pénétrations à Gisèle Pelicot, n'ayant pas eu d'érection la nuit des faits, en octobre 2019. Les enquêteurs observent sur les vidéos qu'il a tout de même essayé à plusieurs reprises. "L'ambiance est d'habitude plus chaleureuse, plus accueillante", explique celui qui était en couple au moment des faits. "Donc c'est l'ambiance qui fait l'absence d'érection ? Pas le fait que cette dame dormait la bouche ouverte ?" s'étonne un assesseur.

En revenant sur ses relations antérieures, Hugues M. raconte qu'il lui est arrivé de pénétrer ses compagnes par surprise, dans leur sommeil, assurant qu'elles lui en avaient fait la demande. "Le scénario que vous décrivez là, c'est un viol par surprise", souligne Antoine Camus, avocat de la partie civile. Son ex-compagne, Emilie O., a témoigné à la barre : cette trentenaire s'est notamment souvenue d'une nuit de 2019 où elle s'était réveillée précisément dans cette situation. Hugues M. avait prétexté ne pas s'en être rendu compte, assurant qu'il était en train de rêver.

Convoquée par les enquêteurs, qui lui ont annoncé les faits reprochés à son ex-compagnon, la jeune femme s'était souvenue qu'elle avait été "prise de vertiges" entre septembre 2019 et mars 2020. Elle a porté plainte. Les analyses effectuées pour l'enquête n'ont rien décelé et sa plainte a été classée sans suite, "faute de preuves matérielles". En pleurs face à la cour, elle a toutefois déclaré vivre avec le doute d'avoir elle-même été victime du procédé de soumission chimique employé par Dominique Pelicot.

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