"J'avais la haine envers les femmes" : au procès des viols de Mazan, la cour tente de comprendre la troublante dérive d'Adrien L.

Article rédigé par Juliette Campion
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Adrien L., dans le box des accusés, au procès des viols de Mazan, le 1er octobre 2024. (ELISABETH DE POURQUERY / FRANCEINFO)
Contrairement à bon nombre des autres accusés, ce trentenaire est issu d'un milieu très aisé et assure avoir eu des parents modèles. Mais à l'audience, mardi après-midi, ses avocats ont tenté de bousculer ses certitudes.

"Mon père, c'est ma star. Ma mère, c'est la femme de ma vie. Ma sœur, c'est ma lumière". C'est par cette formule qu'Adrien L. a décrit sa famille à l'enquêtrice de personnalité. Le profil de cet homme de 34 ans détonne avec ceux de ses 50 coaccusés, au procès des viols de Mazan. Ils ont en moyenne 47 ans. Lui avait 24 ans lorsqu'il s'est rendu au domicile de Dominique et Gisèle Pelicot, le 14 mars 2014, pour se livrer à "des attouchements, des tentatives de pénétrations" vaginale et buccale, constatent les enquêteurs sur les vidéos le concernant. 

Contrairement à une part conséquente des accusés, issus de milieux relativement modestes, le trentenaire semble avoir grandi "auprès d'un couple parental très uni et chaleureux" : un père PDG d'une entreprise de plusieurs centaines de salariés dans le bâtiment public et une mère femme au foyer. Il se dit par ailleurs "très proche" de sa sœur, qui a six ans de plus que lui. Quand la psychologue chargée de réaliser son expertise le rencontre, elle trouve le trentenaire "souriant, avenant et très ouvert à l'échange".

Sa mère, entendue mardi 1er octobre devant la cour criminelle du Vaucluse, décrit un enfant "très affectueux", "hyper sensible", "à vouloir toujours faire plaisir", "très marrant", "jamais désagréable". A l'école primaire, on lui détecte une dyslexie, qui "le met en difficulté". Mais grâce au soutien d'une orthophoniste, "il a avancé", assure cette femme de 63 ans. Alors, que fait Adrien L. dans le box des accusés ? 

"Une trahison" de son premier amour 

Pour lui, le point de bascule est très clair : il l'attribue à "une trahison" de son premier amour. "Elle est tombée enceinte à 16 ans, moi j'avais 18 ans", raconte le jeune homme lors de son interrogatoire de personnalité, mardi. "Je l'ai un peu vue comme ma mère, qui est tombée enceinte très tôt, et je voulais avoir le même parcours que mes parents", confie-t-il d'une voix douce, presque mielleuse, louant leur vie "magnifique". Adrien L. ne manque pas de superlatifs pour évoquer ses géniteurs, qui n'ont pas caché leur désapprobation de voir leur fils devenir père si jeune. 

Mais lui tient bon et refuse que sa compagne avorte,"envers et contre tous", note l'enquêtrice de personnalité. Sa fille naît en 2009. Adrien L. a tout juste 19 ans. Lorsqu'elle a 3 ans, il décide de faire un test de paternité, sous la pression de ses parents. Il était parti en apprentissage tout l'été quand sa conjointe est tombée enceinte.  

"Ils n'ont pas arrêté de me dire que quelque chose ne collait pas au niveau des dates."

Adrien L.

devant la cour criminelle du Vaucluse

Le jeune homme découvre alors qu'il n'est pas le père biologique de la fillette. Dès lors, les relations se dégradent considérablement avec sa compagne. "J'avais la haine envers les femmes", analyse-t-il aujourd'hui, estimant qu'"il y a eu un avant et un après". "A partir de ce moment-là, j'ai multiplié les rencontres". Il fait très vite la connaissance d'une autre femme, qui tombe enceinte dans la foulée. Adrien L. met plusieurs mois à annoncer la nouvelle. "Celui-là, c'est bien le mien !", finit-il par dire à ses parents. 

Pendant toute la grossesse de sa compagne, il se montre "ordurier" envers elle. "Il pouvait la traiter de pute", relate l'enquêtrice de personnalité qui a échangé avec celle-ci. Son fils naît en mars 2014. Dix jours avant, Adrien L. se rendait au domicile du couple Pelicot.

Une phrase synonyme de traumatisme 

Durant cette période, l'experte psychologue estime que le jeune homme a eu "une sexualité exacerbée et non contrôlée", notant qu'"il ne parvient pas à rejeter l'autre, et que la notion de frustration est chez lui inexistante". Le jeune accusé lui a déclaré avoir "tout essayé niveau sexuel", en fréquentant notamment les clubs échangistes et libertins. Quant à l'enquêtrice de personnalité, elle tique sur une de ses déclarations. L'accusé lui confie sa "grande peur des MST [maladies sexuellement transmissibles] et ajoute avoir une aversion pour la saleté". 

"J'ai l'impression de tomber en morceaux si je ne me lave pas."

Adrien L.

à l'enquêtrice de personnalité

Cette phrase l'intrigue particulièrement. "Est-ce que vous avez été victime de quelque chose ?", lui demande-t-elle, pensant déceler le "signe post-traumatique" d'une agression. La volonté de "se laver" étant classique chez les victimes de violences sexuelles, "pour essayer de faire disparaître" ce qu'elles ont vécu. Et si le point de bascule d'Adrien L. n'était pas celui qu'il donnait à voir jusqu'ici ? 

"On ne va pas revenir dessus", lui répond sèchement l'intéressé. A la barre mardi après-midi, sa sœur, extrêmement émue, confirme avoir eu connaissance des faits "en 2018-2019, au moment où il s'était mis à consulter un psy". Son petit frère avait 8 ans quand un cousin s'en est pris à lui. "Il me l'a appris un soir, par SMS", explique-t-elle. Il finira par venir chez elle pour en discuter. "J'ai dit qu'on le soutiendrait. Il a répondu qu'il ne voulait pas, donc je ne me suis pas sentie d'aller contre ce qu'il voulait. J'aurais peut-être dû", dit-elle, la voix entrecoupée par les larmes, affirmant se sentir "responsable" du sort de son petit frère. 

Un environnement familial "trop lisse" 

Leur mère apparaît plus en retenue quand un assesseur soulève le sujet. "Il nous en a parlé très très tard. Il le vivait comme une honte et ne voulait pas nous blesser", avance-t-elle, visiblement gênée. "C'est son côté protecteur", ajoute la sexagénaire, insistant sur le fait que son mari "en souffre énormément", au point qu'il "s'en est rendu presque responsable. Il a d'ailleurs arrêté de travailler brutalement", souligne-t-elle.

Mais Guillaume de Palma, l'avocat d'Adrien L., n'entre pas en empathie avec la mère de son client. "L'environnement était peut-être trop lisse chez vous, pour que ce genre de chose puisse être dite", suggère-t-il. "Oui, je pense, mais si on l'avait su petit...", tente d'expliquer la femme, coupée dans sa réponse. "Quand bien même les choses auraient été dites, quand il était plus petit, est-ce que ça aurait changé grand-chose ?", l'interroge le conseil. "Peut-être pas", reconnaît-elle d'une voix à peine audible.

Alexia Berard, l'autre avocate de l'accusé, n'en reste pas là, et revient sur le test de paternité concernant la fillette, décédée en 2020 d'un accident de la route. Pourquoi a-t-elle tant insisté pour que son fils fasse ce test ? La sexagénaire tente de se justifier, et finit par lâcher : "J'avais besoin de savoir". "Pourquoi ? Ce n'était pas votre enfant, mais celui de votre fils", rétorque l'avocate. "Je ne sais pas... On protége toujours ses enfants", justifie-t-elle. "Vous ne pensez pas que découvrir cela a pu entrainer chez lui des difficultés, que ça a pu altérer sa construction psychologique ?", poursuit Alexia Berard. "Il avait donné sa confiance à une personne qui l'a trahi", se défend la mère d'une voix tremblante. 

"Mon père aurait été pompier, j'aurais été pompier"  

Adrien L. l'observe avec un regard immensément tendre, la tête posée contre son box, comme un petit garçon. En décalage total avec la tension qui règne dans la salle d'audience pendant cet échange. Sa mère vient d'être égratignée par ses propres avocats. "Jamais je ne critiquerai mes parents", continue pourtant à soutenir l'accusé lors de son interrogatoire. Pas même son père, qui n'a pourtant "pas voulu qu'il travaille avec lui" dans l'entreprise familiale, quand bien même Adrien L. avait fait des études dans le BTP pour l'imiter. 

"Vous avez souffert de cette dévalorisation ? Vous exprimez la plus grande gratitude à votre père, mais jusqu'à quand ?", l'interroge son conseil. "Depuis que je suis en âge de décider, je fais comme lui. Mon père aurait été pompier, j'aurais été pompier", répond Adrien L., qui n'en démord pas. L'enquêtrice de personnalité s'est demandé s'il ne devrait pas quitter le Vaucluse, en sortant de prison, pour se défaire de cette figure paternelle omnipotente.

"De toute façon, où que j'aille, quoi que je fasse, je me réfère à mon père."

Adrien L.

face à la cour criminelle du Vaucluse

Lorsque les enquêteurs l'ont identifié courant 2021 comme l'un des 72 hommes qui se sont rendus à Mazan, le jeune homme était déjà incarcéré depuis octobre 2020 au centre pénitentiaire du Pontet, près d'Avignon, dans le cadre d'une autre procédure, pour des faits de violences et de viols sur trois anciennes compagnes. Il a été définitivement condamné en appel en janvier à quatorze années de réclusion dans ce dossier. "J'ai touché le fond, je ne peux que rebondir", assure-t-il, soulignant avoir "travaillé sur lui". Jusqu'à présent, Adrien L. a affirmé ne pas "croire à l'absence de consentement" de Gisèle Pelicot. Il sera entendu en fin de semaine sur les faits.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.