"J'ai adoré cet homme" : au procès des viols de Mazan, le gendre de Dominique Pelicot raconte la déflagration après avoir appris "l'inimaginable"

Article rédigé par Juliette Campion
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Pierre P. devant la cour criminelle du Vaucluse, à Avignon, le 8 octobre 2024. (BENOIT PEYRUCQ / AFP)
A l'issue de sa déposition, ce rédacteur en chef de BFMTV a été pris à partie par une avocate de la défense, lui reprochant de prendre part à un "tribunal médiatique" contre les accusés.

"J'étais son gendre, cet homme n'existe plus pour moi". Les mots sont lâchés d'un trait. Dans le sillage de son épouse Caroline Darian, Pierre P. est venu livrer son témoignage devant la cour criminelle du Vaucluse, mardi 8 octobre. L'homme de 52 ans traverse la salle d'audience jusqu'au pupitre et n'adresse pas un regard à son beau-père, Dominique Pelicot, qui l'observe attentivement depuis son box.

Pourtant, lui et le principal accusé du procès ont longtemps été très proches. "Je suis arrivé dans cette famille en novembre 2003, il y a plus de vingt ans. J'ai adoré cet homme, on avait des passions communes, notamment le sport. On passait énormément de temps ensemble quand j'allais les voir", déclare Pierre P. d'une voix posée, vêtu d'un costume gris. Mais depuis le déménagement de Gisèle et Dominique Pelicot à Mazan en 2011, où le couple s'était installé pour la retraite, ce dernier "venait progressivement de moins en moins" en région parisienne.

"Quand ma belle-mère rentrait dans le Vaucluse, on avait beaucoup de mal à la joindre. C'est lui qui répondait au téléphone", se souvient Pierre P., racontant la douloureuse descente aux enfers de la septuagénaire, qui s'est radicalement amaigrie, en proie à des absences à répétition. "Quand enfin elle répondait au téléphone, elle disait qu'elle dormait, y compris en plein jour, car elle était très fatiguée", poursuit-il, regrettant d'avoir cru "à la thèse perverse" de son beau-père, qui expliquait que son épouse était épuisée parce qu'elle s'occupait trop de ses petits-enfants.

Pour illustrer l'état de sa belle-mère, il relate une conversation téléphonique de janvier 2020. C'est son fils, alors âgé de 6 ans, qui appelle Gisèle Pelicot au téléphone. Celle-ci lui dit : "Tu vas retrouver maman dans son lit, lui faire des petits bisous." Le petit répond : "Ben non, maman, je l'ai retrouvée hier." Quelques secondes plus tard, la retraitée répète : "Tu vas retrouver maman, tu vas lui faire des petits bisous dans son cou." Le petit garçon raccroche, décontenancé.

"Son petit-fils n'a plus rien à lui dire"

"Je comprends maintenant que son seul objectif, c'était de la garder sous son joug", pointe Pierre P. Il décrit la journée du 2 novembre 2020, lorsqu'ils apprennent l'impensable – "le point de bascule", disait Caroline Darian à sa place quelques semaines plus tôt. Il est le premier à être au courant : c'est Gisèle Pelicot qui lui annonce. "Le ciel vous tombe sur la tête". Il se précipite chez le kiné, avec qui il avait rendez-vous. "J'étais en retard : je me suis écroulé par terre", raconte-t-il sans s'attarder. "Depuis, je me suis relevé."

Le soir, Pierre P. apprend la terrible nouvelle à sa femme. "Le cri s'est transformé en une colère qui la ronge", notamment après la découverte de deux photos d'elle dénudée sur le disque dur de son père.  Caroline Darian a fondé l'association M'endors pas : stop à la soumission chimique pour aider les victimes. "Elle s'est lancée à corps perdu dans la bataille contre la soumission chimique, de manière incroyablement courageuse, observe son mari. Mais ce sont des hauts et des bas en permanence."

Il explique à son fils qu'il ne pourra plus voir son grand-père, qu'il adorait. Tous deux se chambraient régulièrement, l'enfant étant pour le PSG, son papi pour l'OM. Dans son box, Dominique Pelicot se cache les yeux. "Je dis à mon fils : 'On peut aller voir un gentil médecin', poursuit Pierre P. Il dit d'abord que non, qu'il n'a pas besoin. Puis trois semaines après, il dit à sa mère : 'En fait, si, j'en ai besoin'." Le petit garçon a vu un psychologue pendant deux ans.

Avant de venir déposer au tribunal, Pierre P. raconte avoir demandé à son fils, qui a désormais 10 ans, s'il souhaitait que quelque chose soit dit de sa part à son grand-père. Le petit garçon y a réfléchi : il semblait vouloir lui transmettre un message. Son père lui en reparle quelque temps plus tard. "J'ai changé d'avis", dit l'enfant. "Pourquoi ?", demande Pierre P. "Parce que je n'ai plus rien à lui dire", rétorque-t-il. "Son petit-fils n'a plus rien à lui dire", répète son père à la barre.

"Vous perdez la tête, consœur" 

Antoine Camus, l'avocat de Gisèle Pelicot, lui demande pourquoi il ne s'est pas constitué partie civile. "J'ai vécu quelques épreuves : le suicide de ma mère. Puis j'ai perdu mon père dans des circonstances à peu près aussi monstrueuses", explique-t-il. "Ces épreuves m'ont permis de développer une auto-défense extrêmement utile quand j'ai appris les faits. Donc je me suis protégé très fort."

Nadia El Bouroumi, avocate de la défense, relaie la parole de plusieurs accusés. "Ils demandent [à propos de Gisèle Pelicot] : 'Comment n'a-t-elle pas pu se rendre compte ?'" Elle ajoute : "On entendait que la famille s'inquiétait, des rendez-vous avaient été pris, et avec une simple analyse de sang, on aurait déterminé la présence de Temesta, Zolpidem..."

"Vous oubliez quelque chose : on ne peut pas imaginer l'inimaginable".

Pierre P., genre de Gisèle et Dominique Pelicot

devant la cour criminelle

L'avocate poursuit et revient sur le sujet de sa non-constitution de partie civile, assurant que c'est elle qui a communiqué l'information à son confrère, Antoine Camus, "pour qu'il vous pose la question". "Vous perdez la tête consœur !", lâche l'avocat de Gisèle Pelicot, visiblement pris de cours.

Mais l'intéressée poursuit et hausse fortement le ton, comme à l'accoutumée. Elle attaque violemment Pierre P., lui reprochant le parti pris de BFMTV, la chaîne d'information pour laquelle il travaille, en tant que rédacteur en chef pour la matinale. Elle l'accuse "d'entretenir le tribunal médiatique" contre la défense. "Vous vous permettez de communiquer beaucoup sur ce procès, car vous êtes l'époux de Caroline Darian !", estime Nadia El Bouroumi, lui reprochant de s'être opposé au huis clos pour la diffusion des vidéos des accusés. "Est-ce qu'on n'est pas victimes de votre position qui porte à confusion ?", interroge-t-elle. 

"La presse est utilisée par la partie civile !"

L'audience prend un autre tournant. La salle se tend. Pierre P., étonnamment calme, livre une longue explication et assure que la direction de BFMTV est au courant de ses liens avec l'affaire, qu'il travaille avec des "n+1, n+2, n+4", qu'il est loin d'être le seul à prendre des décisions. "Il y a l'individu journaliste, comme l'individu avocat. Parfois, je suis totalement écœuré par votre ligne de défense en tant qu'individu. Mais le journaliste la comprend et la respecte et les avocats de la défense ont toujours eu voix au chapitre sur la chaîne", estime-t-il. 

Mais elle revient à la charge. "L'intégralité de l'info sur votre chaîne a été depuis ce mois orientée vers le fait que nos clients sont des monstres, que les avocats sont des monstres, et la présomption d'innocence n'existe pas !", hurle-t-elle. L'avocate générale intervient, très agacée, estimant "que l'on s'éloigne du débat". "Ce procès pose un vrai problème sur le plan de la communication !", insiste Nadia El Bouroumi. "Vous faites le procès de la presse !", s'indigne à son tour Antoine Camus. "La presse est utilisée par la partie civile !", rétorque l'avocate. 

Le président tente de reprendre le contrôle, avec difficulté, l'appelant à "recentrer ses questions sur les thématiques qui intéressent l'affaire". Elle poursuit sa diatribe au sujet des médias puis finit, après de longues minutes de tension, par revenir à des interrogations en lien avec le dossier.

Après les questions de la défense, Dominique Pelicot demande à prendre la parole, pour parler à son gendre. Il descend de sa chaise habituelle, en surplomb, pour s'asseoir tout en bas du box. "Pour moi, tu as été comme un fils", articule-t-il en pleurant. "Personne n'est responsable dans la famille, essayez de vous délester de ça, je suis le seul responsable", assure le septuagénaire. Pierre P. le regarde, puis finit par se détourner. Il boit un grand verre d'eau à la fin de la déclaration de Dominique Pelicot, avec lequel il n'avait plus eu de contacts depuis 2020. 

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