Au procès des viols de Mazan, le cas à part de Jean-Pierre M., accusé d'avoir drogué et violé son épouse avec Dominique Pelicot
"Ce que j'attends, c'est de savoir pourquoi il a fait ça, c'est inconcevable. C'était quelqu'un de merveilleux. Il nous a anéantis". En larmes, l'épouse de Jean-Pierre M. est venue raconter, mercredi 11 septembre, les actes inimaginables de ce mari dont elle porte encore le nom. Comme un écho au récit glaçant de Gisèle Pelicot six jours plus tôt, devant la même cour criminelle départementale du Vaucluse, à Avignon. Cette fois-ci, la victime n'est pas la retraitée de Mazan, mais une petite femme aux cheveux courts, les yeux embués derrière ses lunettes.
Elle paraît minuscule dans la salle d'audience pleine à craquer. Jean-Pierre M. est le seul des 50 coaccusés de 26 à 74 ans à ne pas être poursuivi pour viol sur Gisèle Pelicot. Il doit en revanche répondre de viols sur sa propre épouse, certains en compagnie de Dominique Pelicot, sur une période de cinq ans.
Manifestement tiraillée entre l'horreur des faits et l'attachement, la témoin de 53 ans assure n'avoir "jamais eu à dire quoi que ce soit" contre celui qu'elle décrit comme un "adorable père". Elle a refusé de porter plainte, malgré l'insistance des policiers. Elle ne s'est pas non plus constituée partie civile pour "protéger" leurs cinq enfants. "Ils ont assez morflé et ils aiment leur père, car avant tout ça, c'était quelqu'un de gentil, de formidable", insiste-t-elle.
"J'ai encore de l'affection pour lui", ajoute-t-elle en pleurs, après s'être retournée vers le box pour faire face à l'homme qu'elle a épousé en 1997. Quelques mètres les séparent. Lui se lève, la regarde. Le temps se fige quelques instants dans la salle d'audience. C'est la première fois que Jean-Pierre M. revoit son épouse depuis son interpellation, le 8 mars 2021. Toute la famille était présente quand la police est venue l'arrêter, à la surprise générale. Face aux policiers, Jean-Pierre M. a dit mériter "la prison à vie, comme Dominique Pelicot".
Douze scènes sexuelles
Comme Gisèle Pelicot, son épouse s'est retrouvée sidérée devant les photos d'elle nue et visiblement endormie que lui présentaient les enquêteurs. Elle ne s'endormait pourtant jamais dévêtue. Ces clichés ont été découverts plusieurs mois auparavant, sur le disque dur de Dominique Pelicot, saisi lors d'une perquisition à son domicile. Selon les enquêteurs deux hommes se sont rencontrés sur le site Coco, sous les pseudonymes de "dompteur" ou "pervers" pour le retraité de Mazan, et "Rasmus" ou "Pierre" pour Jean-Pierre M. A plusieurs reprises, Dominique Pelicot a invité le père de famille à venir violer son épouse, ce que son interlocuteur refuse. L'histoire aurait pu s'arrêter là. Mais le schéma s'est inversé.
Dominique Pelicot a expliqué à Jean-Pierre M. son procédé pour endormir sa femme, avant de lui proposer d'en faire de même. Il lui a remis des cachets de puissants anxiolytiques, les mêmes que ceux utilisés pour droguer Gisèle Pelicot. Jean-Pierre M. a commencé par lui administrer "un cachet et demi", selon le récit qu'il fait au psychiatre Laurent Layet, qui a procédé à son expertise. Il craignait, a-t-il assuré, de mettre en danger la mère de ses enfants en recourant à une dose trop élevée. Mais son épouse ne dormant pas assez profondément, Jean-Pierre M. a augmenté les doses.
Au total, la PJ d'Avignon a dénombré — photos et vidéos à l'appui — 12 scènes sexuelles impliquant l'épouse de Jean-Pierre M., dont "au moins trois d'entre elles avec Dominique Pelicot", a déclaré le commandant Stéphan Gal, l'un des directeurs d'enquête, lors de sa déposition devant la cour. Les sévices ont débuté en 2015 et se sont achevés une nuit de juin 2020, lorsque la victime s'est réveillée en sursaut. "Je vois un homme debout contre la fenêtre, avec une lampe qui clignote, mon mari à côté de moi. Je demande qui c'est, je n'ai pas le temps de me lever : le monsieur est déjà parti", se souvient l'épouse de Jean-Pierre M. à la barre. Elle demande des explications. "C'était pour voir mes sous-vêtements", bredouille-t-il. "Ce que je ne crois pas, bien sûr. Puis, il se perd dans ses mensonges, me dit qu'il a fait venir cet homme pour trouver une excuse pour divorcer. Je ne croyais pas tout ça, évidemment. Mais de là à me douter que ce soit des viols... Non, c'était impensable", assure-t-elle, précisant s'être réveillée habillée. "Rien ne me faisait dire que quelque chose s'était passé."
"Il faut dire quelle était notre vie"
Tous les proches de Jean-Pierre M. entendus par la cour le décrivent comme extrêmement pudique. Son épouse souligne qu'il allait jusqu'à se doucher la porte fermée à clef, pour ne pas être vu. "Quand j'étais petit, il ne me faisait pas pisser", explique son fils aîné, cité lui aussi comme témoin. "Il ne nous a jamais fait prendre une douche", ajoute sa fille.
L'homme de 63 ans, aujourd'hui retraité, a par ailleurs gardé secrète une grande partie de son enfance. Il disait simplement avoir été élevé "au milieu des cochons" avec qui il "courait dans les bois". Avant-dernier d'une fratrie de dix enfants, ayant grandi dans une ferme, au sein d'une famille très pauvre, Jean-Pierre M. a en réalité été élevé par une mère alcoolique. Les enfants étaient battus,"attachés nus à des arbres pendant toute la nuit", rapporte son avocat, Patrick Gontard. "Ils se réfugiaient dans les clapiers des lapins" pour échapper au père.
Devant la juge d'instruction, Jean-Pierre M. a confié avoir été victime d'inceste, ce qui semble avoir été le cas de tous les enfants de la famille. Auparavant, l'accusé avait été incapable d'en parler au psychiatre qui l'avait expertisé durant quelques mois. L'un de ses frères a levé le secret. "Ça suffit, maintenant, il faut dire ce qu'était notre vie", a-t-il lancé à l'enquêtrice de personnalité. Son épouse n'en savait rien. "Ce sont des scènes atroces qu'il a vues. Comment voulez-vous que ça ne ressurgisse pas après ?", lâche-t-elle à l'audience.
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