A Rennes, une mère jugée pour avoir caché son fils adolescent depuis sa naissance
Y a-t-il eu des maltraitances de la part de Stéphanie, 48 ans, envers son fils de 14 ans ? C'est ce que va tenter de déterminer le tribunal correctionnel de Rennes (Ille-et-Vilaine), jeudi 5 octobre, qui devra statuer sur une affaire devenue médiatique en mai dernier après la publication d'un article de Ouest-France affirmant qu'une mère avait caché l'existence de son fils famélique depuis sa naissance. La garde de l'adolescent, baptisé Pierre-Alexandre dans les médias (un pseudo), lui a été retirée à l'été 2022 : il a depuis été placé dans un foyer de l'Aide sociale à l'enfance. Stéphanie nie toute négligence et n'a pas hésité à se défendre, à visage découvert, sur les plateaux de télévision.
L'affaire débute en juillet 2022, lorsque Stéphanie se présente aux urgences avec son fils, qui aurait été pris d'un malaise, selon elle. Sur le plateau de l'émission "Touche pas à mon poste", elle expliquera qu'il a été "victime d'un choc anaphylactique" après avoir ingéré des pastilles pour la gorge.
D'emblée, les médecins s'alarment de l'extrême maigreur de l'adolescent, qui pèse 27 kg et mesure 1,47 m, selon le parquet de Rennes, soit la moitié du poids moyen d'un jeune de son âge. Inquiets, ils saisissent les services sociaux. Selon Ouest-France, ils découvrent aussi "un retard de développement intellectuel" et des difficultés à s'exprimer.
Jamais scolarisé ni vacciné
Les médecins confient Pierre-Alexandre à l'unité d'accueil pédiatrique enfants en danger (Uaped). Les pédiatres et les pédopsychiatres qui la composent décident très vite de procéder à un signalement judiciaire. Les autorités se rendent compte que l'adolescent n'a pas de médecin traitant. Lors de sa naissance aux Philippines, d'un père inconnu, il a bien été déclaré à l'ambassade de France mais n'a par la suite jamais été scolarisé et n'a pas été vacciné.
Le 4 juillet 2022, le parquet retire à Stéphanie la garde de son fils, via une ordonnance provisoire de placement auprès de l'Aide sociale à l'enfance, qui sera ensuite renouvelée. La mère de l'adolescent est placée une première fois en garde à vue et une enquête préliminaire est immédiatement ouverte par le parquet. Dix mois plus tard, en mai 2023, elle est de nouveau gardée à vue et placée sous contrôle judiciaire, en attendant son procès.
Aucune demande d'instruction à domicile
Mais Stéphanie dénonce "le jugement des médecins" et assure avoir toujours "donné à manger suffisamment" à son fils. Sur France Bleu, elle jure que l'enfant "ne s'est jamais endormi le ventre vide". Ce dernier, que Le Figaro a pu rencontrer, assure de son côté : "A la maison, si j'avais un petit creux, je pouvais prendre ce que je voulais."
D'après Emmanuel Ludot, l'avocat de la mère, contacté par franceinfo, Pierre-Alexandre "défend sa mère bec et ongles". Selon la défense, "le système scolaire ne lui convenait pas et Stéphanie avait suffisamment de bagage intellectuel pour pouvoir s'en occuper". Cette dernière a opté pour l'instruction à domicile, sans pour autant avoir demandé l'autorisation de l'Education nationale.
Elle assure toutefois avoir instruit son fils de manière autonome. "Nous étions très souvent à la bibliothèque, au musée, au théâtre, au cinéma, allant voir des expositions", a-t-elle décrit sur BFMTV. "Il a des acquis qui sont parfois supérieurs à un enfant qui va à l'école, et il y a certaines matières où, n'ayant pas été sur une éducation scolaire à proprement parler, il a moins de connaissances", a-t-elle poursuivi sur le plateau de "Touche pas à mon poste".
Quant à son retard de langage, elle a assuré dans l'émission de Cyril Hanouna que son fils était "au contraire très connu pour avoir un très bon niveau d'élocution" et "très à l'aise en dialogue". "Il a un phrasé spécieux, du vocabulaire, il est très drôle et connu comme un garçon atypique", glisse de son côté Emmanuel Ludot.
"Il sortait tous les jours, il avait des amis de son âge, des enfants d'amis."
Stéphanie, la mère de Pierre-Alexandresur le plateau de "Touche pas à mon poste"
Selon les informations de Ouest-France, Pierre-Alexandre aurait passé la plus grande partie de son temps enfermé chez lui, ce que l'adolescent et sa mère démentent fermement. "J'avais un environnement très riche, j'allais chez des antiquaires, chez des libraires, je faisais des activités que j'aimais", a-t-il assuré au Figaro, ajoutant qu'il "participait à des tournois de cartes Pokémon, par exemple. C'est dans ce genre d'endroits que je me suis fait des copains de mon âge."
Une décision de placement confirmée plusieurs fois
Il ne s'agit pas, selon Emmanuel Ludot, d'un contexte de "misère morale et sociale", sa cliente étant "issue d'un milieu aisé" et n'ayant pas de "volonté de dissimuler" son enfant. "Mais il a une peur de l'extérieur, une peur du monde et donc une vision manichéenne du monde", avait analysé l'avocat en mai auprès l'AFP. "Je suis aux petits soins pour mon enfant. On vit juste simplement et de façon heureuse, parce qu'on a droit à notre vie, comme tout un chacun", s'est aussi défendu Stéphanie sur France Bleu.
"C'est un enfant qui est très proche de sa mère, avec laquelle il n'y a aucune coupure, pas d'émancipation, il est resté petit garçon", détaille Emmanuel Ludot, décrivant une "relation fusionnelle".
"Bien sûr que sa mère a un rôle à jouer dans cet état de fait mais pour autant, est-ce que cela relève de la qualification pénale ? Toute la question est de savoir s'il y a eu une faute de sa part."
Emmanuel Ludot, avocat de Stéphanieà franceinfo
Contacté par franceinfo, le procureur de la République de Rennes, Philippe Astruc, ne peut en dire davantage sur "ce qui a conduit au placement" de Pierre-Alexandre, mais assure "avoir des éléments très détaillés" et insiste sur le fait que l'adolescent "présentait un état de danger majeur". "Pas moins de quatre décisions judiciaires ont été prises par trois autorités différentes", qui ont considéré que la situation justifiait le placement, relève-t-il.
Le juge des enfants a en effet confirmé l'ordonnance de placement du parquet de Rennes par un jugement du 18 juillet 2022. La cour d'appel de Rennes a ensuite pris la même décision dans un arrêt du 13 février 2023. "Le juge des enfants a, dans un long jugement particulièrement motivé, prolongé cette mesure par un jugement du 26 avril 2023", note le procureur.
Stéphanie s'apprête donc à être jugée pour "soustraction par un parent à ses obligations légales compromettant la santé, la sécurité, la moralité ou l'éducation de son enfant" et "privation de soins ou d'aliments compromettant la santé d'un mineur de 15 ans par ascendant ou personne ayant autorité". Elle encourt une peine de sept ans de prison et 100 000 euros d'amende.
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