Reportage "On a perdu à une voix la dernière fois" : en Seine-et-Marne, les espoirs de la gauche face à un député sortant macroniste

La campagne des législatives bat son plein dans ce territoire d'Ile-de-France parfois décrit comme "une mini-France". Le candidat du Nouveau Front populaire tente de ravir le siège au camp présidentiel, mais le RN entend perturber le duel annoncé.
Article rédigé par Margaux Duguet
France Télévisions
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Le candidat du NFP, Arnaud Bonnet, sur le marché d'Ozoir-la-Ferrière (Seine-et-Marne), le 22 juin 2024. (MARGAUX DUGUET / FRANCEINFO)

La météo est à l'image de la 8e circonscription de Seine-et-Marne : incertaine. Sous une pluie battante, Arnaud Bonnet, enseignant en SVT au collège, débute cette nouvelle matinée de campagne, samedi 22 juin. Le candidat du Nouveau Front populaire (NFP), qui confie "dormir trois heures par nuit", est venu accueillir à la gare d'Ozoir-la-Ferrière des militants arrivés de Paris. Ils ne s'étaient pas déplacés lors de la campagne des législatives de 2022, mais cette fois, les partis de gauche ont envoyé du renfort pour les élections anticipées, prévues le 30 juin et le 7 juillet. "Désolé pour le temps, c'était pas prévu, comme la campagne", sourit-il.

Il y a deux ans, ce père de deux enfants, âgé de 47 ans, et encarté chez les Ecologistes, avait porté les couleurs de la Nupes et échoué à 4 voix – ramenées à une voix par le Conseil constitutionnel – face au candidat Renaissance, Hadrien Ghomi. "Non, ce n'était pas difficile à digérer, je ne me suis pas lancé en politique pour avoir un poste", évacue-t-il. Mais ses soutiens n'ont pas oublié. "On avait tous été déçus de passer si près du but, c'était frustrant", confie Smaïl Djebara, conseiller départemental PS de Seine-et-Marne. Sur la route qui le mène de la gare au marché, Arnaud Bonnet est vite interpellé par une jeune mère de famille, qui lui propose son aide. "J'avais voté pour vous, il y a deux ans. J'étais au bout de ma vie en voyant les résultats, surtout quand une copine m'a dit qu'elle avait voté pour l'autre, sans trop savoir !"

Cette fois, cette électrice est remplie d'espoir, face à un camp présidentiel en pleine déroute et un bloc de gauche qui a totalisé, en additionnant les différents candidats, 36,6% aux élections européennes dans la circonscription. "C'est une mini-France", selon un ancien élu du coin. "A la fois du point de vue de la sociologie, mais aussi du point de vue électoral, puisque c'est une circo qui est toujours du côté de la majorité nationale, depuis 1981", souligne-t-il. 

"Chaque voix compte"

La pluie ruisselant sur le visage, Arnaud Bonnet dresse le portrait de son territoire. "Ici, il y a des quartiers pavillonnaires, des quartiers populaires et des villages". Vingt-deux communes, 154 000 habitants. L'écologiste pointe "le gros problème des transports quotidien" et des fins de mois difficiles. "Il faut résoudre toutes les angoisses du quotidien et ensuite avancer sur les transitions écologiques", dit-il. Le temps automnal a eu raison des quelques clients du marché d'Ozoir. Le candidat et ses militants décident de filer faire du porte-à-porte dans le quartier populaire Anne-Franck qui concentre les logements sociaux.

Un panneau à l'effigie du candidat de la gauche, Arnaud Bonnet, dans le quartier Anne Franck, à Ozoir-la-Ferrière (Seine-et-Marne), le 22 juin 2024. (MARGAUX DUGUET / FRANCEINFO)

"C'est très compliqué ici, et c'est pour ça qu'on y va, il y a beaucoup d'abstention et de votes pour le RN", assure Arnaud Bonnet. "Ça va mal en ce moment", articule difficilement un premier habitant, sur le pas de sa porte. "Ils essayent de me virer de chez moi, j'y suis depuis 2001." La discussion tourne autour de l'allocation adulte handicapé (AAH) que perçoit cet électeur un peu perdu. "Nous, on veut la porter au niveau du Smic", embraye immédiatement Arnaud Bonnet, qui ne manque pas de rappeler les enjeux dans la circonscription. "On a perdu à une seule voix, chaque voix compte", glisse-t-il en lui tendant un tract. 

Quelques portes plus loin, Ivan, 29 ans, ingénieur en maintenance, n'a pas voté aux européennes, mais pourrait cette fois-ci voter pour les législatives. "Je voterai pour la gauche, pour qu'on ne bascule pas avec le RN. Les macronistes ? Vu le désordre, c'est non." Il est 11 heures, et il est temps de retourner sur le marché. La pluie a laissé la place à un ciel voilé, les clients sont plus nombreux. Nicole, 75 ans, de gauche mais farouche opposante à Jean-Luc Mélenchon, entoure le candidat du NFP. "J'ai voté pour vous la dernière fois, je suis optimiste. Les gens vont se dire que les écolos, c'est pas Mélenchon ! Et puis, ils en ont marre de Macron."

"Quelle idée farfelue !"

Macron, voilà un nom que le député Renaissance sortant Hadrien Ghomi se garde de prononcer. Le trentenaire mise sur son ancrage local pour assurer sa réélection, lui qui avait été envoyé il y a deux ans dans cette circonscription qu’il n’habitait pas, même s’il est natif et a grandi dans le département. L'image du président de la République, écornée, crée "un effet repoussoir", constatent de nombreux candidats Renaissance. "Hadrien peut créer l'exploit deux fois, il est de dimension olympique !, s'enflamme son ancien employeur, le patron des sénateurs du camp présidentiel, François Patriat. On l'avait envoyé en mission difficile et il a fait un travail extraordinaire, beaucoup de terrain, même s'il est conscient, comme moi, que face à une déferlante, c'est très difficile. Mais, il est très apprécié des maires".

C'est d'ailleurs le premier argument dégainé par Hadrien Ghomi, rencontré à la fête du sport de Thorigny-sur-Marne. "J'ai 15 maires sur 22 qui me soutiennent alors que j'en avais seulement trois en 2022". Parmi ces édiles, des élus encartés chez LR, qui n'a pas envoyé de candidat face au député sortant. Il est passé 14 heures et le soleil brille de nouveau.

Le député sortant Renaissance, Hadrien Ghomi, discute avec deux adeptes de la marche nordique, lors de la fête du sport de Thorigny-sur-Marne (Seine-et-Marne), le 22 juin 2024. (MARGAUX DUGUET / FRANCEINFO)

Le maire (Divers centre) de la ville déboule à l'entrée du stade du Moulin à vent. "Personne ne le connaissait à l'époque, il a largement fait ses preuves", vante Manuel Da Silva, citant l'installation d'un dispositif pour obtenir des papiers d'identité dans sa commune, grâce à l'intervention du député sortant. A ses côtés, Hadrien Ghomi, flanqué de son directeur de campagne et de son photographe, boit du petit-lait.

La journée est chargée : le candidat, qui allait fêter son "1 000e événement local" avant la dissolution, enchaîne les rendez-vous. "Il a participé à beaucoup d'événements, il fait de la représentation. Moi, ce n'est pas pour ça que je m'engage, je veux représenter les citoyens et non pas serrer des mains", raille Arnaud Bonnet. "Mon adversaire fait des tractages, moi, je continue mes activités", rétorque Hadrien Ghomi. Malgré son discours uniquement tourné vers le local, les électeurs l'interpellent sur la dissolution. "Quelle idée farfelue !", roule des yeux une électrice qui tient un stand de marche nordique à la fête du sport. "Je suis la principale victime de la dissolution décidée par le président !", lui répond en riant le député sortant. 

"Je suis centriste"

Un café vite avalé, Hadrien Ghomi reprend la route avec son équipe direction Roissy-en-Brie, au sud de la circonscription. L'association SOS Liens, qui organise notamment des sorties culturelles et sportives, le reçoit dans son local pour un échange avec des jeunes et des parents d'élèves. Devant ce public, très majoritairement issu de la diversité, le candidat Renaissance met en avant son parcours de fils d'immigré iranien et oriente son discours sur le danger du RN. "L'extrême droite a un programme anti-République qui vise à stigmatiser les communautés. Toutes les politiques sociales peuvent être mises à mal si l'extrême droite a la majorité". Et d'appuyer encore une fois sur son expérience locale : "Vous m'avez très peu vu dans les médias servir la soupe, je suis là pour faire remonter les problématiques." 

Hadrien Ghomi discute avec des jeunes et des parents d'élèves, à Roissy-en-Brie (Seine-et-Marne), le 22 juin 2024. (MARGAUX DUGUET / FRANCEINFO)

Après plusieurs minutes d'échanges, une jeune femme lui demande d'une timide voix : "Vous m'avez sensibilisée sur la question du vote, mais c'est quoi votre parti ?" Un court silence, Hadrien Ghomi se lance : "Je ne me cache pas derrière mon petit doigt, je suis centriste. Je suis contre les extrêmes." Toujours sans prononcer le nom d'Emmanuel Macron, face à un public qui l'interpelle sur le smic à 1 600 euros, la retraite à 60 ans ou l'indexation des salaires sur l'inflation, des mesures promises par le NFP. Une nouvelle fois, Hadrien Ghomi met en avant sa "personnalité" plutôt que son "étiquette"

Tout le contraire de son adversaire du RN, qui entend bien perturber le duel entre la gauche et le camp présidentiel. Manon Mourgères, 27 ans, infirmière en réanimation, a été envoyée dans la 8e circonscription, qu'elle promet d'habiter rapidement, elle qui vit dans la 7e. Inconnue des électeurs, elle mise tout sur le duo Jordan Bardella-Marine Le Pen alors que le camp d'extrême droite est arrivé en tête aux européennes, avec 26,5% des voix. "Les gens en ont marre, ils veulent l'alternance, ils sont prêts à nous essayer, livre-t-elle. On sent qu'il y a un changement de mentalité par rapport au RN." En face, Hadrien Ghomi se rassure comme il peut : "Les européennes jouaient sur des ressorts nationaux. Et puis, le RN a fait son score le plus faible de Seine-et-Marne dans cette circo."


Liste des candidats pour le premier tour : 

• Arnaud Bonnet (Union de la gauche)

• Hadrien Ghomi (Ensemble ! (Majorité présidentielle))

• Frédéric Renault (Extrême gauche)

• Henriette Sauvage (Droite souverainiste)

• Bernard Duchaussoy (Ecologistes)

• Manon Mourgères (Rassemblement national)

• Jean-Marc Moskowicz (Reconquête !)

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