Reportage Législatives 2024 : au QG du Rassemblement national, les militants sont "passés de la joie à la désillusion en dix secondes"

Article rédigé par Raphaël Godet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Des militants du Rassemblement national ne cachent pas leur déception à l'annonce des résultats du second tour des élections législatives, le 7 juillet 2024, dans le QG de campagne du parti. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)
Pas moins de 500 invités étaient conviés au Pavillon Chesnaie du Roy pour célébrer ce qui devait être la victoire du parti d'extrême droite au second tour. L'ambiance était finalement à la défaite, après des résultats qui ont vu le RN relegué à la troisième place.

Les trois militantes ont repris du vin blanc avant de se positionner devant les écrans géants. Il est 19h55 au QG de campagne du Rassemblement national (RN), au Pavillon Chesnaie du Roy, dans le bois de Vincennes, et Laure, Camille et Anne sont sereines. "Méga-confiantes", même. "Je dis 240 sièges", parie la troisième, robe de soirée fuchsia sur le dos. A 19h59, les copines ont soufflé un bon coup. "Ça va le faire, les filles. Ça va le faire." Et puis à 20 heures, patatras. Leurs visages se referment soudainement. "Putain..." Les télés sont en train de projeter les résultats du second tour des élections législatives, dimanche 7 juillet, et le parti d'extrême droite et ses alliés n'obtiennent que 143 députés, selon les résultats définitifs du ministère de l'Intérieur.

L'ambiance a perdu quelques degrés dans le Pavillon Chesnaie du Roy. Parmi les 500 invités, certains se demandent même si la soirée va quand même continuer jusqu'au bout. Celles et ceux qui étaient déjà présents le soir des élections européennes, il y a un mois, ne reconnaissent pas l'endroit. Drapeau français dans la main, Kalissa est en pleurs. "Ce sont les larmes du choc, de la tristesse", bredouille la militante de 22 ans, avant de s'effondrer de nouveau. Ce qu'il reste de son maquillage coule maintenant sur le bas de ses joues. "Ça ne va pas fort, toi", lui lance une connaissance en passant. "Bof. Je ne m'attendais pas à ça, répond Kalissa. Cet après-midi, encore, je me disais : 'Allez, majorité au moins'."

"Tous les jours, il y avait des casseroles"

Qu'il semble loin, en effet, le temps où la possibilité d'une majorité absolue à l'Assemblée nationale pour le RN planait sur le pays. Camille aussi a "les boules" : le parti dirigé par Jordan Bardella est donc arrivé troisième des législatives, derrière le Nouveau Front populaire et la coalition présidentielle Ensemble. "On est passé de la joie à la désillusion en dix secondes", résume celle qui travaille dans le conseil à Paris, touchant la croix qu'elle porte autour du cou avant de lister les coupables : "L'extrême gauche, le barrage et Macron." Bon et "peut-être que certains de nos candidats n'ont pas été à la hauteur" aussi. "Tous les jours, il y avait des casseroles. Tous les jours, on m'envoyait une nouvelle vidéo, une nouvelle polémique. Ce n'est pas possible", grince la militante blonde de 24 ans qui a rejoint le parti en janvier dernier, après avoir déchiré sa carte des Républicains.

"Ce sont des erreurs de casting qui nous ont desservis. Il faut tirer au clair ce qui a pêché."

Camille, militante du Rassemblement national

à franceinfo

A leur arrivée au QG, peu avant 19 heures, la députée Edwige Diaz et l'eurodéputé Fabrice Leggeri étaient restés silencieux. Fallait-il y voir un signe ? Dans un couloir, Philippe Olivier fait le service après-vente : "La France va dans un bourbier total. On rate pas mal de circonscriptions à un ou deux points, insiste le député européen RN. L'histoire n'est pas finie, l'avenir nous appartient."

"Les Français sont tombés dans le piège"

C'est exactement ce que s'apprête à déclarer Jordan Bardella au moment de grimper à la tribune, visage fermé. Celui qui rêvait d'être Premier ministre à 28 ans promet que "tout commence ce soir", que le Rassemblement national est la "seule alternance face au parti unique" et aux "arrangements électoraux orchestrés depuis l'Elysée". Quand le jeune leader évoque "l'alliance du déshonneur", quelqu'un crie "les salopards". "Les Français sont encore tombés dans le piège du front républicain, quelle blague ! gesticule Anthony. Ils se sont comportés comme des moutons. Un choix historique s'offrait à eux et ils ont fait n'importe quoi."

Jordan Bardella, le président du Rassemblement national, prend la parole au QG de campagne, le soir du second tour des élections législatives, le 7 juillet 2024. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

Après sa prise de parole, Jordan Bardella repart ensuite s'enfermer dans une pièce à l'étage, où l'attend Marine Le Pen. En bas, son ex-compagnon Louis Aliot, maire de Perpignan, est assis sur un canapé jaune : "Je vais peut-être rester plus souvent à Paris. Il faut que j'aide à structurer le parti", lance-t-il.

"On aura toujours affaire à des fronts républicains mais il y a des moyens de le contourner. J'ai des idées en tout cas."

Louis Aliot, maire de Perpignan

à franceinfo

A l'extérieur, le service d'ordre est sur les nerfs. Pas question que les caméras filment le départ des cadres du parti. Pour compliquer le travail des reporters, on ouvre des parapluies et on pousse des poubelles. Soudain, une voiture ralentit. Fuse un "On a gagnéééé". "On est d'accord qu'ils nous narguent ?" demande l'un des vigiles.

"On n'a jamais eu autant de députés"

Un monsieur en costume noir déambule dans les rangs du chic complexe pour s'adresser à un groupe de militants désabusés, coupe de champagne à la main. "Je ne sais pas s'il faut être content ou pas", peste Nicolas, la trentaine. "Attendez, attendez ! Faut aussi souligner qu'on n'a jamais eu autant de députés RN à l'Assemblée !"

De fait, le parti améliore largement son score par rapport à 2022, où il avait envoyé 89 députés dans l'hémicycle, contre 143 élus aujourd'hui, selon notre estimation Ipsos-Talan. Ils n'étaient encore que 7 en 2017. A l'écart, un militaire, anonyme en raison du "devoir de réserve", aimerait que la foule répète après lui : "Bravo Jordan !" "Bravo et merci !" insiste son épouse.

Mélanie applaudit. "Ecrivez que Jordan est toujours l'homme de la situation", nous lance cette militante au débardeur noir. "On n'a pas été assez offensif. Il faut plus s'imposer, il faut plus être fier de nos idées. Si ce n'est pas cette fois, ce sera une autre fois. 2027, c'est après-demain. La victoire est au bout du tunnel." Elle se retourne vers sa bande venue exprès du Val-d'Oise et lève le poing : "Tenez bon, Français, on arrive !"

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