: Reportage Elections régionales : à Marseille, les électeurs de Jean-Laurent Félizia dépités "de devoir voter Renaud Muselier" après le retrait du candidat écologiste
Comme en 2015, les électeurs de gauche se retrouvent dans une situation inconfortable : ils doivent choisir entre voter à contre-cœur pour le candidat de la droite ou s'abstenir et prendre le risque d'offrir au Rassemblement national sa première région.
"Je me suis fait insulter par un de mes électeurs encore ce matin." Dépité, Jean-Laurent Félizia mesure en ce mardi 22 juin les conséquences de son retrait pour le second tour des élections régionales. La veille, le candidat de la gauche, arrivé en troisième position dimanche 20 juin, a fini par céder aux appels à faire barrage au Rassemblement national. "Ma boulangère s'est mise à pleurer quand elle m'a vu. Je lui ai dit qu'il fallait qu'elle vote Renaud Muselier pour empêcher le Rassemblement national de gagner notre région et elle m'a dit que j'avais raison", souffle-t-il devant son QG de campagne.
Ici, dans le 6e arrondissement de Marseille, il laisse les 2 987 électeurs qui l'ont placé en tête face à un choix cornélien : voter Renaud Muselier (LR) ou bien voter blanc voire s'abstenir et risquer de faire élire Thierry Mariani (RN). Au total, dans la cité phocéenne, 35 996 électeurs ont choisi de lui accorder leur confiance. Que vont-ils décider désormais ?
Pour certains d'entre-eux, rencontrés dans les rues de la ville, voter dimanche pour le candidat de la droite est un crève-cœur. C'est le cas d'Arthur, musicien de 33 ans, qui vote écolo depuis plusieurs années. "Ça m'énerve de devoir voter contre le RN... Le vote blanc me fait aussi flipper. S'il contribue à faire élire Thierry Mariani, je m'en voudrais tellement, rage-t-il en se mordant les lèvres. C'est dingue d'en arriver à devoir voter Renaud Muselier !"
"Je partage la déception de nos électeurs"
Joseph, retraité de 80 ans, croisé près d'une école de la rue Friedland, est aussi dans ce cas de figure. "Je fais partie des électeurs de Jean-Laurent Félizia, reconnaît-il en haussant les bras et les épaules. Dimanche, je vote Renaud Muselier parce que je fais partie de ces gens qui ont commencé à prendre des cours d'espagnol. Si jamais Marine Le Pen passe, je file à Barcelone dès l'année prochaine", lâche-t-il avant de tourner les talons.
Christiane, professeure d'arts plastiques à la retraite, attablée à une terrasse dans le quartier de la Castellane, le craint également. C'est la raison pour laquelle elle a "voté utile" dès le premier tour en faveur de Renaud Muselier et non pour le candidat de la gauche, comme elle le faisait depuis de nombreuses élections. "J'ai voté pour le Printemps Marseillais l'année dernière mais Muselier cette année parce que je sentais que Félizia n'allait pas tenir la distance", retrace-t-elle.
"Je voterai Muselier aussi dimanche parce qu'il ne faut pas que la région devienne un tremplin pour Marine Le Pen."
Christiane, retraitéeà franceinfo
Dans cette région, le Rassemblement national progresse au fur et à mesure des élections, au détriment de la gauche. Après voir conquis Fréjus aux municipales de 2014, le Front national était arrivé en tête au premier tour des élections régionales de 2015, avant de buter sur le front républicain instauré par Christophe Castaner (PS) et Christian Estrosi (LR à l'époque). "On voit l'extrême droite à l'œuvre, on sait ce que c'est", soupire Capucine Edou, qui menait la liste de Jean-Laurent Félizia dans les Bouches-du-Rhône. "C'est un désastre de ne plus avoir d'élus de gauche dans le conseil départemental du Var ou dans les conseils municipaux de plusieurs communes. Je comprends la déception profonde de nos électeurs et je la partage."
"Je trouve le front républicain ridicule"
La menace de l'extrême droite ne suffit pas toujours à convaincre les électeurs de Jean-Laurent Félizia à placer un bulletin Renaud Muselier dans l'urne. "Je trouve le front républicain ridicule. Je suis à 100 000 lieux de tout ça", écarte Alexis, 35 ans, qui est venu à Marseille depuis Montreuil (Seine-Saint-Denis) il y a près de trois ans.
Pour moi, ce front républicain n'a pas de sens quand on voit ces deux droites équivalentes. Je me retire du jeu électoraliste et irai voter blanc dimanche.
Alexis, 35 ansà franceinfo
Pour autant, Alexis préfère laisser les élus face à leurs responsabilités en cas de victoire de l'extrême droite dimanche. "J'avoue être un peu paresseux dans la distinction entre LR et RN", reconnaît cet électeur. "Le niveau de la gauche dans la région fait peur..." grimace-t-il en se prenant la tête dans les mains.
"Je ne suis pas les consignes de vote"
Le retrait de Jean-Laurent Félizia a laissé également toute une partie des électeurs dans une profonde indécision, malgré ses consignes de vote. "Je ne sais pas encore ce que je vais faire dimanche, réfléchit Marguerite, doctorante en géographie de 27 ans. Je vais voter Muselier ou voter blanc."
"C'est un peu épuisant d'être coincée entre deux options que je n'aime pas du tout…"
Marguerite, 27 ans
Jérôme, paysagiste de 58 ans, partage également cette déception. "Quel dommage que Jean-Laurent Félizia se soit retiré. Je vais voter blanc dimanche, comme lors du second tour de la présidentielle", annonce-t-il dans un premier temps. Quand on lui fait remarquer qu'avec le retrait de Jean-Laurent Félizia, cela fera 12 ans que la gauche ne sera pas représentée au conseil régional en Paca, son regard se fige quelques instants. "Je vais réfléchir pour dimanche", finit-il par lâcher. "Quand on voit le niveau de l'abstention, il faudrait changer les institutions sinon le lien entre la population et les élus va encore se dégrader..." prédit celui qui a notamment contribué à écrire un "pacte démocratique pour Marseille", afin d'introduire davantage de contribution citoyenne avant les municipales de l'année dernière.
"Je ne suis pas du tout les consignes de vote", balaie quant à elle Sidney, une comédienne de 29 ans, qui a hésité à voter blanc dès le premier tour avant de finalement choisir le bulletin Félizia. Les 195 233 voix obtenues par Jean-Laurent Félizia en Paca vont-elles se reporter sur la candidature de Renaud Muselier, comme l'a réclamé le candidat écologiste ? "Chacun a sa liberté et nous ne sommes pas propriétaires des voix qui nous ont été accordées", reconnaît Capucine Edou. Lassés par le calcul politique du front républicain, plusieurs électeurs pourraient ne pas répondre à l'appel du candidat écologiste et augmenter malgré eux les chances de victoire de Thierry Mariani. De quoi faire "flipper", avoue Jean-Laurent Félizia.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.