Il y a les bons élèves, et il y a les bonnets d'âne. Selon l'enquête menée par les équipes de francetv info et de "l'Œil du 20h" de France 2, diffusée lundi 23 novembre, les conseillers régionaux ont été globalement assidus durant leur mandat : en moyenne, les 2 046 élus dont les données ont pu être analysées ont répondu à 88% des convocations en séances plénières entre 2010 et 2015. >> Bons élèves ou bonnets d'âne ? Testez l’assiduité des élus de votre région grâce à notre moteur de recherche Mais, au cours de notre enquête, nous avons également pu observer comment certains ont usé de petits tours de passe-passe pour doper leurs statistiques individuelles, mais aussi pour échapper aux systèmes de pénalités financières mis en place dans certaines régions, comme l'Aquitaine, la Picardie ou l'Ile-de-France.Faire acte de présence au moment de la signaturePremière astuce pour éviter les pénalités : être là au moment de la signature. Dans la plupart des conseils régionaux, faire acte de présence, même durant quelques minutes, suffit à ne pas être comptabilisé comme absent.Exemple en Ile-de-France avec le cas de Pierre Larrouturou, le leader du mouvement politique Nouvelle Donne. Si l'élu affiche un taux de présence tout à fait honorable (86% sur l’ensemble de ses cinq années de mandat), un regard plus appuyé sur les procès-verbaux permet de découvrir qu'il n'est pas forcément toujours présent dans l'hémicycle. Ainsi, le 24 septembre 2015, le procès-verbal indique que Pierre Larrouturou a bien signé la feuille de présence. Extrait du procès-verbal de la séance plénière du 24 septembre 2015 du conseil régional d'Ile-de-France. (FRANCETV INFO) Mais le document stipule aussi que l'élu a disparu dès la première délibération : il est noté "absent" lors de tous les votes. Nous avons relevé la même anomalie sur les procès-verbaux des quatre séances plénières précédentes, celles du 7 mai, du 18 juin, du 19 juin et du 10 juillet 2015. Extrait du procès-verbal de la séance plénière du 24 septembre 2015 du conseil régional d'Ile-de-France. (FRANCETV INFO) Interrogé par francetv info, Pierre Larrouturou assure pourtant qu'il se trouvait bien dans l'hémicycle lors de ces séances : "Je participe aux votes, je lève la main comme tout le monde." Alors a-t-il été noté absent par erreur ? "Il signe la feuille de présence, et il repart juste après. Vous avez bien compris le procès-verbal, nous assure un autre conseiller régional. Deux fonctionnaires se trouvent à l'entrée de la salle avec la feuille d'émargement. Vous pouvez même signer, aller boire un café, et ne jamais rentrer dans la salle !" Une version confirmée par deux autres élus franciliens.Nous avons pu visionner les images vidéo de la séance plénière du 24 septembre 2015. Et effectivement, le siège de Pierre Larrouturou reste vide, tout au long de la réunion. "Il y a des moments où j'y suis, et d'autres où je suis à côté avec mes collègues, insiste l'élu. Je ne vais pas vous faire croire que je suis assis sur ma chaise en continu pendant huit heures alors que, en tant que non-inscrit, je n'ai jamais la parole, ni la capacité d'amendement..."Déléguer son vote à un collègueQuand ils sont absents lors d'une séance plénière, les élus délèguent la plupart du temps leur vote à un membre de leur groupe. Mais ces représentations créent parfois des situations cocasses. En Bretagne, un petit tour d'horizon des procès-verbaux des séances plénières montre que certains élus délèguent leurs votes à trois personnes dans la même journée ! La raison ? Le collègue du groupe auquel ils ont donné autorité le matin a lui-même quitté l'assemblée en cours de séance. La délégation de vote a donc été transférée à un troisième élu, etc. Extrait du procès-verbal de la séance plénière du conseil régional de Bretagne, du 11 octobre 2012. (FRANCETV INFO) Autre exemple avec la ministre de la Décentralisation, Marylise Lebranchu, qui délègue son vote sur l'ensemble de la journée, mais le récupère entre 18 heures et 19h15, juste le temps d'un court passage dans l'hémicycle. Extrait du procès-verbal de la séance plénière du conseil régional de Bretagne, du 15 octobre 2015. (FRANCETV INFO) Bénéficier d'un passe-droit en raison de son statutEn matière de contrôle de l'assiduité, les conseils régionaux sont libres d'établir leurs propres règles, plus ou moins conciliantes, à l'égard des élus. En Rhône-Alpes, par exemple, les membres de l'exécutif régional – c'est-à-dire le président et ses vice-présidents – ne sont pas contraints de signer les fiches de présence.Le socialiste Bernard Soulage, vice-président délégué à l'Europe et aux Relations internationales, en sait quelque chose. Selon nos calculs, basés sur les procès-verbaux, il est l’élu le moins présent de l'assemblée régionale, avec 35 absences au compteur. Son score (42% de présence) est bien en dessous de la moyenne constatée dans la région (88%). Pourtant, la région Rhône-Alpes ne lui a comptabilisé aucune absence !"Je ne signe pas tout le temps, parce que je n'y suis pas obligé, et que le bureau de signature est de l’autre côté de l’ascenseur. Depuis mon bureau, je ne passe pas devant pour me rendre à l’assemblée", explique l’élu à francetv info. Mais d’où vient cette dérogation pour l’exécutif ? "C'est nous-mêmes, membres de l'exécutif, qui avons décidé de cette règle en début de mandat."Se faire "excuser"Dernière astuce pour passer à travers les radars : se faire "excuser" pour ne pas être comptabilisé comme absent. En Midi-Pyrénées, c'est la commission permanente du conseil régional qui examine la présence des élus et décide, tous les ans, d’éventuelles sanctions contre les plus absents. Et, dans son calcul, les absences "justifiées" sont comptées comme des présences, et ne sont donc pas sanctionnées. Résultat, dans le document que nous a fourni le conseil régional, une grande partie des élus affichent un taux de présence de 100%. Mais d'après nos propres calculs, qui ne prennent en compte que les présences stricto sensu dans l'assemblée, les chiffres sont beaucoup moins flatteurs.Le cas le plus significatif est celui de Sylvia Pinel, conseillère régionale depuis 2010, et ministre depuis 2012. Selon notre enquête, Sylvia Pinel n'a été présente que 48% du temps en séances plénières. Sur la seule année 2014, toujours d'après nos calculs, la ministre a été absente à cinq réunions sur six. Elle ne comptabilise pourtant aucune absence sur le document de Midi-Pyrénées.“C'est un document comptable, c'est l'administration qui tient ça, pas la présidence", se défend le président de la région, Martin Malvy, interrogé par les journalistes de "l'Œil du 20 heures" de France 2. "Le tableau est fait de la même façon pour les 180 élus. Il n'y a pas deux poids, deux mesures, assure-t-il. Quant à Sylvia Pinel, quand on siège le mercredi et qu'elle est en Conseil des ministres, elle est en effet absente et excusée. Mais ce n'est pas la seule !" Après nos nombreuses sollicitations, le conseil régional de Midi-Pyrénées a fini par nous fournir les procès-verbaux détaillés des séances plénières, confirmant ainsi nos chiffres.