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Présidentielle 2022 : Emmanuel Macron et Valérie Pécresse peuvent-ils vraiment conditionner le RSA à des heures d'activité ?

Dans son programme présidentiel, Emmanuel Macron souhaite conditionner le revenu de solidarité active à une activité de 15 à 20 heures par semaine. "Ni réalisable, ni souhaitable", estime la spécialiste des politiques sociales Nadia Okbani.

Article rédigé par franceinfo - Miren Garaicoechea avec AFP
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Le revenu de solidarité active (RSA) a remplacé le revenu minimum d'insertion (RMI) en 2009. (ROMAIN LONGIERAS / HANS LUCAS / AFP)

Les bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) devraient avoir "l'obligation de consacrer 15 à 20 heures par semaine à une activité facilitant l'insertion professionnelle", selon Emmanuel Macron. Lors de la présentation de son programme électoral pour la présidentielle, le chef d'Etat sortant et candidat LREM a annoncé son souhait de réformer le RSA, jeudi 17 mars à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis). 

Entré en vigueur en 2009 pour remplacer le revenu minimum d'insertion (RMI), le revenu de solidarité active "traduit le droit fondamental de tous les citoyens à disposer de ressources suffisantes pour vivre conformément à la dignité humaine, droit énoncé dans le préambule de la Constitution française de 1946 et par le Conseil de l'Europe", énonce le ministère des SolidaritésIl fait partie des minima sociaux, aux côtés de la prime d'activité, de l'allocation aux adultes handicapés (AAH) ou encore de l'allocation pour demandeur d'asile (ADA). 

Près de 2 millions de foyers concernés

Concrètement, le RSA "assure aux personnes sans ressources un niveau minimum de revenu", explique le site du service-publicL'allocation n'est accessible qu'aux personnes d'au moins 25 ans et aux 18-24 ans qui sont parents isolés ou qui justifient d'une certaine durée d'activité professionnelle. Son montant varie selon la composition du foyer et les ressources. Au total, 1,91 million de foyers bénéficiaient du RSA en France à la fin du mois de septembre 2021, nombre qui a augmenté de 46% en dix ans, entre 2009 et 2019. 

Mais le RSA ne se résume pas à une aide financière, il comprend aussi des aides et contrats de travail, "l'objectif du dispositif tout entier" restant "le retour à l'emploi", rappelle le ministère des Solidarités. Or, les allocataires du RSA bénéficient d'un "accompagnement social et professionnel nettement insuffisant", a épinglé la Cour des comptes dans un rapport publié en janvier. Ces "carences de l'accompagnement handicapent la démarche d'insertion", relève-t-elle, pointant des "résultats médiocres en termes d'emploi". Au total, 60% des bénéficiaires ne disposent pas de contrat d'accompagnement valide.

Alors qu'Emmanuel Macron défendait pendant son quinquennat un "revenu universel d'activité" fusionnant plusieurs minima sociaux dont le RSA, le candidat a exposé de nouvelles propositions jeudi. En complément de la transformation de Pôle emploi en "France Travail", il a proposé de réformer le RSA, pour "un meilleur accompagnement et un meilleur équilibre des droits et devoirs""Personne ne considère que sa dignité est reconnue et respectée avec une prestation", a-t-il estimé. 

Des heures d'activité hebdomadaires

S'il est réélu, les bénéficiaires auront "l'obligation de consacrer 15 à 20 heures par semaine" à une activité facilitant l'insertion professionnelle, "soit de formation, soit d'emploi". Le chef de l'Etat en campagne a rappelé que le contrat d'engagement jeune pour les 18-25 ans entré en vigueur début mars est déjà soumis à des conditions, notamment "un parcours intensif avec une mise en activité systématique, soutenue et régulière".

Ces 15 à 20 heures d'activité hebdomadaires pourront correspondre à "plein de choses", a complété Amélie de Montchalin, ministre de la Fonction publique, vendredi. Cela "peut être des soins, de l'accompagnement psychologique, ça peut être de la formation". Cette réforme prendrait par ailleurs "en compte la réalité d'une situation personnelle", a précisé Christophe Castaner, président du groupe LREM à l'Assemblée nationale. "Une mère isolée qui a deux enfants ne doit pas avoir les mêmes contraintes et les mêmes objectifs que quelqu'un qui est disponible, célibataire et cherche une formation."

Valérie Pécresse, candidate Les Républicains, a souligné qu'elle avait présenté cette mesure dans son programme bien avant Emmanuel Macron, accusant ce dernier de "candidat contrefaçon". "Celui qui touche le RSA donnera chaque semaine 15 heures d'activité à la société", affirmait-elle en meeting à Paris le 13 février. 

"Où va-t-on trouver ces heures de travail ?"

Mais conditionner le RSA à une activité ou une formation "revient à faire croire" plusieurs choses, relève de son côté Nadia Okbani, enseignante-chercheuse à l'université Toulouse Jean-Jaurès, contactée par franceinfo. "Déjà, que les gens ne cherchent pas d'emploi ou sont oisifs." Ensuite, "que le problème relèverait de la responsabilité individuelle alors que cette responsabilité incombe à l'Etat". Enfin, "que les bénéficiaires du RSA sont un ensemble homogène". De nombreux syndicats et politiques se sont d'ailleurs élevés contre la philosophie de cette proposition, à l'instar du candidat PCF Fabien Roussel ou du secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez. "Là, on culpabilise ceux qui ont des difficultés dans la vie", a-t-il commenté sur RTL.

Or, selon Nadia Okbani, les situations sont très hétérogènes. "Des jeunes diplômés à la mère seule avec enfants, des personnes malades… Certains sont d'ailleurs déjà en formation ou travaillent quelques heures", souligne-t-elle. A ses yeux, la réforme serait difficile à concrétiser. "Nous avons un manque structurel d'emploi, alors où va-t-on trouver ces heures de travail ? Et si on y arrive, pourquoi ne pas en faire des emplois ?" s'interroge-t-elle. Selon ses calculs, pour trouver 15 à 20 heures de travail hebdomadaires aux bénéficiaires du RSA, "il faudrait 835 000 équivalents temps plein, soit plus que les 350 000 emplois vacants actuels"

"Ni réalisable, ni souhaitable", cette réforme aurait ainsi "un effet néfaste sur l'emploi en créant une concurrence déloyale entre personnes en emploi de droit commun, et celles ayant cette activité liée au RSA, si elle était sous-payée", estime Nadia Okbani. Un problème majeur reste par ailleurs sans solution : le tiers des personnes qui pourraient bénéficier du RSA ne touchent pas cette allocation, pointait la Cour des comptes en début d'année. Cela représente 600 000 ménages.

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