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Vrai ou faux Présidentielle 2022 : on a vérifié cinq affirmations du tract de la majorité sur le bilan économique d'Emmanuel Macron

Article rédigé par Benoît Zagdoun
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 15min
Des tracts de la majorité présidentielle en faveur d'une candidature d'Emmanuel Macron à l'élection présidentielle de 2022, le 10 septembre 2021, à Nevers (Nièvre). (MAXPPP)

Si le tract de campagne de la majorité présidentielle dit vrai sur la baisse des impôts et le recul du chômage, son affirmation sur l'attractivité de la France mérite d'être nuancée, et celle sur les mesures économiques prises face à la crise du Covid-19 est fausse.

Emmanuel Macron n'est pas encore officiellement candidat à un second mandat. Mais à six mois de l'élection présidentielle, La République en marche, elle, fait déjà campagne pour sa réélection. Le mouvement a préparé un tract, signé "majorité présidentielle" et décliné pour chaque département, centré sur le bilan économique et social du quinquennat. LREM prévoit d'en distribuer 700 000 exemplaires d'ici la fin de l'année. Baisse des impôts, recul du chômage... Le document met en avant plusieurs arguments que franceinfo a décidé de vérifier.

1"Un travailleur au smic gagne 170 euros de plus par mois" : à nuancer

"En 2021, un travailleur au smic gagne 170 euros de plus par mois grâce aux baisses de charges et à la prime d'activité." Cette affirmation assénée dans le tract est également reprise depuis plusieurs jours par les ténors de la majorité : de Christophe Castaner à Elisabeth Borne. Elle trouve son origine dans le calcul d'un cas type, figurant dans une annexe du projet de loi de finances pour 2022.

Ce cas type est celui d'un célibataire travaillant au smic, qui payait 595 euros par an de taxe d'habitation avant la suppression de cette contribution, qui réalise 111 heures supplémentaires par an, et qui reçoit une prime exceptionnelle de pouvoir d'achat de 600 euros par an, détaille le rapport. Mais ces critères posent question

D'abord, pour les 80% des foyers les moins aisés, ceux concernés par la suppression totale de la taxe d'habitation depuis 2020, le montant moyen de l'économie est de 451 euros, d'après les données de Bercy. On est loin des 595 euros de ce cas type. Ensuite, les salariés payés au smic font en moyenne bien moins d'heures supplémentaires. En 2013,  ils en totalisaient 36 et non 111 sur l'année, selon une analyse de la Dares, le service d'études statistiques du ministère du Travail, parue en 2016.

Enfin, toucher 600 euros via la prime exceptionnelle de pouvoir d'achat (Pepa) n'a rien d'automatique pour un salarié. Celle-ci n'est versée que par les entreprises qui le souhaitent. Plus les entreprises sont petites, moins elles ont recours à ce dispositif, comme l'atteste l'Insee. En 2019, seules 17% des entreprises de moins de 10 salariés l'ont utilisé et 41% des PME les plus grosses, au mieux. Or les petites et moyennes entreprises sont celles qui emploient le plus de salariés au smic. De plus, le montant moyen de la prime perçu par les bénéficiaires était au mieux, en moyenne, de 524 euros dans les micro-entreprises et de 361 euros dans les PME les plus grandes.

Ce cas type, bien que plausible, apparaît donc peu représentatif. Il illustre néanmoins une réalité, mise en avant par la Direction générale du Trésor dans son rapport : "Les ménages modestes bénéficient de la progression du pouvoir d'achat la plus importante en pourcentage (+4%)."

>> VRAI OU FAKE. Le pouvoir d'achat a-t-il plus augmenté sous le quinquennat d'Emmanuel Macron que sous ceux de ses prédécesseurs ?

2"Depuis 2017, nous baissons les impôts des Français" : vrai

Le mandat d'Emmanuel Macron a été marqué par deux mesures fiscales phares : la suppression progressive de la taxe d'habitation et la réforme du barème de l'impôt sur le revenu. Depuis 2020, la première tranche du barème de l'impôt sur le revenu a été allégée de 14% à 11%. La taxe d'habitation, elle, a été supprimée par paliers, entre 2018 et 2020, pour les 80% des foyers les plus modestes. A partir de cette année, les 20% des ménages les plus aisés vont également en bénéficier, d'abord partiellement puis totalement en 2023. 

Les contribuables y ont-ils gagné ? Oui, selon les calculs de la Direction générale des finances publiques (DGFIP), consultés par franceinfo. Entre 2017 et 2022, ils auront économisé 52,1 milliards d'euros : 13,1 milliards en impôt sur le revenu pour 18,2 millions de contribuables et 39 milliards en taxe d'habitation pour 24,6 millions de propriétaires ou de locataires.

La DGFIP a modélisé des cas types qui permettent de se faire une idée des gains qui auront été réalisés sur la durée du quinquennat, en fonction de la situation du foyer fiscal. Les économies réalisées vont de 842 euros pour un célibataire sans enfants vivant dans un studio de 26 m2 dans une grande ville, à plus de 4 500 euros pour un couple sans enfant vivant dans un 42 m2 à Rennes ou un parent célibataire avec un enfant vivant dans un appartement de 55 m2 hors de région parisienne.

"Il y a une réinjection de pouvoir d'achat via les baisses d'impôts qui ont bénéficié à toutes les catégories, mais qui ont surtout favorisé les classes moyennes en activité, grandes gagnantes des réformes fiscales", constate Thomas Grjebine, économiste au Centre d'études prospectives et d'informations internationales, un service rattaché à Matignon. 

Les ménages les plus aisés ont toutefois bénéficié d'autres gains fiscaux, qui ne sont pas comptabilisés par la DGFIP : la transformation de l'impôt de solidarité sur la fortune en impôt sur la fortune immobilière et la "flat tax" qui réduit l'imposition des revenus financiers. La baisse des impôts sur les entreprises pourrait aussi être ajoutée à cette liste, fait valoir l'expert : "Quand vous baissez les impôts sur les entreprises, in fine ça bénéficie à ceux qui détiennent ces entreprises, donc plutôt aux plus riches."

3"Depuis treize ans, le chômage n'a jamais été aussi bas" : vrai, mais à relativiser

La France comptait 2,4 millions de chômeurs, hors Mayotte, au 1er trimestre de l'année 2021 et le taux de chômage s'établissait à 8,1% de la population active, selon l'Insee. Un niveau proche de la fin de l'année 2019, avant la crise sanitaire. Dans sa dernière note de conjoncture parue en octobre, l'Insee table sur une poursuite de cette diminution du chômage : de 8% au deuxième trimestre à 7,6% aux troisième et quatrième trimestres. 

Il faut remonter à la fin 2007 et à la fin 2008 pour retrouver un niveau de chômage en dessous de 8%. Soit treize ans, comme l'écrit la majorité présidentielle dans son tract. Le chômage était ensuite reparti à la hausse, jusqu'à culminer à 10,5% fin 2014 et début 2015. Depuis, la courbe a suivi une trajectoire descendante. La baisse a donc débuté deux ans avant le début de mandat d'Emmanuel Macron, durant le quinquennat de François Hollande.

L'économiste Thomas Grjebine l'explique par "un effet multiplicateur créateur d'emplois" "Il y a eu une stimulation du pouvoir d'achat, grâce aux mesures 'gilets jaunes', qui a permis de relancer la consommation et l'investissement." 

"On a particulièrement bien digéré cette crise du Covid. Pour l'instant en tout cas, relève le macro-économiste. A court terme, tous les indicateurs conjoncturels sont au vert, de façon assez surprenante. Est-ce une anomalie statistique ? On verra dans les prochains mois si c'est une tendance qui se confirme."

Ces "bons" chiffres sont relativisés par la lecture d'un autre indicateur : le halo autour du chômage. On y retrouve les personnes sans emploi qui en recherchent un, mais qui ne sont pas disponibles dans les deux semaines pour travailler ; et les personnes sans emploi qui souhaitent travailler, mais qui n'ont pas cherché de travail le mois précédent. Elles ne sont pas considérées comme au chômage, mais elles en sont proches, résume l'Insee

Le nombre de Français se trouvant dans le halo autour du chômage ne cesse d'augmenter depuis 2008. On comptait alors 1,5 million de personnes dans cette situation, selon l'Insee. Et au premier trimestre de l'année, 2 millions des 15-64 ans s'y trouvaient. "Cette augmentation sur le long terme du halo autour du chômage est très inquiétante, souligne Thomas Grjebine. Les gouvernements ont beaucoup de difficultés à casser cette dynamique."

4Face à la crise sanitaire, "aucun pays n'a fait plus que la France" : faux

"Aucun pays n'a fait plus que la France" pour soutenir ses travailleurs et ses entreprises en 2020, au plus fort de la crise sanitaire, assure le tract. Le gouvernement a en effet multiplié les mesures d'urgence, comme le chômage partiel, le fonds de solidarité, les prêts garantis par l'Etat, les reports des échéances fiscales ou encore le crédit d'impôts. Il a aussi adopté un vaste plan de relance pour doper le redémarrage de l'économie.

Mais la France a-t-elle vraiment fait mieux que ses voisins européens ? Non, répondent France Stratégie, institution rattachée à Matignon, et l'Inspection générale des finances, dans un rapport rendu en juillet. Afin "d'éviter un écueil récurrent dans l'analyse des dispositifs d'urgence et de relance", l'étude porte sur les mesures ayant "un impact budgétaire immédiat et définitif, c'est-à-dire celles qui ne prévoient pas de remboursement de la part de leurs bénéficiaires", précise le rapport. 

En additionnant mesures d'urgence (138,6 milliards d'euros) et plan de relance (91,7 milliards d'euros), la France a certes annoncé un effort budgétaire global de 230,3 milliards d'euros. Mais l'Allemagne, le Royaume-Uni ou l'Italie ont fait davantage. Berlin a engagé des dépenses pour un total de 284,8 milliards d'euros. Londres a déboursé 326,5 milliards d'euros, pour l'essentiel en mesures d'urgence. Quant à Rome, elle promet 405,6 milliards d'euros de dépenses, dont plus de la moitié au titre de son plan de relance, même si cette dernière estimation "demeure incertaine", reconnaît le rapport. 

Si l'on rapporte ces sommes au produit intérieur brut de l'année 2019, l'effort consenti par la France (9,5%) se révèle plus important que celui de l'Allemagne (8,3%). Pour autant, ce ne sont plus seulement l'Italie (22,7%) et le Royaume-Uni (13,1%) qui font cette fois encore mieux que la France, mais aussi les Pays-Bas (12,8%) et l'Espagne (13,8%).

Que ce soit en montant brut ou en pourcentage du PIB, "la France occupe une position intermédiaire" dans ce bref comparatif européen, conclut le rapport.

Interrogé par franceinfo, Roland Lescure, porte-parole de LREM, fait valoir que la majorité présidentielle a intégré à son calcul l'ensemble de la protection sociale. En la matière, la France est déjà la plus généreuse de l'OCDE. Elle y a consacré 31% de son PIB en 2019. Elle perd toutefois sa première place, si l'on rapporte les sommes dépensées au nombre d'habitants. Avec l'épidémie de Covid-19, les dépenses de prestations sociales se sont accrues, notamment pour la branche maladie. En 2020, la crise sanitaire a occasionné un surcoût de 18 milliards pour l'assurance maladie. Mais contrairement aux mesures d'urgence et au plan de relance, exceptionnels, les dépenses habituelles de prestations sociales auraient, quoi qu'il arrive, englouti une partie du budget ordinaire déjà élevé de la protection sociale. Cela fausse donc le calcul. "Peut-être que cette phrase [du tract] est un peu un abus de langage", concède le porte-parole de la majorité.

5La France est "le pays le plus attractif d'Europe" : vrai, mais à nuancer

La France est "le pays le plus attractif d'Europe", affirme le tract. Pour la deuxième année consécutive, et malgré la crise économique provoquée par la pandémie, la France arrive en effet en tête du palmarès des pays d'Europe les plus attractifs pour les investisseurs étrangers, établi par le cabinet EY dans son baromètre annuel de l'attractivité. Mais l'analyse qui accompagne ce classement invite à nuancer ce constat.

En 2020, la France a décroché 985 projets d'investissements étrangers, juste devant le Royaume-Uni (975) et l'Allemagne (930), qui complètent un podium identique à celui de l'année passée. L'attractivité de la France (-18%) a toutefois davantage reculé que celle de ses deux rivaux (respectivement -12% et -4%), mais aussi que la moyenne européenne (-13%).

Ces investissements étrangers sont, certes, à l'origine de 30 558 créations d'emplois en France en 2020. Mais ils sont moins pourvoyeurs d'emplois en France que dans le reste de l'Europe. Chaque projet crée en moyenne 34 emplois en France quand il en génère 135 en Espagne, 123 en Pologne ou encore 61 au Royaume-Uni et 48 en Allemagne. "Le coût du travail reste probablement un de nos points noirs, la France reste un des pays chers en Europe"avance sur franceinfo l'auteur de l'étude, Marc Lhermitte, associé chez EY. 

Enfin, si la France est passée en 2019 devant le Royaume-Uni et l'Allemagne dans le classement des pays européens ayant attiré le plus d'investissements étrangers, l'accélération a eu lieu entre 2015 et 2017, avec une hausse de 70% des investissements étrangers sur le sol français en deux ans. GRAPH

"Le rapport Gallois sur la compétitivité française de 2012 a suscité une prise de conscience de l'importance de l'attractivité économique de la France et celle-ci a fait partie des priorités des deux derniers quinquennats", rappelle le Conseil économique, social et environnemental dans un avis publié en mars. C'est ainsi qu'ont été créées les structures Business France à la fin 2014, puis Team France Invest en mars de cette année. 

L'attractivité "n'est pas un bon indicateur", juge Thomas Grjebine. La France a beau attirer toujours davantage d'investissements étrangers, sa balance commerciale reste déficitaire : elle importe toujours plus qu'elle n'exporte. Le déficit du commerce extérieur français s'est encore creusé de 7,3 milliards d'euros en 2020, affichant 65,2 miliards d'euros, selon l'Insee"C'est l'indicateur qui compte et qui est le plus inquiétant, note l'économiste. Ce n'est pas bon signe pour notre industrie."

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