Présidentielle : isoloirs, urnes, bulletins de vote... Les entreprises qui fabriquent le matériel électoral sont aussi en campagne
A un mois du premier tour de la présidentielle, toutes les mairies de France sont démarchées pour renouveler le matériel nécessaire au scrutin. Et pour les commerçants, c'est chacun pour soi.
Ils ont servi à élire Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, François Hollande et quantité de députés et sénateurs du coin. Mais cette fois, ce n'était plus possible. Une toile qui part en lambeaux, des fixations qui ne tiennent plus grand-chose... Cela faisait vingt ans que Nersac, près d'Angoulême (Charente), avait les mêmes isoloirs. "Je vais vous dire, je ne pouvais plus les voir, raconte à franceinfo Alain Monnereau, adjoint aux Travaux et aux Bâtiments dans cette commune de 2 500 habitants. Les réutiliser pour cette présidentielle, ç'aurait été vraiment limite, voire un peu honteux."
Pas le choix donc, il a fallu mettre la main au portefeuille. Heureusement, côté offre de produits, ce n'est pas ce qui manque. A moins de cinq semaines du scrutin, les entreprises spécialisées dans ce type de matériel font campagne, comme les candidats, pour s'imposer face à leurs concurrents. Ces temps-ci, Alain Monnereau reçoit entre dix et quinze catalogues par semaine, "sans compter ceux qui démarchent par téléphone." Mais "quand la personne vous appelle toutes les heures, vous ne gardez pas longtemps votre calme".
Un business très rentable
De toute façon, lui préfère le contact humain. Ça tombe bien, Renaud Dufloux, le commercial de Fabrègue, une entreprise spécialisée dans les fournitures pour les collectivités locales, passait dans le coin. Ce jour-là, en plus de quelques cartouches d'imprimantes et de classeurs, il a tout ce qu'il faut pour rééquiper la mairie de Nersac. Des urnes, des panneaux d'affichage, et donc des isoloirs. Après une heure de rendez-vous, marché conclu : il finit par en vendre six, tout beaux, tout neufs. Montant de la facture : 1 200 euros. Ce sont eux qui trôneront dans les deux bureaux de vote de la commune pour l'élection présidentielle, puis pour les législatives.
En ce moment, le commercial est comme les candidats : en campagne. Au volant de sa voiture, il fait 200 km par jour, sur les routes de Charente et de Charente-Maritime. "J'ai 700 mairies sur mon secteur, détaille-t-il. Pour être sûr de n'oublier personne, j'en fais entre huit et dix par jour."
Au fil de ses visites aux mairies, il rencontre souvent les mêmes problématiques. Une municipalité qui a perdu les clés d'une urne ? "Hop, bonne à changer." Une urne qui a un compteur en panne? "Hop, bonne à changer". Pour les isoloirs, comme pour Nersac, c'est souvent un pied qui "déconne", ou un rideau qui "ne ressemble plus vraiment à un rideau." Ces temps-ci, Renaud Dufloux en vend trois par semaine. Minimum 200 euros pièce. Pour l'urne, il faut compter, selon les tailles, entre 80 et 250 euros. Le business électoral est rentable : des entreprises, contactées par franceinfo, évoquent un commerce remportant parfois plus de 200 000 euros, lors d'une année électorale qui compte une présidentielle et des législatives.
Pour une année comme 2017, c'est 20% de mon chiffre d'affaires annuel. Si vous multipliez ça en englobant tous les commerciaux de l'entreprise, alors oui, ça commence à compter. Entre nous, s'il fallait organiser une présidentielle tous les ans, pas de souci !
Renaud Dufloux, commercialà franceinfo
"Je lui prends une affaire, il m'en pique une autre"
Mais Renaud Dufloux n'est pas le seul à guetter les mairies dans le besoin. Il doit composer avec son concurrent de chez SEDI Equipement, Fabrice Bate. "Il nous est déjà arrivé de se suivre en voiture. Voire de se croiser à la sortie d'une mairie, sourit-il. Je lui prends une affaire, il m'en pique une autre. Et ainsi de suite. C'est comme ça, c'est le jeu du commerce." Il faut aussi se confronter à des maires souvent durs en affaires. Dans la discussion, Fabrice Bate entend souvent le même refrain : les budgets ont diminué, les dotations de l'Etat sont en baisse... Il a dû batailler sec pour vendre huit nouveaux panneaux d'affichage en aluminium à la commune de Julienne, en Charente. "Ils avaient des panneaux en bois depuis... je ne sais pas. Peut-être quinze ans ?"
C’est à chaque fois de la négociation. "Normal, un sou est un sou, rappelle Alain Monnereau. Si ce n'est pas utile, pourquoi devrait-on changer de matériel ?" Du coup, quand ça coince, il arrive aux commerciaux de promettre "un geste" qui pourra se concrétiser quand ils reviendront proposer leurs nouveautés en matière d'illuminations de Noël ou de feux d'artifice pour le 14-Juillet. Et quand ça coince toujours, l'argument choc est alors de rappeler aux mairies que "c'est l'Etat qui les remboursera au final."
En effet, tous ces aménagements ne sont pas pris en charge par les communes. L’article L-69 du code électoral précise que "les dépenses résultant de l’acquisition, de la location et de l’entretien des machines à voter sont à la charge de l’Etat." Reste que les communes sont tout de même obligées d'avancer l'argent et d'attendre, parfois plusieurs mois, avant de se faire rembourser.
Lors de la dernière présidentielle, en 2012, le montant de la subvention pour l'organisation du scrutin était fixé, pour chaque tour, à 44,73 euros par bureau de vote et 0,10 euro par électeur inscrit sur les listes électorales. Quant à la subvention pour l’achat d’urnes, elle était limitée à 190 euros par article.
Un peu plus de 500 millions de bulletins pour l'Imprimerie nationale
La règle est plus stricte pour les bulletins de vote que les électeurs de Nersac et de Navarre trouveront dans les isoloirs. Là, les imprimeries doivent obligatoirement passer par des appels d'offres déposés par les préfectures. La région Nouvelle-Aquitaine, dont dépend la Charente, dévoilera le nom des entreprises retenues la semaine prochaine.
L'Imprimerie nationale, qui fait partie des candidats, est en bonne place. A chaque scrutin, c'est elle qui remporte la plus grande part du marché. "En 2012, on avait imprimé la moitié des bulletins de vote. Cette année, on part sur les mêmes estimations", glisse-t-on dans les locaux du siège, basé dans le 16e arrondissement de Paris. Soit un peu plus de 500 millions de bulletins qu'il ne faut pas tarder à imprimer. Les machines vont donc commencer à chauffer dès cette semaine.
Les bulletins avec les noms des onze candidats seront livrés partout en France quelques jours avant le premier tour de la présidentielle, le 23 avril. La commune de Nersac pense les stocker dans un endroit protégé dans la mairie. Juste à côté des nouveaux isoloirs. Ceux-là devraient tenir "au moins vingt ans" promet le vendeur, Renaud Dufloux. Ne reste donc plus qu'à prendre à nouveau rendez-vous pour l'élection présidentielle... de 2037.
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