Présidentielle : draguer les électeurs de Mélenchon tout en faisant de l'œil à ceux de Fillon, le grand écart de Marine Le Pen
Pour combler son retard dans les sondages la donnant perdante face à Emmanuel Macron au second tour, la candidate du Front national tente de substituer un clivage "patriotes contre mondialistes" à la place de la traditionnelle division "droite-gauche".
A priori, la tâche s'annonce compliquée. Pour espérer remporter l'élection présidentielle le dimanche 7 mai, Marine Le Pen devra (dans l'hypothèse d'une participation de 80%) trouver environ 11 millions de nouveaux électeurs, en plus des 7,68 millions qui se sont portés sur son nom au premier tour. L'attitude des électeurs de François Fillon (7,21 millions) et de Jean-Luc Mélenchon (7,06 millions), qui représentent le gros des troupes privées de candidat au second tour, sera donc déterminante.
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Selon les sondages publiés depuis dimanche*, la part d'électeurs de François Fillon qui se porteraient sur Marine Le Pen oscillerait entre 28% et 33%. Entre 41% et 49% des fillonistes du premier tour choisiraient au contraire Emmanuel Macron et 19% à 26% voteraient blanc, nul ou s'abstiendraient. Dans l'électorat de Jean-Luc Mélenchon, 9% à 19% envisageraient de se reporter sur Marine Le Pen, 51% à 62% sur Emmanuel Macron, et 29% à 31% à ne pas faire de choix.
Un équilibre difficile à tenir
Des reports largement insuffisants en l'état pour permettre à Marine Le Pen de rêver de l'Elysée. Il lui faut donc, dans l'entre-deux-tours trouver les mots qui lui permettraient de séduire ces électorats a priori antagonistes.
Un choix cornélien risque de s'imposer à la candidate frontiste : donner une trop grande importance à la fibre sociale, étatiste et pro-services publics de son programme pourrait séduire les sympathisants de la France insoumise, mais décourager dans le même temps les électeurs de droite. A l'inverse, en parlant de sécurité, de terrorisme et d'immigration, elle serait en phase avec l'électorat de François Fillon, qui a ardemment développé ces thèmes durant la campagne, mais se mettrait à dos les mélenchonistes.
Durant toute la campagne du premier tour, Marine Le Pen a d'ailleurs oscillé entre ces deux stratégies, choisissant de revenir aux fondamentaux du FN dans la dernière ligne droite. L'équilibre est d'autant plus difficile à tenir que toute une partie du Front national ne verrait pas d'un bon œil des appels trop appuyés à l'électorat de la France insoumise. "Le programme de Marine Le Pen n'est pas celui de Jean-Luc Mélenchon ! Nous n'avons rien de commun avec lui, à part l'analyse qu'il a pu avoir sur la guerre en Syrie", prévient Marion Maréchal-Le Pen dans les colonnes de Famille chrétienne.
"Patriotes" contre "mondialistes"
Pour dépasser ce dilemme, Marine Le Pen va tout faire pour discréditer le clivage gauche-droite et lui en substituer un autre. "Se retrouver au second tour face à Emmanuel Macron va lui permettre de mettre en scène un nouveau clivage entre ceux qu'elle appelle 'les patriotes' et les 'mondialistes', explique Jérôme Fourquet, directeur du département opinion de l'Ifop, interrogé par franceinfo. Elle va pouvoir développer un discours faisant l'éloge de la frontière." Un concept qui a l'avantage de parler à la fois aux partisans d'une économie ancrée dans un territoire face à la mondialisation, mais aussi aux défenseurs d'une identité française.
La mondialisation, c'est le règne de l'argent roi, la dérégulation totale, c'est effectivement le programme d'Emmanuel Macron.
Marine Le Pensur TF1, le mardi 25 avril
Une tactique appliquée dès mardi soir par la candidate FN lors de son interview sur TF1. "C'est une vision de salle de marché (...) Comme si la France était une salle de marché", a-t-elle insisté en parlant du candidat d'En marche !. Et de trancher : "La mondialisation, c'est le règne de l'argent roi, la dérégulation totale, c'est effectivement le programme d'Emmanuel Macron."
Pour développer ce discours, Emmanuel Macron, qui défend un libéralisme économique, mais aussi un libéralisme sociétal, est l'adversaire idéal. D'ici au 7 mai, Marine Le Pen devrait, en outre, le présenter comme le candidat de la continuité. "Hollande le soutient, et tous ceux qui ont participé aux échecs de la droite et de la gauche depuis trente ans sont avec lui, note le secrétaire général du FN, Nicolas Bay, interrogé par franceinfo. Il dit vouloir changer les choses mais lorsqu'on regarde ses grandes orientations, on ne voit pas où est le changement."
Dans son allocution, le soir du premier tour, Marine Le Pen a d'ailleurs posé le débat en ces termes : "Les Français ont un choix très simple : soit nous continuons sur la voie d’une dérégulation totale, sans frontières, et sans protection, avec comme conséquences : les délocalisations, la concurrence internationale déloyale, l'immigration de masse, la libre circulation des terroristes. Soit vous choisissez la France des frontières, qui protègent nos emplois, notre pouvoir d’achat, notre sécurité, notre identité nationale."
L'après-présidentielle en ligne de mire
Sur le papier, l'élimination des candidats représentant les deux grands partis de gouvernement devrait favoriser l'émergence de ce clivage "patriotes contre mondialistes". Lors de son discours dimanche soir, Emmanuel Macron a tenté de ne pas laisser le monopole du patriotisme à sa rivale, se posant en "président des patriotes face à la menace nationaliste".
Pour l'historien Nicolas Lebourg, spécialiste de l'extrême droite, il n'est pas certain que la stratégie de Marine Le Pen suffise à agréger les électorats souverainiste et antilibéral. "La culture d’opposition au FN, les valeurs antiracistes rendent cela très théorique. Avec la difficulté supplémentaire que l'électorat de droite, orphelin de candidat dorénavant, est bien plus proche du programme économique d'En marche ! que du Front national", explique-t-il à Libération.
Même en cas de défaite le 7 mai, un score honorable de Marine Le Pen pourrait donner du corps à ce nouveau clivage. Avec l'ambition pour le Front national de devenir, lors des élections législatives de juin, la première force d'opposition au "mondialiste" Macron.
Mais en cas de lourde défaite (par exemple si Marine Le Pen obtient moins de 40% des suffrages), le Front national n'échappera en revanche pas à un débat interne. Le "ni droite ni gauche" actuel pourrait être contesté par les partisans d'une ligne plus identitaire et ouverte à des alliances électorales avec une partie de la droite parlementaire actuelle. Des critiques qui ont déjà été formulées par Jean-Marie Le Pen sur France Inter le 25 avril. "Il y avait des problèmes beaucoup plus clivants comme l’immigration massive, la sécurité, le chômage, les déficits budgétaires, tout cela me paraissait plus efficace électoralement que le problème européen proprement dit", a-t-il lancé.
*Sondage Ipsos pour France Télévisions publié le 23 avril, sondage Elabe pour BFMTV publié le 24 avril, sondage Ifop pour Paris Match publié le 24 avril.
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