Le dernier quinquennat ? Pourquoi Emmanuel Macron souhaite revenir au septennat (et ce que ça changera si c'est appliqué)
Entrons-nous dans le dernier quinquennat de la Ve République ? Emmanuel Macron s'est dit "plutôt favorable au septennat", remplacé par le quinquennat depuis 2000. Mais qu'est-ce que cela va changer ?
Un nouveau mandat pour Emmanuel Macron : le président de la République a été réélu, dimanche 24 avril, avec 58,54% des suffrages, battant Marine Le Pen qui a obtenu 41,46% des voix. Il reste au pouvoir pour cinq ans de plus. Mais serait-ce le dernier quinquennat ? Le 12 avril dernier, Emmanuel Macron s'était exprimé sur la réinstauration d'un mandat présidentiel de sept ans, ce que soutenait également la candidate du Rassemblement national. Selon lui, un mandat de sept ans, c'est "un bon rythme pour la présidentielle" et "une bonne respiration par rapport au rythme des législatives."
Mais revenir au septennat, ça changerait quoi ? Est-ce une bonne idée ? franceinfo fait le point sur la question.
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1Pourquoi le quinquennat est-il critiqué ?
Le quinquennat a été adopté le 24 septembre 2000, sous le mandat de Jacques Chirac, alors en pleine cohabitation avec son Premier ministre Lionel Jospin. Tous deux sont de deux bords politiques opposés. À l'époque, le président de la République estime que le quinquennat "serait une erreur", tandis que son Premier ministre défend la mesure, qui figure dans ses engagements de campagne. Pour défendre le quinquennat, Lionel Jospin avait lancé à Jacques Chirac, en plein débat télévisé de 1995 : "Il vaut mieux cinq ans avec Jospin que sept ans avec Jacques Chirac, ça serait bien long !" Phrase qui fera rire aux éclats le président. Cinq ans plus tard, il a changé d'avis et c'est lui qui prend l'initiative de soumettre la réforme au référendum.
En 2000, il s’agissait de mettre en place un renouvellement plus fréquent du mandat présidentiel, mais aussi de diminuer les risques de cohabitation en alignant sa durée sur celle du mandat des députés. L'inversion du calendrier électoral est également décidée et adoptée en juin 2001 afin que les élections législatives se tiennent dans la foulée de la présidentielle. Valéry Giscard d'Estaing, interrogé en 2007 sur France 2, estimait que "le quinquennat change la relation du pouvoir avec le temps (...) Le président ne sera plus le personnage dominant, la statue du commandeur."
Mais vingt ans après, les détracteurs du quinquennat estiment qu'il empêcherait la réflexion sur le temps long, l’action de moyen terme, rognée par les calculs électoraux de réélection. Si la réforme des retraites n'a pas été lancée, c'est parce que l'exécutif manque de temps, plaidait ainsi le président de l'Assemblée nationale Richard Ferrand, invité de "Dimanche en politique" sur France 3 en novembre dernier.
Le quinquennat est aussi régulièrement critiqué pour avoir "renforcé le président de la République", affirmait le constitutionnaliste Didier Maus sur France 2, en septembre 2020. "C'est lui qui est candidat, c'est sur le nom de l'élu que vont être élus les députés six semaines après. Cela forme un socle, une équipe entre le président et la majorité, et c'est cette équipe qui se présente cinq ans après devant les électeurs sur le thème : 'avons-nous bien gouverné ou non ?'" Avec le scrutin majoritaire, le président élu peut disposer d'une majorité de députés fidèle. Mais cela peut se faire au détriment du débat à l'Assemblée, transformée en chambre d'enregistrement. "Dans le quinquennat tel qu’il se pratique actuellement, il y a un côté rouleau compresseur, explique le journaliste Frédéric Says dans son billet politique sur France Culture, le 24 septembre 2020. 'Winner takes all' : le vainqueur gagne tout, la présidentielle et l’essentiel du pouvoir législatif pendant cinq ans. Au grand banquet démocratique, l’opposition se contente des miettes."
2Que va réellement changer le septennat ?
Le septennat changera-t-il foncièrement les choses ? En France, il fut instauré par la loi du 20 novembre 1873 et inauguré par le président monarchiste Patrice de Mac Mahon. Le septennat est devenu au fil des ans une institution, des présidents de la IIIe République jusqu'à Jacques Chirac qui effectuera deux mandats dont un septennat. Aujourd'hui, fixer à nouveau la durée de mandat à sept ans permettrait surtout une désynchronisation des élections, et donc renforcerait le pouvoir du Parlement, dans le cas où il y aurait une cohabitation, c'est-à-dire que le Président de la République devrait gouverner avec un Premier ministre issu du bord politique majoritaire à l’Assemblée. Mis à part le tandem Chirac-Jospin, la France a connu une première cohabitation de 1986 à 1988, lorsqu'après cinq ans de majorité de gauche à l'Assemblée, la droite a remporté les élections législatives et a obligé François Mitterrand à nommer Jacques Chirac comme Premier ministre. Mais aussi entre 1993 et 1995, la "cohabitation de velours" entre François Mitterrand et un Premier ministre de droite, Édouard Balladur (RPR). Aujourd’hui, l’alignement des élections présidentielles et législatives sur des mandats de cinq ans rend presque impossible ce cas de figure. À ce propos, Emmanuel Macron s'est dit favorable à la tenue d’élections législatives de mi-mandat, ce qui pourrait correspondre à la "respiration démocratique" voulue par Emmanuel Macron à mi-mandat, à la manière des "midterms" aux États-Unis.
On peut d'ailleurs se demander quel président a gouverné sept ans sous la Ve République. Réponse : "Il n'y a eu quasiment que des quinquennats, même avant la réforme constitutionnelle de l'an 2000, estime le constitutionnaliste Dominique Rousseau sur France Culture. Le général de Gaulle a été élu en 1965 et il est parti en 1969. Georges Pompidou a été élu en 1969 et il est parti en 1974. François Mitterrand a été élu en 1981, mais il n'a gouverné que jusqu’en 1986. Il a été réélu en 1988 et n’a gouverné, en réalité, que jusqu'en 1993. Autrement dit, la période pendant laquelle les présidents ont gouverné avant la réforme constitutionnelle, c'est plutôt cinq ans. Alors même que la durée officielle était de sept ans."
"Si je regarde cette chronologie : de Gaulle, Pompidou, Raymond Barre, Mitterrand, Jospin, n’ont eu la réalité du pouvoir politique, n’ont déterminé la politique de la France, que pendant cinq ans."
Dominique Rousseau, constitutionnalisteà France Culture
Au final, "ce qu'a fait la réforme de 2000, en quelque sorte, c'est de constitutionnaliser ce qu'avait fait Mitterrand, poursuit Dominique Rousseau. Puisqu'avec le quinquennat, le président élu n’a plus besoin de dissolution car on a dans le même temps renversé le calendrier électoral et on a mis les élections législatives après l’élection présidentielle."
"Je ne suis pas sûr que revenir au septennat soit la proposition la plus heureuse, estimait sur franceinfo le constitutionnaliste Jean-Philippe Derosier, mercredi 13 avril. Cet alignement sur cinq ans permettait d'éviter les arythmies électorales qui débouchaient sur un pouvoir qui était tantôt attribué pour cinq ans, tantôt pour deux ans, parfois pour trois ans. Bref, on ne savait jamais pour combien de temps est-ce qu'on était en mesure de gouverner." Jean-Philippe Derosier préfère l'alignement des mandats du président de la République et des députés sur celui des mandats locaux, c'est-à-dire six ans. "Si on alignait tout sur six ans, on aurait là une cohérence et effectivement, on pourrait envisager d'avoir des élections de mi-mandat avec les élections locales qui seraient regroupées au même moment."
3Est-ce possible de repasser au septennat ?
C'est tout à fait possible. Et c'est d'ailleurs ce qui a été fait en 2000 pour passer du septennat au quinquennat. Pour cela, il faut réviser la Constitution française, dont l'article 6 établit que "le président est élu pour cinq ans au suffrage universel direct". Dans un premier temps, le président devrait faire appel à l'article 89, qui prévoit que le texte en révision soit "voté par les deux assemblées en termes identiques", c'est-à-dire l'Assemblée nationale et le Sénat. Ensuite, deux possibilités existent : présenter le projet de révision au référendum ou le soumettre au Parlement – Assemblée nationale et Sénat – convoqué en Congrès.
En 2000, pour l'instauration du quinquennat, les Français ont répondu oui par référendum à une large majorité : 73,21%. Mais l'absention était forte : sept Français sur dix n'ont pas voté, la participation n'a été que de 30,19 %, dont 16% ont voté blanc ou nul. La loi constitutionnelle relative à la durée du mandat du président de la République a été promulguée le 2 octobre 2000. Et le quinquennat a été appliqué pour la première fois lors du mandat suivant, après l'élection de 2002.
Cette fois, le retour au septennat, s'il prend forme, n’aura pas de conséquence sur le mandat à venir : seuls une démission, un empêchement, une vacance, une destitution ou le décès du président en exercice peut interrompre son mandat. "Quand on parle de réforme constitutionnelle, je dis que le septennat me paraissait une bonne option, mais il ne vaudra de toute façon pas pour le mandat qui vient, d'évidence", avait précisé Emmanuel Macron sur France 2, mercredi 13 avril. S'il était adopté au cours de la prochaine mandature, le retour au septennat ne pourrait être mis en application que pour le président qui doit être élu en 2027. Et cela se fera sans Emmanuel Macron : depuis la révision constitutionnelle de 2008, un président ne peut pas exercer plus de "deux mandats consécutifs".
4Et chez nos voisins, comment ça se passe ?
Si l'on regarde à l'étranger, le septennat n'est pas la durée majoritaire des mandats. Près de chez nous, seul le président italien est élu – par les membres du Parlement, la Chambre des députés, le Sénat de la République, et cinquante-huit délégués régionaux – pour une durée de sept ans, renouvelable indéfiniment. La Constitution n'interdit pas explicitement sa réélection, mais aucun président n'a jamais sollicité un second mandat. Mais le pouvoir exécutif italien est principalement exercé par le président du Conseil des ministres. "En Italie, le système est très parlementaire et tourne beaucoup autour des partis, explique Daniele Zappalà, journaliste franco-italien, correspondant du quotidien Avvenire, samedi 9 avril dans les informés de franceinfo. Finalement, cette image de la négociation permanente entre les chefs des partis, le parti, les courants de son parti, etc, ça donne beaucoup de suspens aux élections italiennes, au paysage politique italien, mais ça nourrit une sorte de jalousie par rapport à la stabilité du système français."
"En Italie, on voit le système français d'aujourd'hui comme un système napoléonien : il y a un chef, meneur de troupes, qui a cette capacité d'entraînement d'un parti. C'est un système un peu à l'opposé [du système italien] mais qui assure la stabilité."
Daniele Zappalà, journaliste franco-italien, correspondant du quotidien Avvenireà franceinfo
En Espagne, le chef du gouvernement est élu pour quatre ans. "C'est un système plutôt législatif, parlementaire, avec un système électoral plus représentatif, moins majoritaire, pointe Enric Bonet, correspondant à Paris du Público et du journal catalan El Punt Avui. En France, je trouve que c'est un système un peu problématique qui fonctionne de moins en moins bien. Comme dit le politologue Vincent Tiberi, certains Français sont en train de perdre de plus en plus l'habitude de voter."
Chez nos voisins allemands, le président de la République fédérale d'Allemagne est élu pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois. Mais il n'a que très peu de pouvoir : c'est le chancelier allemand qui dirige le pays. Le mandat du chancelier dure quatre ans, et son nombre n'est pas limité. Tandis qu'au Royaume-Uni, le Premier ministre prend la tête de l'exécutif après avoir remporté la majorité législative et avoir été nommé par la reine, sans autre limitation de durée que la conservation de sa majorité. Par exemple, Tony Blair aura passé dix ans comme locataire du 10, Downing Street.
Emmanuel Macron prend beaucoup exemple sur les élections de mi-mandat, dites "midterms" aux États-Unis, un système qu'il envisage de proposer en France. Ces élections ont lieu au moins de novembre l'année suivant le début du mandat du président, qui dure quatre ans, renouvelable une seule fois. Pour un pays aussi grand, c'est court. Et il faut savoir que les campagnes électorales américaines sont très longues : le début des primaires a lieu lors de la dernière année du mandat. Celle-ci se retrouve alors totalement absorbée par le scrutin à venir.
"En France, il y a peut-être un désintérêt pour des élections qui donnent l'impression de reconduire toujours les mêmes, ou de reconduire des députés et des sénateurs qui n'ont pas assez de pouvoir dans le système français, estime sur franceinfo Richard Werly, journaliste suisse, correspondant du journal Le Temps à Paris. La difficulté du système français, c'est qu'il y a le président tout en haut et on a l'impression que le Parlement disparaît. Il y a là aussi sans doute des ajustements à faire pour que cette Ve République soit plus moderne, qu'elle reflète mieux l'air du temps."
À ce propos, la politologue Chloé Morin, dans Les informés de franceinfo, note que "la réforme de l'Etat, on en parle tout le temps, mais quand vous faites campagne sur ces réformes pour faire en sorte que l'Etat soit outillé pour agir en fonction du 21e siècle, ça n'intéresse personne." D'après elle, "la réforme de nos institutions" n'a pas été mise en avant durant la campagne, avec la question de savoir "comment on partage le pouvoir dans un société qui est très divisée, dans un pays qui est de plus en plus une Cocotte-Minute."
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