Présidentielle 2022 : on vous raconte la communication ultra-verrouillée de la campagne a minima d'Emmanuel Macron
Avec la guerre en Ukraine, le président de la République mène une campagne courte et restreinte où très peu de choses filtrent. L'obsession de ses équipes : la petite phrase qui ferait polémique. D'où une com cadenassée mais efficace.
Devant plus de 300 journalistes réunis aux Docks de Paris, à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), jeudi 17 mars, Emmanuel Macron détaille pendant quatre heures son programme et répond aux questions de la presse. Son équipe de communication tente de soigner les détails. "A l'arrivée, on m'a demandé : 'Est-ce que tu veux poser une question ? Si oui, quelle est-elle ?' J'étais un peu choqué", raconte un journaliste.
Dans l'entourage du candidat, on dément. Seuls les thèmes auraient été demandés pour organiser au mieux les débats. "Ceux qui n'ont pas répondu ont quand même pu avoir le micro. L'objectif était d'aborder les sujets les plus variés possibles avec des types de médias très différents dans la salle", assure l'équipe d'Emmanuel Macron. "Je n'ai pas l'impression qu'on soit dans une campagne stalinienne… Qu'est-ce qu'on aurait dit s'il y avait eu quatre fois la même question ?" ajoute un député LREM. "Eux justifient cela par une volonté d'organisation, mais ça donne quand même une image de contrôle de la com", réagit un journaliste.
"C'est sûr que ça limite les petites phrases"
Comme à son habitude, le candidat Macron ne laisse rien au hasard dans sa communication. "Il y a une volonté de contrôle bien plus affirmée que sur la fin du mandat, constate le même journaliste. Je ne sais pas si c'est une succession de maladresses ou une stratégie assumée, mais le résultat est un verrouillage." L'équipe du candidat refuse ce terme, car "il n'y a aucune volonté de cacher quelque chose. En revanche, il s'agit de faire en sorte que la com soit organisée."
"On sait qu'une image mal faite peut être moquée sur les réseaux sociaux…"
Un conseiller ministérielà franceinfo
Ce conseiller pense par exemple au conseil de défense de la candidate LR Valérie Pécresse, abondamment raillé. "Mieux vaut un candidat qui contrôle sa campagne que le contraire, mais c'est sûr que ça limite la petite phrase", estime un député LREM. Cette volonté frise parfois l'excès, comme à Poissy (Yvelines), le 7 mars, lors de la première rencontre du candidat avec des Français triés sur le volet. Le maire de la ville, Karl Olive, soutien du président, avait soigneusement préparé la rencontre pour mettre son champion dans les meilleures conditions possibles, comme l'a révélé France Inter en dévoilant les fiches contenant les questions prévues à l'avance.
"Il faut veiller à ce que la maîtrise de la com ne donne pas un sentiment de manipulation", prévient un communicant de la macronie. "L'organisation de Poissy était pleine de bonne volonté, mais elle est apparue comme préparée, ce qui lui a enlevé de la spontanéité, admet François Bayrou, le patron du MoDem. Souvent, les responsables politiques ont peur de l'improvisation. Ils se trompent. La clé d'une communication appréciée par les citoyens, c'est l'authenticité."
"Et Macron n'est jamais aussi bon que dans l'adversité."
François Bayrou, président du MoDemà franceinfo
"Ne tombons pas dans la caricature non plus, ce n'étaient pas des gens qui lisaient un prompteur", relativise un membre du gouvernement. L'équipe du candidat dénonce aussi un mauvais procès : "Les autres candidats louent des salles, invitent leurs adhérents, mettent des militants scandant des slogans et applaudissant, sans contradiction, et cela ne dérange personne, mais il faudrait que la salle d'Emmanuel Macron ne soit forcément pas acquise à sa cause, le malmène, le chahute pour que cela soit crédible ?"
"On ferme le jeu à l'italienne"
L'épisode illustre malgré tout la campagne ultra-maîtrisée du candidat. "On est dans une communication d'entreprise très aseptisée, il y a peu de choses qui dépassent", constate un journaliste. En tête dans les sondages, le président se contente de gérer son avance, sans commettre de faute. "Les vieux observateurs du foot comme moi appellent ça le 'catenaccio', on ferme le jeu à l'italienne. Il ne marquera pas de but, mais il n'en prendra pas", observe le communicant Robert Zarader. "C'est tellement maîtrisé qu'on est vus comme faisant partie d'un plan de com", s'agace un journaliste de la presse audiovisuelle.
Dans ce plan soigné, le président a choisi de multiplier les rencontres avec des Français. Il est, lundi 28 mars, à Dijon, pour un déplacement sur le thème de la jeunesse et de la politique de la ville, où il doit rencontrer les habitants d'un quartier lors d'une déambulation. "Il y a aussi le choix de médias proches des territoires qui reflètent cette volonté de proximité et d'échanges", note un député LREM. Le candidat a notamment choisi de participer à une émission sur France Bleu, puis à "Outre-mer 2022" sur La 1ère, après avoir déjà répondu aux questions de lecteurs de la presse locale lors d'un déplacement à Pau (Pyrénées-Atlantiques) – autre ville tenue par l'un de ses proches, François Bayrou.
Lors de cet événement apparaissent des tensions entre la presse et l'équipe Macron. Au moment où les spectateurs s'installent, les journalistes de l'audiovisuel ne sont pas libres de leurs mouvements. "On nous a dit : 'Vous pouvez venir avec les caméras pour faire un 'tour image', mais par contre vous ne rentrez pas un micro", raconte un journaliste. "Il y avait des contraintes, notamment le fait que c'était organisé par la presse régionale, qui faisaient que ce n'était pas possible avant, mais après la rencontre, répond l'équipe de communication. Ils ont évidemment pu poser toutes les questions qu'ils voulaient aux personnes dans la salle."
Ne pas "abîmer le président"
Au rang des contraintes, la guerre en Ukraine s'est imposée comme la principale. Emmanuel Macron voulait être candidat-président, il est finalement président-candidat. "En raison du conflit, la campagne est faite de grandes incertitudes, notamment sur les agendas, reconnaissent les équipes d'Emmanuel Macron. Nous savons que cette situation est inconfortable pour les journalistes parce qu'ils ont accès à peu d'informations très en amont, mais elle l'est tout autant pour les équipes et pour le candidat lui-même !"
Excepté le rassemblement à Paris prévu le 2 avril, il n'y aura pas d'autre meeting avec le président mais de nombreux rassemblements avec les ministres. "Une campagne un peu par délégation", note un membre du gouvernement. "Le contexte empêche Emmanuel Macron d'en faire plus", assure le député MoDem Christophe Jerretie.
"La population ne comprendrait pas que l'on ait le temps de faire trois meetings par semaine."
Christophe Jerretie, député MoDem de Corrèzeà franceinfo
Prévenir toute perception négative de l'opinion publique, mais pas seulement. "Je peux comprendre que l'on essaie de maîtriser au max car ce qui peut abîmer le candidat peut aussi abîmer le président et, dans le contexte international, on ne doit pas montrer la moindre faiblesse", assure un communicant de la macronie.
"Les ficelles sont un peu grosses"
Pour galvaniser la base autrement que par les meetings, la majorité a trouvé la parade : une web-série intitulée Le Candidat, diffusée chaque vendredi et tournée par un réalisateur embauché par l'entourage présidentiel. Images léchées, musique à suspense, on y découvre les coulisses de la campagne d'Emmanuel Macron. La référence est évidente : Netflix. Le candidat signe ainsi lui-même le récit de sa campagne. "L'idée, c'est de donner une vision de l'intérieur, montrer le candidat à l'arrière-scène", explique un stratège LREM. Pourquoi ne pas avoir fait appel à des journalistes ? "Le réalisateur a accès à des moments publics mais aussi privés. Nous n'avons pas la même relation de travail avec lui qu'avec un journaliste", justifie l'équipe de campagne.
Dans le troisième épisode, on voit Emmanuel Macron, sur un quai de Seine, échanger avec des passants ravis de tomber sur le locataire de l'Elysée. "Monsieur le président, mais quel honneur de vous voir !" lui lance une jeune femme. "On est quand même le plus beau pays du monde", s'enthousiasme le candidat sur le pont des Invalides, la tour Eiffel scintillante en toile de fond. "Les ficelles sont un peu grosses, mais ça fonctionne pas mal", reconnaît un député.
"Il n'y a pas beaucoup d'aspérités, les seules fois où ils croisent de vraies gens, c'est pour faire des selfies."
Robert Zarader, communicantà franceinfo
Pour le moment, aucun épisode n'a montré de discussions stratégiques de campagne. Peu de chances de voir cela à l'écran, mais depuis qu'Emmanuel Macron est au pouvoir, le fonctionnement est bien connu. Le chef de l'Etat ne décide qu'avec un cercle restreint de fidèles, dont son très proche secrétaire général, Alexis Kohler. D'où une frustration chez certains élus.
"Le programme s'est construit sans les députés, qui avaient pourtant cinq ans d'expertise. Ils ont été mis devant le fait accompli."
Un député LREMà franceinfo
"Mais est-ce que le président a besoin de nous ? Il a besoin de lui-même", soutient un autre député. "La campagne se décide dans la tête d'un homme, ça lui a plutôt bien réussi jusque-là. Si certains n'ont pas accepté ça au bout de cinq ans, c'est leur problème", cingle un conseiller ministériel. "Au moins, les choses sont tranchées. Je préfère ça plutôt qu'un fonctionnement à la Pécresse avec son armée mexicaine", embraye un autre.
"Un vrai sujet de précarité démocratique"
"Ils ont une vision très managériale, avec des rôles bien dévolus", résume la professeure de communication politique Anne-Claire Ruel. Mais les résultats sont là, à en croire les pontes de la macronie. "Une campagne efficace n'a pas besoin de se faire à beaucoup de têtes", estime un secrétaire d'Etat. "Le verrouillage est une bonne chose, parce que la petite phrase peut faire mal dans les sondages", embraye Christophe Jerretie. Certains ont bien conscience que "pour la presse et les adversaires, cela peut manquer de sel", mais "ça marche". Effectivement, les journalistes déplorent cette stratégie tout en constatant son efficacité, notamment au regard des intentions de vote.
"Cela me déprime en tant que journaliste, mais tu es presque obligé d'applaudir. Si je travaillais dans la com, je ferais comme eux."
Un journalisteà franceinfo
Reste que cette campagne a minima, sans débat avant le premier tour, peut poser question d'un point de vue démocratique. "Emmanuel Macron est à l'économie. Il n'a besoin de rien faire, pourquoi irait-il prendre des risques ? s'interroge Robert Zarader. Mais il y a un vrai sujet de précarité démocratique." Les opposants au président ne s'y sont pas trompés en accusant ce dernier de se soustraire au débat. Certains, dont Gérard Larcher, le président LR du Sénat, questionnent même sa légitimité s'il était réélu.
Des propos qui suscitent l'indignation des macronistes, qui ne redoutent qu'une chose : la possible "démobilisation de [leur] électorat" devant un scrutin qui semble joué, selon un membre du gouvernement. Les instituts de sondage annoncent une participation comprise entre 63% et 71% au premier tour, des niveaux jamais atteints sous la Ve République. La crainte ? Une simple reconduction du président, et non une vraie réélection.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.