Présidentielle vue d'Aulnay : "Dans les banlieues, il n'y a pas que des problèmes de sécurité"
À quatre semaines du premier tour de l'élection présidentielle, franceinfo donne la parole aux jeunes électeurs d'Aulnay-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis, une banlieue marquée par l'affaire Théo.
À quatre semaines du premier tour de l'élection présidentielle prévu le 23 avril, franceinfo donne la parole aux jeunes électeurs d'Aulnay-sous-Bois, ville de Seine-Saint-Denis marquée par l'affaire Théo en février 2017 et par les incidents qui ont suivi. Le jeune homme a grandi dans le quartier de la Rose-des-Vents, à deux pas de la cité de l'Europe et ses 800 logements. Nous nous rendons à la Régie de quartier, un lieu associatif où l'on vient prendre un café ou manger un panini. On y vient aussi discuter, regarder la télévision, jouer au baby-foot ou encore soulever de la fonte dans la salle de musculation mise à disposition.
Ici, beaucoup de jeunes, même s'ils n'avaient pas tous le droit de vote à l'époque, se souviennent de l'élection présidentielle de 2012. À 8 km de la cité, en meeting au Bourget, le candidat François Hollande avait promis de faire des banlieues une priorité. Il avait recueilli 63% des votes au second tour à Aulnay-sous-Bois. Mais cinq ans plus tard, c'est le désenchantement. "Qu'on vote à droite ou à gauche, c'est la même galère. J'ai voté Hollande et en fait ça reste la même chose", témoigne une jeune femme. "Voter pour qui, pourquoi ? Ça sert à rien. On reste ici, on pourrit ici", renchérit son voisin. Et de conclure : "C'est pour ça que je ne vote plus, c'est bon !"
Sentiment d'abandon et d'injustice
Quant à l'affaire Fillon, certains n'en n'ont même jamais entendu parler et pour ceux qui sont au courant, leur jugement est sans concession. "Les politiciens, il y a toujours des scandales qui sortent sur eux, alors que nous on est là et on galère pour trouver du travail", commente cette habitante. Un sentiment d'injustice partagé par beaucoup dans le quartier.
On a refusé Karim Benzema en équipe de France parce qu'il était sous instruction judiciaire. Fillon, lui, est candidat à l'élection présidentielle. Il y a vraiment deux poids, deux mesures
Un jeune électeur d'Aulnay-sous-Boisà franceinfo
Plus virulent, un autre assure : "Les politiciens, faut pas leur faire confiance. Au final, ce sont tous des arnaques. Ce sont ceux en costumes les plus gros voyous. Nous, on n'est pas des voyous", lance-t-il tandis que dans le local passe la chanson Hall Story du groupe Sniper. "Qui carotte le plus de barres ? Est-ce le voleur en cost-la ou le voleur en costard ?", chante le rappeur, qui fait référence ici.
Une défiance qui se traduit dans les urnes
Il y a cinq ans déjà, dans les bureaux de vote du quartier de l'Europe, l'abstention s'élevait à 35%, soit quinze points de plus qu'au niveau national. Aujourd'hui encore, la résignation est palpable. Pourtant, certains jeunes d'Aulnay-sous-Bois ont décidé de réagir et de se lancer en politique. Tout est parti d'un groupe de trois copains de la cité, âgés entre 26 et 32 ans. En janvier, ils ont créé un mouvement citoyen qu'ils ont baptisé La Révolution est en marche, sans aucun rapport avec le mouvement En Marche ! d'Emmanuel Macron. Ces jeunes sont persuadés que les élus et politiques actuels n'ont plus d'avenir étant donné leur comportement.
Pour Mohamed, gardien d'immeuble, les hommes politiques "ne sont pas là, sur le terrain, pour voir comment ceux qui touchent 1 500 euros font pour s'en sortir. Eux ne touchent pas le même salaire que nous. Ils sont déconnectés", dit-il. "Les membres de la noblesse, on en a marre", embraye Abdel, ex-chauffeur de VTC au chômage.
Les petits avantages en nature, les petits passe-droits dont ces gens-là jouissent depuis des années... On en a marre des politiciens qui font des calculs pour savoir comment manipuler les gens. Ce sont des stratégies qu'on déteste, on n'en veut plus !
Abdel, du mouvement La Révolution est en marcheà franceinfo
"Pourquoi voter pour des personnes qui ne me représentent même pas ?", s'interroge à son tour Hadama, animateur. "On ne se sent pas représenté par les politiques. Ils parlent d'un quotidien qu'ils ne vivent pas", poursuit-il.
Pour une révolution de "la façon de penser"
L'objectif de Mohamed, Abdel et Hadama est de monter une liste pour les municipales de 2020 à Aulnay-sous-Bois. Mais après avoir réuni 80 membres en deux mois, les trois garçons qui organisent des réunions et des discussions chaque dimanche, regardent au-delà du simple cadre local. "C'est un mouvement qui veut réveiller les consciences, explique Abdel. Là, on est vraiment le tiers état, les sans-culottes. Je n'ai pas fait l'ENA, je n'ai pas fait les grandes écoles. Pendant très longtemps, on a stigmatisé les habitants des banlieues : des bandits, des voyous... Mais dans les banlieues, il y a des talents, des gens qui réfléchissent, qui veulent faire changer les choses. Et on le fera, que ça leur plaise ou pas".
Pour l'instant, c'est encore petit. Mais vous allez voir ! Si tout le monde fait la même chose dans toutes les villes de France, au bout d'un moment on aura du pouvoir et on va pas lâcher l'affaire, renchérit Mohamed. On est en France. C'est un beau pays". Et Hadama de prédire que "dans quinze ans, c'est nous qui allons présenter une liste aux élections présidentielles. Et vous verrez, des quartiers populaires va ressortir une réelle révolution de la façon de penser".
Tout sauf le FN, mais aucun candidat idéal
Le mouvement citoyen La Révolution est en marche fait des petits. Des antennes sont nées ces derniers jours à Hem et Roubaix, dans le Nord, à Nantes, Marseille et Bobigny. Mais pour ces jeunes d'Aulnay, comme pour l'ensemble des Français, la prochaine échéance, c'est l'élection présidentielle. Que vont-ils faire les 23 avril et 7 mai prochain ? Le mouvement compte quantité de jeunes issus de l'immigration. Leurs parents n'ont jamais eu le droit de vote. Ils tiennent, eux, à ce droit. Voter est même un devoir. Ils iront aux urnes. Au second tour, disent-ils, "tout sauf Le Pen". Si elle est élue, certains craignent une guerre civile dans les banlieues.
Mais au premier tour, beaucoup, dépités, disent qu'ils voteront blanc. "Actuellement, ce n'est même plus une campagne. On est dans de la télé-réalité", commente un jeune homme rencontré à la Régie de quartier, pour qui, là encore, les arguments des candidats sont basés sur des clichés réducteurs, loin des préoccupations réelles des habitants de banlieue.
Moi, en tant que jeune de banlieue, je ne me sens pas concerné par les programmes étalés. La sécurité, c'est la carte la plus facile.
Un jeune électeur d'Aulnay-sous-Boisà franceinfo
"Il y a des problèmes de logement, d'insalubrité, il y a des problèmes de santé. Et ces cartes-là, on ne les sort pas, faute de proposition", poursuit-il. Hadama a lui sa définition du candidat qui pourrait faire bouger les lignes. "Les débats ne volent pas haut. Ils nous renvoient toujours à nos origines, à nos confessions", constate le co-fondateur de La Révolution est en marche.
Le candidat idéal, il sera dans les valeurs humaines. Il ne stigmatisera pas une population, il sera proche de son peuple, il fera attention que l'éducation, l'arme la plus importante pour un être humain, soit égale pour tous
Hadama, du mouvement La Révolution est en marcheà franceinfo
En attendant le candidat idéal pour ces jeunes, la tâche s'annonce difficile pour les onze prétendants à l'Élysée s'ils veulent renouer avec cet électorat dans le dernier mois de campagne. Il y a, en France, environ 1 500 quartiers comme la cité de l'Europe à Aulnay-sous-Bois. Cela représente près de cinq millions d'habitants... beaucoup d'électeurs.
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