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Municipales : comment le FN a réussi son coup de théâtre à Avignon

Le candidat du Rassemblement bleu Marine, soutenu par le Front national, est arrivé en tête au premier tour. Du jamais-vu dans "la cité des papes". Francetv info s'est rendu sur place pour comprendre les raisons de cette percée.

Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Le candidat du Rassemblement bleu Marine à Avignon (Vaucluse), Philippe Lottiaux, dans son local de campagne, le 26 mars 2014. (VIOLAINE JAUSSENT / FRANCETV INFO)

En juillet, les affiches placardées aux abords des remparts d'Avignon font la promotion de pièces de théâtre, pour le célèbre festival. Cette année, le spectacle a commencé en avance dans cette ville de près de 95 000 habitants, située dans le Vaucluse, avec en guest star Philippe Lottiaux, candidat aux municipales soutenu par le Front national. Dimanche 23 mars, au premier tour, avec 29,63% des voix, il a devancé d'une courte tête la socialiste Cécile Helle (29,54%). Bernard Chaussegros, le candidat UMP, arrive derrière (20,9%) alors que le parti gère la ville.

Au second tour, dimanche 30 mars, les trois candidats s'affronteront dans une triangulaire. Le scrutin s'annonce serré. Comment Philippe Lottiaux, ancien directeur général des services de Levallois-Perret aux côtés du maire Patrick Balkany, humoriste à ses heures perdues, parachuté décomplexé, a-t-il réussi ce coup de théâtre ?

En surfant sur le label Marine Le Pen

Philippe Lottiaux, qui n'est pas encarté au FN, fait campagne sous l'étiquette Rassemblement bleu Marine, ce qui lui permet de convaincre au-delà du Front national. "Beaucoup de personnes sont bloquées sur le label FN, estime Philippe Lottiaux. Cela a suscité soit de très bonnes réactions, soit de la méfiance. Mais la majorité, finalement, a envie de voir ce qu'on va faire." Au cours d'un tractage avec deux jeunes encartés au FN et deux sympathisantes proches de La Manif pour tous, les réactions des passants illustrent parfaitement son propos.

Des jeunes FN tractent à Avignon (Violaine Jaussent / francetv info)

La plupart d'entre eux prennent le tract, même si beaucoup ne votent pas à Avignon. Quelques-uns sourient. D'autres ne disent pas oui au FN, mais font des sous-entendus sur leur vote. Il y a aussi des réactions épidermiques : une femme déchire puis jette son tract. Un homme leur crie : "Hitler, on a déjà donné, on sait ce qu'il a fait !"

Philippe Lottiaux reconnaît que l'étiquette FN peut encore hérisser. C'est ce qui s'est passé avec Olivier Py, le directeur du festival d'Avignon, qui envisage de démissionner ou de délocaliser l'événement si le FN remporte l'élection. "Mais là, c'est lui qui joue sur les peurs, pas nous", glisse Philippe Lottiaux. La menace brandie par Olivier Py a eu un fort retentissement médiatique, et le candidat tourne la situation à son avantage. "Cela nous fait un sacré coup de pub, confie son directeur de campagne. On croule sous les demandes de journalistes." A tel point que le candidat enchaîne les interviews dans la presse nationale, voire internationale, quitte à renoncer à tout tractage dans l'entre-deux-tours. Pourtant, ce n'est pas lui le favori du second tour, mais la candidate socialiste.

Mais Philippe Lottiaux espère bénéficier d'une dynamique locale, comme au premier. Le vote Front national est ancré dans le Vaucluse depuis le début des années 90, mais jusqu'ici, Avignon ne lui avait offert aucun élu. "Il y a une base électorale existante", avance-t-il. En 2011, le PS était opposé au FN au second tour des cantonales. En 2012, Marine Le Pen a obtenu un peu plus de 20% des voix à l'élection présidentielle, tout comme le candidat du FN aux législatives.

En transformant le parachutage en atout

Philippe Lottiaux l'a reconnu dès le départ : il est parachuté à Avignon. "J'y suis déjà venu régulièrement pour le festival, ceci, cela, mais je ne vais pas dire : 'Je connais Avignon, j'ai des attaches à Avignon'. Ce ne serait pas vrai. (...) J'ai un métier qui pour l'instant n'est pas à Avignon. Donc je vais faire pas mal d'allers-retours entre Paris et Avignon." C'était le 1er décembre 2013, face à la caméra du "Petit journal" de Canal +. En janvier, il a posé ses valises à Avignon, et il est allé sur le terrain. "Finalement, il n'y a pas eu beaucoup d'allers-retours. J'ai tout mis entre parenthèses pour la campagne", indique-t-il.

Cette posture lui a, contre toute attente, facilité la tâche. "Quand je suis arrivé, je ne devais rien à personne. Et personne ne me devait rien. Je ne dirais pas que le parachutage est un avantage, mais ce n'est pas un handicap non plus", commente-t-il. Enarque et fin connaisseur des collectivités locales, il intègre les problématiques d'Avignon à la vitesse grand V. "Ils attendaient quelqu'un de nouveau. J'apporte un peu de fraîcheur", ose-t-il. Avant d'ajouter en riant, avec fausse modestie : "Je vais avoir les chevilles qui enflent."

Philippe Lottiaux n'est pas le seul candidat parachuté à Avignon. Désigné comme dauphin par la maire sortante, l'UMP Bernard Chaussegros semble sorti du chapeau de Marie-Josée Roig. Il est né à Pertuis, à 80 km d'Avignon, mais vit à Paris. Son parachutage a eu lieu en janvier 2013, mais il semble n'avoir jamais atterri. Il pâtit du bilan de la maire, qui a dirigé la ville pendant 18 ans. Et du climat d'affaires qui l'entoure : Marie-Josée Roig a décidé de quitter la politique en octobre 2013, après des révélations sur l'embauche de son fils comme assistant parlementaire à ses côtés.

En exploitant les faiblesses de l'UMP

Bernard Chaussegros s'est aussi frotté à l'inimitié des adjoints de Marie-Josée Roig. Deux d'entre eux ont fini par rallier la liste Rassemblement bleu Marine, dont l'un en 11e position. Un dissident a longtemps hésité à demander l'investiture du FN, avant de rejoindre Bernard Chaussegros mi-janvier. La maire elle-même a reçu Philippe Lottiaux dans son bureau. "Tout ce climat a contribué à faire sauter la digue entre l'UMP et le FN", juge Jean-François Cesarini, président de la fondation Terra Nova dans le Vaucluse, marquée à gauche. Pour l'électorat de la droite républicaine, le signal est fort : le candidat bleu Marine n'est plus le diable, et peut même sembler plus compétent que le représentant de l'UMP.

Bernard Chaussegros peine depuis un an, quand son adversaire d'extrême droite montre qu'en trois mois, il a saisi les enjeux de la campagne. Jeudi 27 mars, lors d'un débat organisé à l'université, il lit ses notes et avance ses arguments d'un ton hésitant. Il propose d'associer les étudiants aux César de la gastronomie, un événement qu'il veut mettre en place à Avignon. Avant de se raviser, devant les moqueries de l'amphithéâtre. Il suggère finalement d'organiser avec les étudiants une Nuit blanche, sur le modèle de l'événement culturel créé à Paris.

Le candidat du FN à Avignon (Vaucluse), Philippe Lottiaux (à gauche), devant son directeur de campagne et des étudiants. (VIOLAINE JAUSSENT / FRANCETV INFO)

Bon orateur, charismatique en public, Philippe Lottiaux, lui, regarde les étudiants quand il parle. Sa voix est posée. Il écoute ses adversaires. Son discours fait davantage penser à celui d'un candidat du centre droit. On est loin, bien loin, des coups d'éclat de ces candidats FN qui attaquent de front leurs adversaires. "Je n'ai jamais vu un candidat Front national comme ça, reconnaît Jean-François Cesarini. Avec son vernis impeccable et son discours acceptable, il avance comme un cheval de Troie."

En séduisant les quartiers délaissés

"Le vote pour le Front national s'est décomplexé, y compris dans les quartiers. Un habitant qui se sent mal dans son quartier voit le Front national comme un médecin généraliste qui peut soigner son mal-être", estime le fondateur d'une association de quartier, aujourd'hui bénévole, et mobilisé pour réduire l'abstention au second tour. Ainsi, au premier tour, certains quartiers populaires et défavorisés, comme Monclar, ont donné la prime au candidat d'extrême droite.

"Le vote pour le Rassemblement bleu Marine est plus complexe que celui pour Jean-Marie Le Pen", souligne Jean-François Cesarini. "Certains se disent aussi : 'Si je vote FN, je suis un peu plus français'. Ils reprennent à leur compte des phrases du racisme banalisé, 'ce sont les Arabes' par exemple. lls sont issus de l'immigration, ils ne veulent pas être montrés du doigt comme les fauteurs de troubles au sein de la République", ajoute-t-il.

"Certaines personnes me disent : le racisme, je le vis tous les jours, avec la droite, avec la gauche. Alors, avec le FN, ça ne changera pas", indique le bénévole associatif de 50 ans d'origine algérienne. "Un matin, j'ai vu quelqu'un que je connaissais coller une affiche électorale. Je me suis approché. J'ai vu qu'il collait l'affiche de Philippe Lottiaux. Il était sur la place de l'Horloge [au cœur du centre-ville d'Avignon] au vu et au su de tous. On m'avait parlé de ce basculement, mais je ne l'avais jamais vu. A ce moment-là, j'ai compris que la ligne avait été franchie", ajoute-t-il. Selon lui, ceux qui sautent le pas sont encore minoritaires, mais "les langues se délient". "Si Cécile Helle gagne dimanche, on aura gagné une bataille politique, mais pas la guerre idéologique."

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