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En campagne contre le FN, SOS Racisme est-il à côté de la plaque ?

Après Hénin-Beaumont lundi, l'association antiraciste se dirige vers plusieurs villes où le Front national pourrait conquérir la mairie. Mais son message est-il encore audible ?

Article rédigé par Mathieu Dehlinger
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Des militants de SOS Racisme et de l'Union des étudiants juifs de France (UEJF) rassemblés devant l'hôtel de ville d'Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), le 24 mars 2014. (PIERRICK GRANDOUILLER / FRANCE 3)

Devant la mairie d'Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), ils sont quelques dizaines à s'époumoner, lundi 24 mars : "Nous sommes tous des enfants d'immigrés. Première, deuxième, troisième génération." Le slogan rappelle les débuts de SOS Racisme. Trente ans plus tard, l'association dénonce aux côtés de l'Union des étudiants juifs de France (UEJF) contre l'élection, dès le premier tour des municipales, du candidat du Front national Steeve Briois à la tête de cette ville de 27 000 habitants.

Une campagne trop tardive ?

"La reconquête de la ville commence aujourd'hui", explique à francetv info Ibrahim Sorel Keita, vice-président de SOS Racisme. "En tant que citoyens, c'était indispensable d'être là puisque le Front national est un parti qui ne partage pas les valeurs démocratiques, qui peut être dangereux pour la République." Le militant le reconnaît : il n'avait pas anticipé un succès du FN au premier tour.

"C'est un peu tard", lâche Me Francis Terquem, un historique du mouvement, qu'il a quitté en 2004. L'avocat se présentait cette année sur la liste de son client Gérard Dalongeville, l'ancien maire socialiste de la ville, condamné en première instance à trois ans de prison ferme pour "détournements de fonds publics". "Je n'ai pas vu beaucoup de militants soutenir les démocrates avant le premier tour", déplore-t-il, dénonçant un discours "suranné" de SOS Racisme.

A la veille du premier tour, le mouvement a lancé avec trois autres associations une "campagne-éclair". Mot d'ordre : "Rediabolisons le FN." "Pas de fachos dans nos quartiers", pouvait-on lire lundi sur les affiches collées à Hénin-Beaumont. "C'est quasiment anachronique", estime l'historien Emmanuel Debono, spécialiste des mouvements antiracistes. Il constate que leur discours n'a quasiment pas évolué, malgré leur manque d'efficacité. "Cela n'a jamais permis de faire reculer le FN. Qui se reconnaît sous l'étiquette fasciste à Hénin-Beaumont ? Ce message loupe sa cible."

"Vigilance" face aux "idées toxiques" du FN 

L'initiative pourrait même être contreproductive, analyse Jean-Yves Camus, politologue spécialiste de l'extrême droite. "Le risque, c'est que des électeurs qui se sont prononcés dimanche se demandent pourquoi des gens venus de Paris viennent subitement leur faire la leçon après un vote acquis démocratiquement", explique-t-il. "On respecte le vote des électeurs, mais tous n'ont pas voté pour Briois", répond Ibrahim Sorel Keita, qui insiste : le rassemblement a été organisé avec le collectif lillois de SOS Racisme. Mais il le reconnaît : ses militants n'ont pas été les bienvenus partout. Un café de la ville a même, dans un premier temps, refusé de les servir.

Lors de sa venue, le mouvement a annoncé le lancement d'un "comité de vigilance" face aux idées "profondément toxiques" du FN. Objectif : scruter les premières décisions du nouveau maire. Ibrahim Sorel Keita se dit prêt à agir en cas de discriminations, par exemple dans l'attribution des subventions aux associations, ou dans l'accès aux cantines scolaires.

Pas de grande tournée en bus

En attendant, SOS Racisme se prépare à mobiliser dans d'autres villes où le FN peut emporter la mairie au second tour : Forbach (Moselle) et Fréjus (Var) mercredi, puis Béziers (Hérault). L'organisation a été laborieuse, le déplacement décalé par endroits, pour ménager les susceptibilités des collectifs locaux qui avaient déjà prévu leurs propres actions. Finalement, pas de grande tournée en bus comme il avait été un temps envisagé : trop cher. "Nous sommes une association avec les limites que cela implique, déplore Ibrahim Sorel Keita. Nos subventions ont beaucoup diminué." Le vice-président de SOS Racisme est persuadé qu'une fois sur place, l'association "arrivera à convaincre quelques indécis de ne pas voter FN, mais surtout quelques abstentionnistes de se bouger".

"De toute évidence, aucune de ces actions ne fera basculer le vote", balaye Jean-Yves Camus. Interrogé sur l'impuissance du mouvement face à la poussée frontiste, Ibrahim Sorel Keita désigne un responsable : François Hollande, et ses promesses avortées sur le droit de vote des étrangers ou le récépissé lors des contrôles d'identité"Dans les quartiers populaires, il y a une désillusion à la mesure de l'incurie politique que nous avons aujourd'hui." En attendant un "choc d'égalité", l'association continuera à marteler le même message : "Le Front national est une impasse."

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