Macron chouchouté, Fillon en tatoué... Qui se cache derrière Hotu, le studio de graphistes qui détourne la présidentielle ?
Ce collectif bordelais travaille depuis deux mois pour "L'Emission d'Antoine" sur Canal+. Et remporte un succès grandissant avec ses détournements politiques.
David Pujadas sert un café à Emmanuel Macron, qui ne lui décroche pas un regard. Très vite, François Bayrou accourt pour masser les pieds du candidat d'En marche !. Il est suivi par Robert Hue, qui lui détend les épaules, et Daniel Cohn-Bendit, qui lui lime les ongles. Cette vidéo humoristique, diffusée samedi 18 mars dans "L'Emission d'Antoine" sur Canal+, a été réalisée par Hotu, un collectif de graphistes bordelais qui s'est fait une spécialité de détourner des images politiques à grand renfort d'effets spéciaux.
Créée pour la télévision, la saynète a connu depuis sa diffusion un énorme succès sur les réseaux sociaux. Lundi après-midi, elle avait été partagée plus de 2 000 fois sur Twitter et comptait plus de 6 millions de vues sur Facebook. Des chiffres qui ne tiennent pas compte des multiples reprises de la vidéo sur des comptes d'anonymes.
Hotu, le nom d'un poisson que personne ne pêche
A la base, les cinq vidéastes qui composent le collectif Hotu ne sont pas spécialisés en politique. "Nous avons créé ce groupe autour de notre bande de copains, qui s'est rencontrée dans la région bordelaise à travers les études de graphisme, raconte à franceinfo William Bernard, membre du groupe. Pendant notre formation, nous réalisions de petites vidéos de manière absolument pas professionnelle. Puis, nous nous sommes tournés vers la 3D et nous avons commencé notre activité en 2013 en créant des images pour des projets architecturaux."
Pour trouver un nom à leur collectif, les cinq copains cherchent l'inspiration sur un générateur de mots courts en ligne. "On est tombé sur Hotu [prononcez eau-tu], glisse William Bernard. On a regardé la définition et on s'est aperçu qu'il s'agissait d'un poisson un peu nul, avec une chair fade, beaucoup d'arêtes, et que personne ne pêche jamais. Ça nous a fait marrer et on l'a adopté."
En plus des vidéos réalisées pour des entreprises et des institutions de la région bordelaise "qui [leur] permettent de manger", les cinq graphistes produisent "sur [leur] temps libre" des détournements potaches d'images d'actualité. "L'une des premières qui a bien marché, c'était pendant la cérémonie des NRJ Music Awards, à la fin 2014. On avait profité d'une réaction un peu bizarre de Lenny Kravitz et de la chanteuse Shy'm sur le tapis rouge pour incruster dans l'image un type avec un couteau et faire croire à une tentative d'agression", se souvient William Bernard.
La notoriété de ces détournements explose début décembre 2016. Hotu profite du fond bleu devant lequel se trouve François Hollande au moment d'annoncer son intention de ne pas se représenter à la présidentielle pour détourer l'image sur ordinateur. Et mettre en scène le chef de l'Etat dans un déménagement hilarant et un peu triste du palais de l'Elysée.
"C'est après avoir fait cette vidéo que Canal+ nous a contactés, raconte William Bernard, ravi. A la base, nous pensions qu'ils voulaient simplement la diffuser, mais ils souhaitaient, en fait, conclure un partenariat pour 'L'Emission d'Antoine', dont ils retravaillaient la formule."
"On ne veut pas apporter un regard supplémentaire sur la politique"
Depuis janvier, Hotu travaille sur ses détournements dans une colocation où vivent quatre des cinq graphistes, et suit un rythme bien précis. Le lundi est consacré au choix du sujet et des images les plus récentes propices à être détournées, et les deux jours suivants au tournage et aux effets spéciaux réalisés avec les logiciels 3D StudioMax et After Effects. La séquence est envoyée à Canal+ le jeudi matin. Les équipes de la chaîne ne donnent leur avis que pour améliorer, "à la marge", le résultat, promet William Bernard.
L'idée est de clairement faire du 'fake', mais qui puisse tout de même instiller le doute.
William Bernard, du collectif Hotuà franceinfo
Les cinq amis traitent de politique, mais se défendent d'en faire. "L'idée est de faire une blague avec l'information de base, sans dénoncer quoi que ce soit. C'est ce qu'on a essayé de faire quand on a vu tout le monde se rallier à Macron. Pareil avec Fillon, qui défendait sa nana dans un discours : on a grossi le trait en l'imaginant comme un loubard prêt à se battre, explique le graphiste. Nous ne sommes pas là pour apporter un regard supplémentaire sur la politique. On veut juste se marrer avec ce qui existe déjà."
Ne craignent-ils pas tout de même que ce genre de démarche fasse fuir leurs clients traditionnels ? "Pas du tout, assure William Bernard. Ces détournements politiques ne nous ont rien coûté pour le moment : on continue, par exemple, à bosser avec l'office du tourisme de Bordeaux. Mais notre but, à terme, n'est pas de continuer dans la vidéo institutionnelle. On veut se diriger vers la création et le cinéma. D'ailleurs, nous avons déjà un court-métrage dans les tuyaux."
Pour leur prochain détournement, les Bordelais vont scruter à la loupe le premier débat qui a eu lieu entre les cinq "grands" candidats, lundi soir sur TF1. Mais ils ne comptent pas s'y prendre trop à l'avance : "Il y a quelques semaines, on avait préparé un détournement pour se moquer de l'annonce de candidature de François Bayrou. Finalement, il s'est rallié à Macron et on a dû tout changer dans l'urgence pour la transformer en vidéo de mariage ! On ne se fera pas prendre deux fois", sourit William Bernard.
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