Nominations, décrets d'application... Emmanuel Macron anticipe-t-il une éventuelle cohabitation avec le RN ?
Les esprits s'échauffent à quelques jours du second tour des élections législatives. Mardi 2 juillet, Marine Le Pen a accusé Emmanuel Macron de vouloir mener un "coup d'Etat administratif" en procédant à des nominations à des hauts postes de l'Etat qui "empêcheraient" le Rassemblement national de gouverner s'il accédait à la majorité absolue. En réponse, l'Elysée a balayé ces accusations et appelé la députée du Pas-de-Calais au "sang froid" et à la "mesure".
Pour comprendre cette polémique, il faut revenir un peu plus de trois semaines en arrière. Depuis que la dissolution de l'Assemblée nationale a été prononcée, le dimanche 9 juin, le gouvernement n'a pas véritablement mené d'action politique, avec de nombreux ministres en campagne pour leur élection ou leur réélection. La seule décision à fort enjeu a été la suspension du décret qui encadre les règles de la réforme de l'assurance-chômage, au soir du premier tour des législatives. Ce décret, qui devait être publié le 1er juillet, avait concentré les critiques des oppositions de gauche et d'extrême droite. Excepté ce choix assumé par Gabriel Attal, le gouvernement ne gère plus que les affaires courantes en attendant le verdict des urnes.
Des nominations à la pelle fin juin
Dans ce contexte, le Conseil des ministres hebdomadaire est avant tout l'occasion de valider des nominations à des emplois civils et militaires. Une tâche qu'il sera bien plus difficile de réaliser après les législatives et l'installation d'un nouveau gouvernement. Pour Emmanuel Macron, c'est surtout l'occasion de profiter une dernière fois d'un gouvernement qu'il a façonné avec un allié politique de sa majorité en la personne de Gabriel Attal. Car le camp présidentiel, balayé de nombreuses circonscriptions et en ballottage dans beaucoup d'autres, va connaître un très fort recul à l'Assemblée nationale, à l'issue du second tour. Par conséquent, le gouvernement qui naîtra de cette nouvelle configuration politique devrait être dirigé par une personnalité beaucoup moins alignée qu'aujourd'hui avec le chef de l'Etat.
En attendant ce changement et une éventuelle cohabitation, l'exécutif peut utiliser ce pouvoir de nomination sans restriction. Cela a par exemple été le cas du Conseil des ministres du mercredi 26 juin, avec une trentaine de nominations à des postes divers, d'ambassadeurs, de recteurs ou de hauts magistrats, ainsi que l'égrène le site spécialisé Acteurspublics.fr. "C'est un signe de défaite, peut-être de lucidité en la matière", a pointé Eric Ciotti, le président contesté des Républicains, désormais allié du Rassemblement national, sur Europe 1. Le député sortant des Alpes-Maritimes a toutefois reconnu que "ça s'est toujours fait".
Une manière d'éviter des négociations tendues
Sur la base de "rumeurs" et d'informations de presse diffusées par Le Journal du dimanche ou Europe 1, deux médias possédés par le milliardaire conservateur Vincent Bolloré, Marine Le Pen dit redouter une nouvelle vague de nominations pour ce qui pourrait être le dernier Conseil des ministres du gouvernement de Gabriel Attal, mercredi : "Le président de la République envisagerait demain [mercredi], c'est-à-dire à quatre jours du second tour, de nommer le directeur général de la police nationale, alors qu'il devait rester jusqu'à la fin des JO, et le directeur de la gendarmerie nationale et des dizaines de préfets, et toute une série de gens", a-t-elle fustigé sur France Inter.
"Il y a depuis 66 ans chaque semaine des nominations et des mouvements, notamment l'été, indépendamment des moments politiques traversés par nos institutions", a répondu l'Elysée après les allégations de Marine Le Pen. Procéder à ces nominations avant que le gouvernement actuel soit remplacé représente quoi qu'il arrive dimanche une option intéressante pour le chef de l'Etat, analyse le constitutionnaliste Thibaud Mulier : "Nommer, c'est tisser un réseau de solidarité pour qui veut le pouvoir. Le faire rapidement permet, avec un Premier ministre de son bord, de s'assurer un certain nombre de nominations sans problème", éclaire le professeur de droit public.
"Une fois en cohabitation, il faut un accord entre les deux têtes de l'exécutif pour procéder à la plupart des nominations et cela peut occasionner des blocages, dans un sens comme un autre."
Thibaud Mulier, professeur de droit publicà franceinfo
Par exemple, les préfets sont nommés en Conseil des ministres, par décret du président de la République, sur proposition du Premier ministre et du ministre de l'Intérieur. Le chef de l'Etat doit avoir l'accord du chef du gouvernement pour procéder aux nominations des officiers généraux, des recteurs d'académies ou des directeurs d'administrations centrales, comme l'Autorité des marchés financiers, le Centre national de la recherche scientifique ou encore l'Agence des participations de l'Etat. Le président n'est pleinement autonome que pour nommer le Premier ministre et le président du Conseil constitutionnel, précise le site Vie-publique.fr.
Les décrets d'application bientôt signés ?
"Tous les récits qu'on a des précédentes cohabitations, c'est qu'il a fallu négocier, négocier tout le temps", détaille Lucie Sponchiado, autrice d'une thèse sur le pouvoir des nominations du chef de l'Etat, sur le site Contexte.com. Selon la newsletter de Politico.eu, les services de Gabriel Attal ont aussi demandé au Conseil d'Etat de livrer rapidement leurs avis pour que les décrets d'application de plusieurs textes soient publiés avant lundi. Sans eux, certaines lois ne peuvent pas s'appliquer et un gouvernement de cohabitation pourrait plus facilement modifier certains textes.
Mardi après-midi, d'après le baromètre de l'application des lois, seuls sept décrets sur les 121 que contient le projet de loi sur le financement de la Sécurité sociale avaient été publiés. Aucun des 30 décrets sur la controversée loi immigration, objet de fortes turbulences politiques en décembre dernier, n'a encore été publié. "L'accélération n'est pas très étonnante, explique Thibaud Mulier. Il est possible de revenir ensuite sur les décrets d'application, mais cela peut être sujet à contentieux." Et donc plus compliqué, pour un futur gouvernement en désaccord avec la politique prônée par Emmanuel Macron, de défaire ce qu'ont fait Gabriel Attal et ses ministres.
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