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Législatives : des députés élus en 2017 racontent leur vie de parlementaire, des débuts "folkloriques" à l'examen "passionnant" des textes de loi

Après avoir passé un mandat de cinq ans au Palais Bourbon, des élus de tous bords distillent leurs conseils et astuces à ceux qui pourraient les rejoindre ou leur succéder sur les bancs de l'Assemblée nationale.

Article rédigé par Thibaud Le Meneec
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 12min
Elus pour la première fois en 2017, les députés Aurélien Taché, Loïc Prud'homme, Matthieu Orphelin, Yaël Braun-Pivet et Jean-Michel Fauvergue ont passé cinq ans à l'Assemblée nationale. (ILLUSTRATION ELLEN LOZON / FRANCEINFO)

En 2017, ils étaient 424 à découvrir le Palais Bourbon. Après les législatives des 12 et 19 juin prochains, une bonne partie d'entre eux ne reverront plus les jardins et les couloirs de l'Assemblée nationale. Interrogés par franceinfo, une poignée de ces primo-députés racontent ce qu'ils ont retenu de leur passage à l'Assemblée nationale, après cinq ans de mandat. Ils livrent ainsi de précieuses astuces à celles et ceux qui pourraient connaître la joie d'être élu, dans quelques semaines.

"On a appris sur le tas"

Pour beaucoup, l'apprentissage de la fonction débute... avant l'élection législative. "Je conseille aux futurs députés de lire dès maintenant le règlement de l'Assemblée nationale et des livres comme le Manuel de survie à l'Assemblée nationale", recommande Mickaël Nogal, élu LREM de Haute-Garonne, qui a raconté son expérience de député dans le livre audio La Séance est ouverte.

Mais la théorie ne fait pas tout. "Au début, c'était folklorique", se souvient Loïc Prud'homme, député LFI de Gironde. "On a appris sur le tas." "Quand on veut entrer à l'Assemblée nationale, il faut se repasser des séances bordelisées, pour découvrir comment ça peut mal se passer, parfois", ajoute Matthieu Orphelin, député macroniste devenu écologiste, qui a décidé de ne pas se représenter.

"Pour comprendre la machine, il est nécessaire de revoir des textes qui n'ont pas été au bout."

Matthieu Orphelin, député du Maine-et-Loire

à franceinfo

Ceux qui pensent être élus le 19 juin doivent donc bachoter, en parallèle de leur campagne en circonscription. Sitôt élus, ils devront en effet prendre une série de décisions en un temps record : l'Assemblée nationale entre en fonction le mercredi 22 juin pour sa 16e "législature" et les nouveaux députés commenceront à siéger dans l'Hémicycle dès le mardi 28 juin.

Pour autant, il ne faut pas se précipiter, tempère Yaël Braun-Pivet, députée LREM devenue ministre des Outre-mer. "On doit bien choisir la localisation de sa permanence parlementaire et ses collaborateurs, car il y aura beaucoup de travail au quotidien", explique l'élue des Yvelines. "Recruter une bonne équipe de collaborateurs, quel que soit leur parcours, est indispensable", renchérit Matthieu Orphelin.

Les députés de La République en marche devant l'Assemblée nationale, à Paris, le 24 juin 2017. (GILLES BASSIGNAC / AFP)

Dix jours après le second tour, mercredi 29 juin, la composition des huit commissions permanentes de l'Assemblée nationale sera aussi connue. Là aussi, le moment est crucial pour les nouveaux députés. "Vous faites des vœux, comme en terminale, pour choisir la commission que vous souhaitez intégrer", raconte Mickaël Nogal. "Mieux vaut y réfléchir avant pour se retrouver dans celle qui vous correspond le mieux", abonde Yaël Braun-Pivet, avocate de profession, qui a pris la tête de la très technique commission des lois en 2017.

"Ça mérite d'être vécu"

C'est ensuite que commencent les choses sérieuses avec une séance extraordinaire généralement organisée dès le mois de juillet, qui permet à l'Assemblée de se pencher sur les premiers textes portés par le nouveau gouvernement. Très vite, "il faut repérer les personnes clés dans les cabinets et nouer des liens avec elles", insiste Aurélien Taché, qui a quitté la majorité LREM en mai 2020. Dans le même temps, plusieurs députés conseillent aux novices d'aller se faire connaître auprès de leurs collègues... et du grand public.

"Dès l'été 2017, j'étais rapporteur du budget sur l'immigration et orateur du groupe sur le Ceta, se souvient le député LR Pierre-Henri Dumont. J'ai tout de suite été responsabilisé et je suis même devenu 'Monsieur Brexit' aux yeux de beaucoup de monde."

"Je conseillerais aux nouveaux députés de se spécialiser. C'est bien d'avoir un avis sur plein de choses, mais penser qu'on va être pertinent à parler de tous les sujets, c'est un risque."

Mickaël Nogal, député de Haute-Garonne

à franceinfo

C'est ainsi que certains parlementaires peuvent être amenés à porter une loi particulière, un exercice "génial", selon Jean-Michel Fauvergue, ancien patron du Raid. Le député LREM de Seine-et-Marne, qui ne se représente pas, a été à l'initiative de la loi Sécurité globale avec sa collègue Alice Thourot. "On est dans l'exercice-même du rôle primordial du député qui malheureusement n'est que trop rare, explique-t-il. C'est un travail passionnant, vous interrogez des gens et vous faites un paquet de propositions. Ça mérite d'être vécu."

Sur les bancs de l'Assemblée nationale, à Paris, le 12 octobre 2021. (BAPTISTE ROMAN / HANS LUCAS / AFP)

Parfois, le député peut intégrer une commission d'enquête parlementaire sur des sujets très précis. "Quand ça arrive, on met de côté quelques tâches annexes et on les confie aux collègues, raconte Loïc Prud'homme, qui a présidé la commission sur l'alimentation industrielle en 2018. C'est un travail intense, quasi-exclusif, de six mois." Quatre ans plus tard, le député LFI reste sur sa faim : "Si c'était à refaire, je la mènerais différemment, car on ne mesure pas encore tout le pouvoir qu'on peut avoir. J'aurais pu faire mieux, creuser davantage sur telle question. A un nouveau, je dirais : 'Tu es un député et tu as le pouvoir de faire ça, n'hésite pas, tu peux aller vérifier ça et ça'."

"Il faut être stoïque"

Les députés doivent passer du temps en commission, "mais il ne faut jamais se couper du terrain, c'est très important malgré le nombre important de textes à étudier", avertit Matthieu Orphelin. Miser sur ses assistants parlementaires, revenir aussi souvent que possible en circonscription, répondre aux électeurs sur les réseaux sociaux... Chaque député a sa méthode. Pierre-Henri Dumont a par exemple organisé des parties de jeux vidéo dans sa permanence, jusqu'à la crise du Covid-19. "L'idée, c'était d'échanger deux ou trois heures avec les jeunes de ma circonscription, ça fait partie du job", défend-il.

De retour à l'Assemblée, où ils sont généralement en milieu de semaine, les députés doivent se confronter à l'une de leurs missions principales : voter les lois. "Au début du mandat, raconte Matthieu Orphelin, Roselyne Bachelot m'a dit 'Matthieu, je te donne un seul conseil, vote toujours avec tes convictions plutôt qu'avec les consignes, ça t'évitera de faire bien des conneries'."

"Il y a une liberté de vote à avoir par rapport au groupe. Ce sont les mêmes valeurs qu'on porte, mais parfois, ce n'est pas le même chemin."

Pierre-Henri Dumont, député du Pas-de-Calais

à franceinfo

A l'inverse de son collègue des Républicains, le député LREM Jean-Michel Fauvergue estime qu'"il ne faut pas oublier d'où l'on vient et ne pas trahir les engagements qu'on a pris", quitte à prêter le flanc aux critiques de l'opposition, qui fustige des députés "godillots" de la majorité. Et l'ancien patron du Raid d'ajouter : "Il faut être stoïque face aux événements, ne pas perdre son sang-froid. Je pense aux questions au gouvernement. L'Hémicycle est un mauvais théâtre où les acteurs ne sont pas bons, en général, mais il faut rester au bout de la pièce et savoir applaudir malgré tout."

"On n'a pas ou peu de vie privée"

Une fois qu'ils quittent ce "mauvais théâtre", les députés peuvent retrouver les journalistes, présents dans la salle des Quatre Colonnes. Là, "ça ne sert à rien de donner les éléments de langage, on doit bien répondre aux questions et ne pas s'affoler, car les journalistes sont nos amis", poursuit Jean-Michel Fauvergue.

Le député Aurélien Taché répond aux questions d'une journaliste dans la salle des Quatre Colonnes à l'Assemblée nationale, à Paris, le 19 mai 2020. (CHRISTOPHE PETIT TESSON / POOL / AFP)

Les médias peuvent même permettre à un député novice de se faire connaître du grand public, à condition de "ne pas abuser des punchlines, qui sont à consommer avec modération", met en garde Mickaël Nogal. "Montrez votre travail, car vous serez d'abord reconnu pour ça."

"Au fond, il est nécessaire de rester soi-même."

Yaël Braun-Pivet, élue députée des Yvelines en 2017

à franceinfo

Semaine après semaine, les députés enchaînent les longues journées, pour un marathon aux allures de sprint permanent. "Il faut bien doser ses efforts, car cinq ans, c'est très long", assure Matthieu Orphelin, victime d'un burn-out fin 2019. "Vous rêvez d'avoir des journées de 48 heures", s'amuse Mickaël Nogal. "Mon week-end commence en général le dimanche à 20 heures et je fais la grasse matinée jusqu'à 8h30 le lundi, illustre Pierre-Henri Dumont. On n'a pas ou peu de vie privée, mais ça ne m'a pas empêché de partir deux semaines l'été et une semaine à Noël."

Avec ce rythme effréné, "il y a un travail de préparation auprès de ses proches", prévient Loïc Prud'homme. "Avoir des proches compréhensifs, c'est une bonne base", confirme Mickaël Nogal.

"Il faut être prêt à partir de chez soi pendant trois jours chaque semaine, annuler ses vacances ou les reporter."

Loïc Prud'homme, député de Gironde

à franceinfo

Pour se reposer et "éviter de somnoler" lors des sessions parlementaires, Jean-Michel Fauvergue conseille de prendre "une limonade à la buvette de l'Assemblée". Dans ce lieu atypique du Palais Bourbon, situé derrière l'Hémicycle et réservé aux députés, "vous croisez tous les collègues et des problèmes se dénouent de manière informelle", sourit Mickaël Nogal. C'est ici que se poursuivent les débats "pendant des moments de détente, autour d'un repas", parfois même avec l'opposition.

"La bataille n'a pas été vaine"

Pour finir, de nombreux députés sont confrontés à la violence verbale et physique pendant l'exercice de leur mandat. Des dizaines de permanences ont été dégradées durant les cinq dernières années et les parlementaires contactés par franceinfo confie avoir reçu d'innombrables menaces.

"Il faut se préparer à un monde assez dur en politique."

Matthieu Orphelin, député du Maine-et-Loire

à franceinfo

"Ceux qui viennent de la société civile n'étaient pas habitués à ça", explique Jean-Michel Fauvergue, menacé par Daech lorsqu'il était aux commandes du Raid. En plus des attaques liées à la politique sanitaire du gouvernement, Yaël Braun-Pivet a aussi été visée par des menaces antisémites. La nouvelle ministre conseille "de ne pas le cacher et de porter plainte systématiquement. C'est fondamental, sinon ce sont ceux qui les profèrent qui gagnent."

Des batailles politiques permanentes, une cadence infernale, des menaces très présentes... N'y aurait-il que des coups à prendre une fois l'écharpe de député sur les épaules ? "L'Assemblée nationale, c'est le lieu principal pour faire de la politique en France. C'est très utile", assure Matthieu Orphelin. C'est même le cas dans l'opposition, assure le député insoumis Loïc Prud'homme : "Récemment, je me disais qu'on avait passé cinq ans à prendre des revers, mais la bataille n'a pas été vaine. On a tenu ce pour quoi on était là." Cinq ans plus tard, il a décidé d'être candidat à sa succession. S'ils sont réélus, les primo-députés de 2017 n'auront vraiment plus rien de novices.

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