Législatives 2024 : on vous résume la polémique sur la proposition du RN d'interdire aux binationaux certains postes jugés sensibles
C'est une promesse qui empoisonne la fin de campagne du Rassemblement national. La perspective d'une interdiction de certains postes de la fonction publique aux Français ayant une double nationalité, mesure aux contours flous figurant dans une proposition de révision constitutionnelle déposée par le RN en janvier, expose le parti à de vives critiques à quelques jours du premier tour des élections législatives anticipées, dont il est le favori.
Alors que Jordan Bardella était sommé par ses rivaux de s'expliquer sur ce projet, le député sortant Roger Chudeau a suscité de vives réactions en accusant, jeudi 27 juin, l'ex-ministre de l'Education nationale Najat Vallaud-Belkacem, franco-marocaine, d'avoir eu "un problème de double loyauté". Certains Français porteurs d'une autre nationalité avaient déjà témoigné de leur inquiétude. Franceinfo revient en actes sur cette polémique.
1 Une proposition vieille de plusieurs mois resurgit
L'interdiction de certains emplois aux binationaux est un point de la proposition de loi constitutionnelle déposée par Marine Le Pen le 25 janvier, et consultable sur le site de l'Assemblée nationale. Son article 4 introduirait notamment dans la Constitution le fait que "la loi organique peut interdire l’accès à des emplois, des administrations, des entreprises publiques et des personnes morales chargées d’une mission de service public aux personnes qui possèdent la nationalité d’un autre État", même si elles sont également françaises.
Invité de TF1, lundi matin, Sébastien Chenu, vice-président sortant de l'Assemblée nationale, est interrogé sur ce point du texte. Il confirme que le RN souhaite toujours "empêcher" les personnes binationales d'occuper certains "emplois extrêmement sensibles". Cette mesure pourrait par exemple concerner "des postes de direction stratégique dans la défense", pour en priver "des gens qui soient binationaux russes", explique ce poids lourd du RN, précisant que la liste des postes concernés serait définie "par décret".
"Quand vous êtes Franco-ceci ou Franco-cela, vous êtes Français et vous avez évidemment les mêmes droits que n'importe quel Français", assure par ailleurs Sébastien Chenu, qui avait défendu mi-juin l'interdiction totale de la binationalité, avant de se raviser, cette promesse ancienne du RN ayant été abandonnée par le parti.
2 Jordan Bardella confirme le projet lors de la présentation de son programme
Quelques heures plus tard, lors de sa conférence de presse programmatique, Jordan Bardella est interrogé sur cette proposition concernant les binationaux, qui ne figure pas dans le résumé du programme législatif édité par le Rassemblement national (fichier PDF). Le candidat du RN à Matignon confirme "que les postes les plus stratégiques de l'Etat seront réservés aux citoyens français et aux nationaux français". Son entourage précise par la suite qu'il sous-entend bien "citoyens français uniquement", à l'exclusion donc des binationaux.
"Nous n'entendons pas remettre en cause la double nationalité. (...) En revanche, nous entendons effectivement réserver un certain nombre d'emplois stratégiques dans les secteurs notamment liés à la sécurité et à la défense", détaille Jordan Bardella devant les journalistes, notant que cela concerne "très très peu de personnes".
3 Marine Le Pen assure que "quelques dizaines" de postes sont concernés
Voyant la polémique enfler, la candidate du RN aux dernières élections présidentielle, Marine Le Pen, assure dans la soirée, sur le réseau social X, qu'il n'est pas question de bannir les binationaux de tous les postes de fonctionnaires. "Les double-nationaux peuvent occuper TOUS les emplois dans la fonction publique, bien sûr", écrit-elle, assurant que sa proposition de janvier "ne concernerait que quelques dizaines d'emplois très sensibles dans des postes stratégiques en matière de défense, de nucléaire ou de renseignements par exemple." "Cette courte liste" d'emplois interdits à certains Français "serait revue très régulièrement en fonction de l'actualité géopolitique et de ses conséquences pour notre pays", détaille-t-elle.
4 Gabriel Attal attaque Jordan Bardella
Mardi, Manuel Bompard et Gabriel Attal font face à Jordan Bardella pour le premier débat en vue des législatives, et le Premier ministre se saisit de la polémique naissante pour attaquer son rival du RN. "Est-ce que vous pouvez dire aux Français qui nous regardent qui est Mme Tamara Volokhova ?", l'interroge Gabriel Attal, qui explique qu'il s'agit d'une "conseillère au groupe ID [Identité et Démocratie] au Parlement européen", où siègent Jordan Bardella et les autres élus du RN. Elle "vous représente à la commission des Affaires étrangères sur les questions de sécurité et de défense", poursuit-il, et "il se trouve qu'elle est franco-russe, qu'elle assiste à des réunions à huis clos avec des informations confidentielles sur la guerre en Ukraine."
"La réalité, c'est que votre proposition ne concerne pas du tout des Franco-Russes sur des postes importants, c'est un moyen d'envoyer un message en vous disant que ça vous fera gagner des voix", accuse le Premier ministre, estimant que, pour le Rassemblement national, "Tamara, c'est oui, Rachida, c'est non". "Arrêtez votre cinéma", réplique, agacé, Jordan Bardella, lui reprochant de jeter en pâture une de ses conseillères.
5 Gabriel Attal et Olivier Faure reviennent à la charge avec Olivier Faure
Le sujet revient sur la table jeudi, lors du second débat, diffusé cette fois sur France 2. Gabriel Attal dénonce une nouvelle fois la volonté du RN de "stigmatiser 3,5 millions de Français binationaux". "Le message que vous envoyez, c'est 'Vous êtes plus corruptibles que d'autres, on n'a pas suffisamment confiance en vous pour vous confier des responsabilités'", assène le Premier ministre.
Olivier Faure, venu représenter le Nouveau Front populaire, brandit, lui, le texte déposé par Marine Le Pen en janvier. "Non seulement vous faites le tri entre les Français et les étrangers, ça, on avait compris depuis longtemps, mais maintenant, vous faites même le tri entre les Français", accuse le premier secrétaire du Parti socialiste. "Je ne comprends pas ce que vous me reprochez", assure Jordan Bardella, affirmant que sa proposition "veut dire que quand vous êtes Russe, on ne vous met pas à la tête des services de renseignement français".
6 Un député RN accuse l'ex-ministre Najat Vallaud-Belkacem de "double loyauté"
Dans la foulée du débat, BFMTV interviewe Roger Chudeau, député sortant du Loir-et-Cher, candidat à sa réélection et présenté comme un des spécialistes de l'éducation au sein du RN. Interrogé sur les postes qui devraient être interdits aux Français binationaux, il évoque notamment les fonctions au gouvernement, et prend l'exemple de Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'Education nationale de 2014 à 2017.
"Najat Vallaud-Belkacem, Franco-Marocaine, qu'a-t-elle fait ? Elle a détruit le collège public, et surtout, elle a voulu instituer au CP des cours d'arabe", déclare le député. La ministre avait en réalité réformé en 2016 l'enseignement déjà existant et facultatif de plusieurs langues, dont l'arabe, pour qu'il soit assuré par des professeurs de l'Education nationale et non des enseignants envoyés par des pays étrangers.
"Je pense que les postes ministériels doivent être détenus par des franco-français, point final", poursuit Roger Chudeau, évoquant un "problème de double loyauté". Des propos auxquels l'ancienne ministre a réagi sur X, interpellant Emmanuel Macron sur sa position en cas de triangulaire avec le RN aux législatives.
7 Emmanuel Macron dénonce un "racisme désinhibé", Marine Le Pen désavoue son député
En déplacement à Bruxelles, Emmanuel Macron réagit le soir même aux propos de Roger Chudeau, dénonçant un "racisme désinhibé". Afin de désamorcer la polémique dans la polémique, le député sortant fait savoir, sur X, que sa position sur Najat Vallaud-Belkacem était "un avis strictement personnel, et n'engage nullement le RN".
De son côté, Marine Le Pen tente d'éteindre la polémique vendredi, intervenant sur plusieurs médias dont franceinfo. "Cela n'a jamais été dans notre projet", assure la patronne des députés RN au sujet de l'interdiction de postes ministériels aux binationaux. "Cette déclaration n'est pas admissible parce qu'il est un élu du Rassemblement national et donner son avis personnel tout en sachant pertinemment que ça n'est pas le projet du RN, je considère que c'est une faute lourde." "L'amour que l'on a pour son pays ne dépend pas du fait d'avoir ou de ne pas avoir une double nationalité", assure-t-elle sur CNews.
La "commission des conflits sera saisie", assure par ailleurs Marine Le Pen sur franceinfo. "On ne peut pas" lui "retirer l'investiture à deux jours" du premier tour, mais "je pense que le président du parti", Jordan Bardella, "ne laissera pas les choses en l'état", ajoute-t-elle sur CNews.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.