Législatives 2022 : dissoudre l'Assemblée, une option risquée pour un président ?
La coalition présidentielle, qui a perdu la majorité absolue à l'Assemblée nationale, redoute une crise institutionnelle. Selon certains macronistes, le chef de l'Etat pourrait être contraint de recourir à la dissolution pour sortir de l'impasse.
Il avait réclamé une "majorité solide". Mais Emmanuel Macron ne disposera finalement que d'une courte majorité relative à l'Assemblée nationale. La coalition présidentielle n'a obtenu que 245 sièges à l'issue du second tour des élections législatives, dimanche 19 juin, selon les résultats définitifs du ministère de l'Intérieur. Alors qu'aucun camp n'est en position de rassembler 289 députés (le seuil de la majorité absolue), certains macronistes redoutent déjà une "paralysie totale" de l'Assemblée, rapporte Le Monde.
Et pour cause : les négociations pour constituer une majorité absolue avec d'autres formations politiques s'annoncent complexes. Même en obtenant le soutien des députés divers gauche, divers centre et divers droite, la coalition présidentielle n'atteindra pas le seuil des 289 élus. Il faudrait donc composer avec Les Républicains… mais Christian Jacob a annoncé que son parti resterait "dans l'opposition". Avant de préciser lundi qu'"aucun député Les Républicains ne votera la confiance au gouvernement". "On a un président empêché, peut-être comme jamais on n'en avait eu un", décrypte Bruno Cautrès, politologue et chercheur au CNRS, interrogé par franceinfo.
Une arme présidentielle prévue dans la Constitution
Elisabeth Borne parviendra-t-elle à rassembler suffisamment d'élus pour obtenir le vote de confiance après son discours de politique générale, début juillet ? La majorité arrivera-t-elle à faire voter ses textes dans une Assemblée nationale fragmentée comme jamais auparavant ? Face à la perspective d'une potentielle crise institutionnelle, un conseiller de l'exécutif estime dans les colonnes du Monde que la seule solution d'Emmanuel Macron serait de dissoudre l'Assemblée et d'organiser de nouvelles élections législatives.
Sur le plan légal, les conditions requises sont peu nombreuses : l'article 12 de la Constitution impose au chef de l'Etat de "consulter les présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat, ainsi que le Premier ministre", explique à franceinfo Jean-Philippe Derosier, professeur de droit public à l'université de Lille. "En dehors de cela, le président peut décider de dissoudre l'Assemblée quand il le souhaite." Il n'est ainsi pas obligé d'attendre un certain délai après les législatives pour prendre cette décision.
"La Constitution impose d'attendre au minimum un an entre deux dissolutions de l'Assemblée : si un président le fait, il ne peut pas recommencer avant un délai de 12 mois. Mais rien n'interdit de dissoudre l'Assemblée dans les mois qui suivent des législatives 'classiques'."
Jean-Philippe Derosier, constitutionnalisteà franceinfo
Sur le plan stratégique, en revanche, la dissolution de l'Assemblée est "une arme à double tranchant, pointe Bruno Cautrès. Compte tenu de la popularité en demi-teinte des deux têtes de l'exécutif, cela pourrait être un cadeau à Jean-Luc Mélenchon." "Une élection est, par définition, incertaine, renchérit Jean-Philippe Derosier. Les résultats du second tour l'ont montré."
Dissoudre pour obtenir la majorité, un pari risqué
Les précédents illustrent cette problématique. Sur les cinq dissolutions qui se sont produites sous la Ve République, "trois étaient destinées à construire ou reconstruire une majorité à l'Assemblée", rappelle le constitutionnaliste. A l'époque du septennat présidentiel, l'élection du chef de l'Etat et les législatives ne coïncidaient pas, ce qui pouvait entraîner des épisodes de cohabitation. Pour éviter ce cas de figure, François Mitterrand a dissous l'Assemblée par deux fois, en 1981 et en 1988. "La stratégie a fonctionné et lui a permis de construire une majorité à chaque fois", relève Jean-Philippe Derosier.
Jacques Chirac a, en revanche, raté son pari électoral en 1997. Alors qu'il cherchait à obtenir une majorité encore plus large dans l'hémicycle, le président a vu la gauche l'emporter à l'issue du scrutin. "Cela a mené à la cohabitation avec [le socialiste] Lionel Jospin", souligne le professeur de droit.
"S'il dissolvait l'Assemblée, Emmanuel Macron pourrait sortir conforté ou encore plus affaibli de nouvelles législatives."
Jean-Philippe Derosier, constitutionnalisteà franceinfo
La question du temps politique se pose aussi. "Il n'est pas intéressant pour le président de dissoudre l'Assemblée dans l'immédiat, estime Jean-Philippe Derosier. Le scrutin vient d'avoir lieu. Dissoudre immédiatement, c'est refuser de reconnaître le choix des électeurs." Prendre cette décision "avant que le gouvernement ne rencontre des difficultés" dans la conduite des affaires du pays serait donc "une stratégie extrêmement risquée sur le plan politique".
En revanche, si, au fil des mois, l'exécutif se heurte à une paralysie de l'Assemblée, "voire une motion de censure contre le gouvernement", "la dissolution se justifie", avance le spécialiste. "Cette décision ne serait plus perçue comme une remise en cause des résultats des législatives, mais comme un appel au peuple pour résoudre une crise", conclut Jean-Philippe Derosier.
"Emmanuel Macron n'agira jamais sous la pression. Il va d'abord essayer de passer des textes et constater ou pas que le pays n'est pas gouvernable", confirme un macroniste à franceinfo. Sous la Ve République, la dissolution a déjà été utilisée à deux reprises pour répondre à une crise politique : en 1962, à la suite d'une motion de censure contre le gouvernement de Georges Pompidou, et lors des événements de mai 1968. A chaque fois, elle a permis à Charles de Gaulle d'obtenir une large majorité à l'Assemblée nationale.
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