"Il a un effet repoussoir" : pour les législatives, des candidats du camp présidentiel s'émancipent de la figure d'Emmanuel Macron sur leurs affiches
"Je n'écoute pas le président, je suis en campagne." Cette phrase, glissée en plein tractage sur un marché d'Ile-de-France à l'heure de la conférence de presse d'Emmanuel Macron, mardi 12 juin, n'est pas celle d'un candidat de l'opposition aux législatives, mais d'un député Renaissance qui se représente. Et de poursuivre : "Je ne veux surtout pas être rattaché à lui durant cette campagne. D'ailleurs, il n'y aura pas sa photo sur mon tract." La dissolution de l'Assemblée nationale, annoncée dimanche par le chef de l'Etat en réaction aux résultats des élections européennes, a laissé des traces dans le camp présidentiel.
Les 169 députés Renaissance sortants savent qu'ils ont peu de chances de se retrouver au complet le 7 juillet, au soir du second tour des législatives. Face à la percée historique d'un bloc d'extrême droite à près de 40% aux européennes, certains macronistes disent se préparer à "aller au massacre" dans leur circonscription. Et ils sont nombreux à vouloir s'affranchir de la figure du président, qui a un "effet repoussoir", selon une cadre Renaissance. "C'est d'abord un rejet du président par les Français. Ensuite, les députés sortants ont aussi un sentiment de trahison envers Emmanuel Macron, alors qu'eux ont fait le taff. Ils ne sont pas la raison de la défaite aux européennes", assène cette même source.
Tout le contraire des candidats Rassemblement national, qui, eux, affichent fièrement la photo de Jordan Bardella et Marine Le Pen. Résultat : alors qu'en 2022, et encore plus en 2017, les candidats Renaissance étaient nombreux à s'afficher au côté d'Emmanuel Macron pour la présidentielle, il faut cette fois bien chercher pour trouver mention du chef de l'Etat. "Le président voulait sa gueule partout, certains lui ont fait prendre conscience que c'était peut-être mieux sans lui", glisse un conseiller ministériel. Renaissance laisse ses candidats libres de "faire comme ils veulent" pour leurs affiches, même si des kits sont fournis pour ceux qui seraient en manque d'inspiration.
Adapter les stratégies
"Il n'est pas forcément utile d'en remettre une couche sur le président en ce moment", euphémise encore Benoît Bordat, député sortant de la 2e circonscription de Côte-d'Or, élu de justesse en 2022 face à une candidate de la Nupes. Lui a choisi de faire campagne sur son nom et de mettre un bandeau "candidat des forces démocrates républicaines et progressistes". "De manière naturelle, Emmanuel Macron arrive sur la fin de son mandat, et on sait qu'il va falloir trouver d'autres incarnations", justifie Olga Givernet, députée sortante de l'Ain, qui apparaît seule sur son premier tract de campagne.
Il reste pourtant au locataire de l'Elysée encore trois années d'exercice du pouvoir, mais l'usure est là. Même si certains la relativisent. "C'est normal après sept ans de mandat, répond Damien Adam, député sortant de Seine-Maritime. Face à des oppositions qui promettent monts et merveilles, sans expliquer comment ils financent leurs mesures, forcément cela donne l'impression qu'à côté, on ne fait pas ce qu'il faut pour répondre aux difficultés des gens". L'ancien élu se défend de ne pas mettre Emmanuel Macron en photo sur son affiche : "Je n'avais pas mis Emmanuel Macron sur mes affiches en 2022, donc il n'y a pas de changement."
La campagne express qu'a imposée Emmanuel Macron en choisissant le délai le plus court, conduit ainsi de nombreux candidats à reprendre la photo utilisée il y a deux ans. Mais il faut aussi prendre en compte le résultat des européennes, qui impose des tactiques bien différentes de 2022. Dans de nombreuses circonscriptions, l'image du président est ainsi délaissée. "On adapte la stratégie à son territoire, aux réalités électorales. Chacun fait le choix qui convient le mieux en fonction de la sensibilité de son électorat à la figure du président", assure Marc Ferracci, député sortant des Français de l'étranger. Ce très proche d'Emmanuel Macron n'a pas encore décidé s'il mettrait ou non la photo du président sur son affiche, choix qu'il avait fait pour sa précédente campagne. "Le contexte est différent, on était dans la foulée de la présidentielle, il fallait capitaliser dessus. Mais si je suis seul dessus, ce n'est pas un message de défiance", explique-t-il.
Une préférence pour Gabriel Attal
A cette heure, seul Paul Midy, député sortant de l'Essonne, élu avec 19 voix d'écart face à Cédric Villani, a choisi de mettre le président et le Premier ministre sur son affiche. "C'est le projet que je porte depuis sept ans et je veux continuer à le porter ces trois prochaines années. C'est important aussi de mettre Attal, car c'est lui le chef de la majorité et le chef de cette campagne", justifie-t-il.
A l'image du premier tract de la campagne de Renaissance mettant en avant Gabriel Attal, certains députés préfèrent eux se tourner exclusivement vers la figure populaire du Premier ministre. "L'enjeu n'est pas de savoir si Emmanuel Macron va rester à l'Elysée, mais de savoir si Gabriel Attal va pouvoir rester à Matignon", explique le député des Côtes-d'Armor Eric Bothorel, qui espère réussir à faire venir le jeune Premier ministre en déplacement sur sa circonscription pendant la campagne.
"Et puis, Gabriel Attal est moins abîmé par l'exercice du pouvoir que le président de la République."
Eric Bothorel, député des Côtes-d'Armorà franceinfo
La députée sortante, Olga Givernet, vient de terminer son premier tract de campagne, après avoir longuement hésité. "Au début, j'avais mis le nom de Gabriel Attal, mais j'ai eu un doute et je manquais de place, avoue-t-elle. Et puis, je voulais ajuster en fonction des premiers ressentis sur le terrain." Au final, elle compte bien mettre le nom du Premier ministre sur d'autres tracts, "peut-être même une photo avec lui" dans sa profession de foi. Mais tous ne feront pas ce choix. "Je suis une femme d'âge mûre et blonde, si je mets un jeune homme brun à côté de moi, je n'ai pas envie d'avoir des comparaisons faciles avec l'affiche Bardella-Le Pen", confie une autre députée.
Entre le choix de la photo, des différents noms ou des logos des partis, la composition d'une affiche électorale nécessite un subtil équilibre. "Sur les marchés, les gens ont besoin de vous situer. Il ne faut pas qu'il y ait de doute sur le parti, ni de flou ou d'effet repoussoir", explique Olga Givernet. Face aux deux grands blocs constitués du Rassemblement national et du "nouveau Front populaire", la majorité va devoir se trouver une incarnation claire. "Le choix, ce sera de savoir si les Français veulent au final Mélenchon [qui n'a pas été désigné comme le futur Premier ministre du "nouveau Front populaire" s'il l'emportait], Attal ou Bardella [comme chefs du gouvernement ], donc c'est logique de mettre en avant le Premier ministre", ajoute un conseiller ministériel qui espère obtenir l'investiture de Renaissance.
"Une dynamique locale"
Ils sont aussi très nombreux à faire campagne avant tout sur leur nom et sur leur ancrage en circonscription, ce qui explique que les recours aux figures de l'exécutif soient de plus en rares. "Depuis sept ans, je suis identifiée localement et reconnue, je valide cette notoriété avec cette photo de campagne, mais je suis toujours au soutien d'Emmanuel Macron", assure Brigitte Liso, dans le Nord. "On a fait le choix d'une campagne basée sur une dynamique locale", explique-t-on également dans l'équipe de Sophie Errante, députée sortante de Loire-Atlantique.
"Il y a deux ans, je n'avais pas la même notoriété, ajoute Benoît Bordat. Je suis fier de faire campagne sur mon nom." Parfois, en plus de l'absence de photos du président ou du Premier ministre, certains candidats vont jusqu'à effacer la mention du parti ou celle de "la majorité présidentielle", comme le député de l'Essonne Robin Reda. "C'était déjà le cas en 2022, parce que j'ai la circonscription la moins macroniste de la majorité, sourit cet ancien membre de LR. Depuis dix ans, je n'ai jamais mis de logos ou de personnalités avec moi. Moi, c'est moi. Notre parti, c'est notre pays. Et il faut parvenir à rassembler les républicains des deux rives."
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