"Le système de nos institutions ne leur parle pas plus que ça" : pourquoi les jeunes Français semblent se détourner de la politique ?

Une vaste enquête du Cercle des économistes témoigne du divorce croissant entre les 18-30 ans et la vie politique en France. Marion Joubert, directrice éditoriale et des programmes du Cercle des économistes, était l'invitée de franceinfo.
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Dans un bureau de vote à Guilherand-Granges (Ardèche) en 2020. (FLORENCE GOTSCHAUX / FRANCE-BLEU DRÔME-ARDÈCHE)

Ils ont été 90 000 à répondre à une grande conversation via Messenger. Et le bilan est clair. Selon une étude du Cercle des économistes, dévoilée par La Tribune Dimanche, les personnes âgées de 18 à 30 ans se sentent largement peu représentées en politique (64%), estimant que leur voix compte peu, voire pas du tout dans les décisions politiques pour 78% des interrogés.

À un mois des élections européennes, cette enquête, réalisée en amont des Rencontres économiques d'Aix-en-Provence, révèle que les jeunes Français sont 46% à indiquer "ne pas avoir été informés" ou "peu informés" (44%) sur les mécanismes politiques et démocratiques durant leur scolarité, quand 10% seulement des personnes interrogées assurent avoir bien été informés. Marion Joubert, directrice éditoriale et des programmes du Cercle des économistes, était l'invitée de franceinfo.

franceinfo : A un peu plus d'un mois des élections européennes, ces chiffres semblent indiquer qu'un véritable fossé se creuse entre la politique et les jeunes...

Marion Joubert : C'est très inquiétant et c'est ce qui a justifié aussi le fait qu'on essaye un peu d'en savoir plus auprès de cette population de plus de 9 millions de personnes en France. Et effectivement, ce qu'ils nous disent ressentir, puisque c'est une sorte d'autoportrait qu'on leur a demandé en répondant à des conversations assez ouvertes et sans tabou, c'est qu'effectivement, ils ne se sentent représentés par personne en politique à 64%, ou uniquement par le président de la République (12%). C'est effectivement problématique pour l'avenir.  

Cela montre-t-il, selon vous, un désintérêt total de la vie politique française ?

Ils se désintéressent parce qu'ils ne se sentent pas écoutés à 78 %, d'après les chiffres que l'on a reçus. Par contre, ils sont très engagés pour beaucoup de causes, notamment autour de l'écologie, bénévolement la plupart du temps. C'est donc assez ambivalent. Mais effectivement, le système de nos institutions ne leur parle pas plus que ça, ou, en tout cas, n'évoque pas pour eux suffisamment de représentation pour qu'ils s'y engagent. 

"Ils disent aussi beaucoup qu'ils ont manqué d'information dans leur scolarité pour dire ce que représentent les mécanismes politiques et démocratiques de la France. C'est peut-être l'une des explications pour lesquelles ils ne s'y reconnaissent pas."

Marion Joubert

à franceinfo

Mais pour autant, ils ont envie de changer les choses : ils sont 80 % à s'engager pour une cause, à l'avoir fait ou à le faire encore. Ils sont plus de la moitié à avoir participé à des initiatives bénévoles, à des actions citoyennes. Ils sont vraiment engagés dans la citoyenneté, mais pas via les institutions telles qu'on les a connues jusqu'à maintenant, que ce soit par le chef de l'Etat, par les députés ou même par leur maire. Ça n'évoque pas suffisamment de choses pour qu'ils s'y engagent. 

À quelques semaines des élections européennes du 9 juin, cela signifie-t-il qu'il faut attendre une abstention record des jeunes ?  

Quand on leur a posé la question s'ils se sentaient européens, ils sont seulement 7% à dire "oui". En revanche, ils sont 25% à penser qu'ils sont "citoyens du monde". C'est donc inquiétant quant à l'avenir de ces élections à venir. Mais je ne dirais toutefois pas que cela représente un danger pour notre démocratie. C'est effectivement, d'abord, un autoportrait de ces 90 000 personnes âgées de 18 à 30 ans, et c'est donc ce qu'ils ressentent. Ce n'est pas forcément ce qu'ils vont faire plus tard. Par contre, ils ont répondu d'abord très nombreux à cette enquête : ils aiment donc qu'on les interroge, qu'on leur demande leur avis, qu'on leur demande ce qu'ils pensent et ce qu'ils ressentent. Je ne pense pas que pour la démocratie soit un problème, mais plutôt qu'il y a des choses à revoir pour les intéresser. Il y a peut-être beaucoup à faire au niveau de leur éducation, de l'information qu'ils reçoivent et des canaux par lesquels ils les reçoivent. On a également constaté que tout ce qu'ils reçoivent comme information est plutôt anxiogène, que ce soit via les réseaux sociaux, que ce soit via les informations autour de l'avenir de la planète... Ils sont très inquiets et ont visiblement une insatisfaction sur l'information qu'ils reçoivent même à l'école : ils nous disent qu'effectivement ils ne sont pas assez formés sur un certain nombre de sujets.

Et sur le plan économique ?

C'est un chiffre qui nous a beaucoup surpris puisque 84% des personnes interrogés nous ont répondu que l'argent n'était pas le moteur principal de la réussite. Donc effectivement, c'est une quête de sens plutôt qu'une quête de revenus. C'est très intéressant parce que ça va donner beaucoup d'informations pour la société qui arrive et pour ce que nous devons, nous qui sommes là aux responsabilités, avons comme photos de ce qu'ils vont vouloir faire et ou ne pas faire.

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