Cet article date de plus de cinq ans.

Pourquoi l'Europe n'intéresse pas (et pourquoi tout n'est pas de la faute des citoyens qui n'auraient rien compris)

Les élections européennes de mai prochain ont du mal à toucher les Français. De multiples facteurs sont en cause, mais les dirigeants politiques et les partis portent une certaine responsabilité.

Article rédigé par Noémie Bonnin
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Une carte électorale et un drapeau européen (illustration). (JULIO PELAEZ / MAXPPP)

Qui parle d'Europe à la machine à café ? Qui évoque les élections européennes du 26 mai prochain pendant les dîners de famille ? Pas grand monde. Le taux d'abstention pour ce scrutin risque, comme à chaque échéance européenne, d'être très fort – en 2014, il s'est élevé à 57,57%. Dans un sondage réalisé en avril 2019, on apprenait que l'Europe ne faisait plus rêver les Français. Ils n'étaient plus que 29% à estimer que la construction européenne constitue "une source d'espoir", alors que ce chiffre était de 61% en 2003. 

Il existe évidemment de nombreuses causes à ce désintérêt. Les responsables politiques et les partis sont en partie responsables, selon trois experts que franceinfo a interrogés : Nathalie Brack, politologue spécialiste des questions européennes, Denis Stokkink, président du think tank "Pour la solidarité" (qui milite pour une Europe sociale et durable) et Conny Reuter, qui dirige le réseau associatif européen Solidar.

Parce que l'Europe est un bouc émissaire facile

"Il y a une lourde responsabilité des États nationaux qui jouent à cache-cache avec l'Europe", estime Denis Stokkink. Selon lui, l'Union européenne est souvent pointée du doigt quand il s'agit de projets peu populaires, alors que les dirigeants politiques nationaux ont eux-mêmes validé la mesure. "Ils disent que l'Europe est la responsable de tout ce qui est négatif, poursuit Denis Stokkink. Et dès que l'Europe fait quelque chose de positif, les États disent 'c'est grâce au travail que nous avons réalisé'. Le citoyen ne voit donc que les choses négatives de l'Europe et voit une opacité au lieu d'une transparence."

Parce que l'Europe est souvent montrée comme une arène de combat entre États

"Les États définissent leurs intérêts particuliers non pas avec les autres, pour avancer ensemble, mais contre les autres", estime pour sa part Conny Reuter. Quand les dirigeants politiques nationaux passent du temps à Bruxelles à négocier un texte dans le cadre du Conseil européen, par exemple, ils reviennent dans leurs capitales en expliquant ce qu'ils ont gagné contre les autres États. Ce qui donne une image de la négociation européenne comme une bataille permanente.

Le lendemain des nuits passées à Bruxelles, on va devant les médias en disant 'j'ai obtenu pour la France, j'ai obtenu pour l'Italie, j'ai obtenu pour l'Allemagne', au lieu de dire 'j'ai obtenu pour l'Europe'.

Conny Reuter

à franceinfo

"Personne ne dit 'j'ai obtenu pour l'Europe', note Connie Reuter. Alors que l'intérêt de ces institutions, c'est d'obtenir quelque chose pour l'Europe. La question de la migration est le meilleur exemple : c'est un sujet qui ne peut qu'être géré ensemble, alors que chacun essaie de tirer son épingle du jeu. On ne parle pas des conditions qui sont nécessaires : l'investissement social, les politiques d'intégration, la répartition des quotas... Ce sont des solutions européennes. Alors que les seuls qui sont en train de les pratiquer, ce sont les réseaux associatifs : nous développons des concepts européens."

Parce que l'Europe est parfois confondue avec un placard doré

"Le niveau européen est parfois utilisé comme une forme de retraite ou de placard", rappelle Nathalie Brack. En France notamment, des eurodéputés sont connus pour ne pas travailler beaucoup dans l'institution. Des personnalités, en mal de mandat français, ou qu'on souhaite éloigner des débats nationaux, sont envoyées à Bruxelles par les partis politiques.

>> INFOGRAPHIES. Quels élus ont été les plus assidus, les plus productifs… et les plus flemmards au Parlement européen ?

"Dans l'ensemble, on voit quand même une diminution de ce phénomène si on compare avec les années 80, nuance Nathalie Brack. Comme toujours, il y a également de grandes différences nationales. On voit par exemple qu'en Allemagne, en général, les candidats sont souvent des personnes qui sont spécialisées dans les questions européennes."

Autre phénomène mis en avant par Nathalie Brack, le détournement de la campagne électorale européenne vers un débat 100% national. En France par exemple, Marine Le Pen et Emmanuel Macron se livrent un combat féroce, alors qu'aucun des deux n'est tête de liste. De nombreux observateurs affirment même que les deux dirigeants politiques jouent une sorte de troisième tour de l'élection présidentielle de 2017. "Les élections européennes sont parfois utilisées par les dirigeants politiques comme un sondage sur leur propre popularité, analyse Nathalie Brack. Ils ne se mobilisent pas sur des enjeux européens. Les débats ne tournent pas du tout sur ce qui va être traité au Parlement européen dans les cinq prochaines années."

Parce que l'Europe souffre d'un déficit de démocratie

"C'est absurde, il y a des institutions : le Parlement, la Commission, le Conseil, et les gens ne savent pas qui fait quoi", estime Denis Stokkink. Il juge le processus de décision européen peu clair, peu accessible pour le plus grand nombre.

L'Europe représente un grand machin, comme disait De Gaulle. C'est toujours le cas aujourd'hui. Ce sont des institutions opaques, qui ne représentent plus rien pour le citoyen.

Denis Stokkink

à franceinfo

"Au final, on voit aussi que l'institution qui représente l'intérêt général, selon les traités, c'est la Commission européenne. Aujourd'hui, ce sont les États nationaux qui ont repris la main. Il y a un méli-mélo entre les discours des États qui fait en sorte que plus personne ne comprend ce qu'est la politique européenne", rappelle Denis Stokkink. Le Parlement européen, où siègent les eurodéputés que nous élisons, n'a pas assez de pouvoir par rapport aux deux autres institutions.

Parce que l'Europe n'est pas assez sociale

"Le modèle social européen, fondé dans les années 50, reposait sur deux piliers à égalité : le pilier économique et le pilier de justice sociale, fondé sur la sécurité sociale, rappelle Denis Stokkink. On avançait au niveau européen avec un progrès économique et social. Quand on demandait par sondage est-ce que l'avenir devant vous est plus rose ou plus noir, tout le monde disait qu'on allait vers le progrès. Aujourd'hui, les mêmes sondages donnent l'inverse. Pourquoi ? Parce que le social a été mis de côté. Le modèle sociétal européen repose essentiellement sur le pilier économique."

Selon lui, le désintérêt des questions européennes vient aussi du fait que les thématiques abordées au niveau communautaire sont très souvent économiques. La partie sociale a été peu à peu mise de côté.

C'est le syndrome du flamant rose : l'oiseau a deux pattes, mais se repose sur une seule. L'Europe a deux pattes, l'économique et le social, mais c'est l'économique sur lequel elle repose aujourd'hui.

Denis Stokkink

à franceinfo

C'est d'autant plus dommageable, selon Denis Stokkink, que l'orientation des politiques économiques est jugée très libérale. "Et c'est triste, parce que cette économie, c'est l'économie de l'austérité. Ce n'est pas l'économie du progrès. Comment voulez-vous être amoureux d'une Europe de l'austérité ? C'est impossible !", estime Denis Stokkink. "Alors on essaie de dire que c'est la raison qui explique cela. Mais on constate bien que la raison ne l'explique absolument pas. Donc on ment aux citoyens et les grands moyens financiers dominent l'Europe aujourd'hui, ce n'est plus le progrès économique et social."

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.