"Les anti-européens et eurosceptiques ne peuvent pas bloquer le Parlement européen"
Quel impact peut avoir la poussée des partis europhobes et eurocritiques aux élections européennes ? L'analyse de Patrick Christian Moreau, spécialiste des extrémismes en Europe.
Poussée du Front national en France et des eurosceptiques et eurocritiques en Europe : les élections européennes ont montré un paysage politique recomposé à l'échelle du continent. Avec quel impact sur le quotidien et la politique de l'Union européenne ?
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Francetv info a posé trois questions à Patrick Christian Moreau, historien et politologue au CNRS, spécialiste des extrémismes en Europe et coordinateur d'une étude sur le sentiment anti-européen à l'université de Strasbourg.
Francetv info : Y a-t-il bien eu une "poussée eurosceptique" lors du scrutin de ce week-end ?
Patrick Christian Moreau : Oui, mais cette poussée est triple car elle concerne à la fois des partis eurocritiques, des partis eurosceptiques et des partis anti-européens. Les premiers ne sont pas hostiles à une vision européenne, mais ils souhaitent qu'elle soit construite sur l'anticapitalisme et refusent les politiques d'austérité. Les seconds défendent un retour à l'Etat-nation, à la priorité nationale et le rejet de toute immigration non-européenne. Enfin, les derniers souhaitent faire sortir leur pays de la monnaie unique, voire de l'Union européenne.
De plus, l'analyse de cette poussée est très complexe car elle repose sur cinq piliers profondément différents, selon que l'on parle de la gauche ou de la droite de l'échiquier politique et du degré d'extrémisme des partis.
Comment définissez-vous ces cinq piliers ?
A gauche d'abord, il y a le bloc des partis communistes et post-communistes radicaux, qui sont eurocritiques et anticapitalistes. De Syriza en Grèce au Front de gauche français en passant par le Sinn Féin en Irlande, c'est un groupe attendu, connu, dont la seule nouveauté consiste en l'apparition d'eurodéputés issus des nouveaux mouvements sociaux comme les "indignés". Le parti Podemos ("Nous pouvons") en Espagne remporte par exemple 8% des voix et cinq eurodéputés.
Le deuxième bloc est assez curieux. Il est formé d'un seul parti ou presque : le Mouvement 5 Etoiles de Beppe Grillo, qui rafle 25% en Italie. Je le nommerais "oppositionnel mouvant" : il est classé tantôt à droite, tantôt à gauche.
Le troisième ensemble concerne les parti nationalistes anti-européens ou anti-euro. C'est Alternative für Deutschland en Allemagne, le Congrès de la nouvelle droite (KNP), un nouveau parti qui rassemble 7,2% des voix en Pologne, et l'Ukip et ses 27,5% au Royaume-Uni. Ils ne pourront pas former un groupe politique mais au moins un groupe de travail actif.
Le quatrième bloc est très complexe. Il rassemble les nationalistes de droite radicale comme le Front national. D'autres partis semblables ont fait des percées identiques, comme le Parti populaire danois, arrivé premier avec ses 26,6%. Mais des partenaires potentiels de Marine Le Pen se sont cassé la figure. Le Vlaams Belang n'obtient qu'un siège en Belgique et le Parti national slovaque n'aura aucun élu. Beaucoup de députés vont manquer pour former un groupe politique.
Enfin, le cinquième bloc est constitué des partis d'extrême droite dure, dont Aube dorée en Grèce, le Jobbik hongrois et le parti néonazi allemand NPD, qui envoie son premier élu au Parlement.
Comment ces partis peuvent-ils influer sur la politique européenne ?
Tous ensemble, en comptant toutes ces variantes, ils représentent près de 30% des élus à Bruxelles et Strasbourg. Mais ils sont si différents, idéologiquement et en termes de priorités qu'ils se sont fixées, qu'ils sont incapables de travailler ensemble. De fait, ils ne peuvent pas bloquer le fonctionnement du Parlement européen. Ils seront dans toutes les commissions, feront des grands discours, mais ne pourront rien entraver.
Le seul sujet sur lequel ils peuvent peser, c'est l'élection du prochain président de la Commission européenne. Martin Schulz va certainement essayer d'obtenir des voix du côté de la Gauche unifiée, tandis que Jean-Claude Juncker a déjà annoncé qu'il ne voulait pas être élu avec des voix de l'extrême droite.
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