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Européennes : "Le score du FN n'est pas une poussée sans lendemain"

Le politologue Bruno Cautrès analyse pour francetv info les résultats des européennes. 

Article rédigé par Mathieu Dehlinger - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
La présidente du Front national, Marine Le Pen, réagit aux élections européennes, au siège du parti à Nanterre (Hauts-de-Seine), le 25 mai 2014. (PIERRE ANDRIEU / AFP)

Large victoire du Front national, défaite historique pour le Parti socialiste, désillusion pour Europe Ecologie, déception pour le Front de gauche… La déroute de la gauche aux municipales s'est confirmée dans les urnes à l'occasion des élections européennes du dimanche 25 mai.

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Le politologue Bruno Cautrès, chercheur au Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof) et spécialiste du vote et des élections, analyse ces résultats pour francetv info.

Francetv info : Le succès du Front national est encore plus fort qu'attendu. Comment l'expliquer ?

Bruno Cautrès : Avant ces élections européennes, de très nombreux signaux étaient favorables au Front national. C'est un type d'élection qui réussit bien à ce parti, surtout dans un contexte de crise économique. D'autant qu'il y a incontestablement une dynamique de Marine Le Pen et du FN depuis l'élection présidentielle de 2012, où elle est quand même arrivée en troisième position, puis les élections municipales, qui ont vu le FN remporter des mairies.

Le FN profite aussi de la situation de discrédit de l'ensemble de la classe politique. Dans ce climat de défiance politique et de pessimisme économique, le FN apporte une réponse à certains électeurs, en particulier les plus fragiles socialement, qui n'ont pas les clés pour comprendre le monde de l'Europe. Marine Le Pen leur propose un Etat qui les protège, restreint aux seuls Français.

Le FN est-il pour autant désormais "le premier parti de France", comme il l'affirme ?

Tout parti qui va arriver en tête d'une élection va avoir tendance à se qualifier de "premier parti de France". L'UMP le ferait si elle était en tête, le PS aussi. Mais cette notion est toute relative : "premier parti", ça ne veut rien dire. Premier parti au soir d'une élection européenne ? En nombre de militants ? En nombre d'élus ? Du point de vue des idées dans le pays ? Il y a différents points de vue. Sans compter que le niveau d'abstention reste fort, même s'il a diminué : le premier parti de France reste l'abstention.

Le PS a-t-il à nouveau été victime d'un vote sanction ?

Les électeurs font désormais le lien entre le contexte national et le contexte européen. Ils vont s'abstenir ou sanctionner François Hollande au titre de sa politique économique nationale mais, à travers ça, ils vont également contester la règle des 3% de déficit public imposée par l'Union européenne, ou au contraire regretter un rythme trop lent de réduction des dépenses.

Pour le PS, c'est clairement un échec. Le parti réalise un score proche de son pire résultat aux européennes, en 1994, où la liste de Michel Rocard avait été très fortement concurrencée par celle de Bernard Tapie. Les socialistes espéraient limiter la casse ; ils garderont à peu près le même nombre de députés, mais ils ne parviennent pas à inverser la tendance des municipales, malgré le changement de gouvernement, malgré la nomination de Manuel Valls à Matignon.

L'Elysée promet de tirer "des leçons" du scrutin.

On ne voit pas très bien ce que cela veut dire, "tirer les leçons d'un scrutin", alors même que le gouvernement n'a cessé de confirmer la ligne établie par François Hollande lors de sa conférence de presse de janvier, y compris en nommant Manuel Valls. Si tirer les leçons veut dire lever le pied sur un certain nombre de réformes, cela risque de donner l'image d'un François Hollande qui réagit sous la pression d'événements négatifs.

C'est à nouveau une très mauvaise phase pour le PS. La seule chose qui pourrait améliorer la situation, ce serait qu'enfin de bonnes nouvelles économiques arrivent.

A la gauche de la gauche, Jean-Luc Mélenchon ne profite pas des mauvais scores du PS…

On l'avait déjà constaté aux élections municipales. Tout se passe comme si Jean-Luc Mélenchon n'arrivait pas à capitaliser sur les difficultés du Parti socialiste et à réactiver le "non" de gauche de mai 2005 sur le traité constitutionnel européen.

L'électorat de gauche dans son ensemble est désorienté, et la critique de l'Europe est assez largement absorbée par Marine Le Pen. Sauf que les électeurs de Jean-Luc Mélenchon sont fortement tolérants sur le plan culturel : son électorat dit globalement "oui" au principe de l'intégration européenne, "non" à ses modalités, "non" à l'Europe des banques, du libre-échange. Il y a une difficulté à articuler un discours politique autour de tout ça.

Les écologistes enregistrent eux aussi une contre-performance, en perdant plus de la moitié de leurs élus.

C'est un résultat d'autant plus décevant qu'au fond, les écologistes apportent la preuve que sans Daniel Cohn-Bendit [tête de liste en Ile-de-France en 2009], ils ont du mal. C'est aussi un échec dans la mesure où les élections européennes devraient être l'élection idéale pour eux, car l'écologie est un thème transnational par nature. Mais cette année, le parti ne disposait pas de grande figure tête de liste et a eu une grande difficulté à incarner une ligne politique claire. Entre la participation des écologistes au gouvernement Ayrault émaillée d'accrochages réguliers avec Manuel Valls, puis leur sortie du gouvernement alors qu'on leur proposait le poste de ministre de l'Ecologie, la position est difficilement compréhensible pour les électeurs.

Finalement, la situation en France est-elle très différente du reste de l'Europe ?

C'est un grand classique des élections européennes. L'abstention est forte et le parti au pouvoir subit en partie un vote sanction. C'est une opportunité, pour des formations politiques qui sont à la périphérie de l'échiquier politique, de réaliser un très bon score.

Mais, en France, le cas du FN est un peu à part : on n'est pas sur une poussée sans lendemain. S'il y avait demain des élections législatives au Royaume-Uni, les eurosceptiques de l'Ukip ne remporteraient pas une majorité de députés. Les résultats du FN, au contraire, montrent une vraie dynamique Marine Le Pen.

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