"À la fois tout change et rien ne change" : des communicants nous décryptent les affiches des élections européennes
On les voit depuis quelques jours sur les panneaux électoraux des élections européennes : les affiches officielles des partis révèlent parfois beaucoup de choses.
Elles sont parfois gribouillées, détournées… Les affiches des partis politiques dans cette campagne des élections européennes sont visibles depuis plusieurs jours sur les panneaux dans les rues. Que révèlent la mise en page, les couleurs, la disposition des candidats ? Franceinfo a passé au crible plusieurs de ces affiches, à l'aide de spécialistes de la communication politique et visuelle : Sophie Nunziati, directrice de l'Agence verte, Olivier Cimelière, qui dirige notamment Le blog du communicant et Audrey Bartis, sémiologue.
"Le registre est très carré, formaté, il n'y a pas de punchline", analyse Olivier Cimelière sur l'ensemble des affiches. "On fait globalement très peu appel à l'émotionnel." Sophie Nunziati complète : "Il n'y a aucun renouvellement des codes. C’est le candidat et surtout son parti qui s’affichent, on poursuit l’hyperpersonnalisation entamée il y a dix ans." Par ailleurs, la spécialiste de la communication politique estime que ces visuels restent très "franco-français" : "Ces affiches ramènent le débat européen à un sentiment national incarné par les chefs de file politiques des partis."
Audrey Bartis évoque pour sa part la question du choix, parfois difficile à trancher pour les partis, de l'incarnation de la liste : "C’est toujours le problème avec les portraits dans les campagnes électorales qui ne sont pas présidentielles, c’est-à-dire qui ne sont pas censées être centrées sur une personne en particulier mais plus sur un parti avec une liste. Une ambiguïté s’exprime clairement entre un mouvement collectif et l’idée d’une incarnation par une personne représentative."
Le Rassemblement national : "Le candidat seul n’est rien"
"Jordan Bardella, tête de liste, est au même niveau que Marine Le Pen, présidente du Rassemblement national mais avant-dernière (78 sur 79) sur la liste pour ces élections européennes. Le candidat seul n’est rien, le poids de la référence tutélaire est immense. C'est exactement la même analyse que pour La France insoumise", juge Sophie Nunziati.
Visuellement, le visuel est plutôt réussi, juge Olivier Cimelière : "C'est carré, propre, impactant. Les photos sont réussies, avec le regard tourné vers une direction, ça donne une dynamique. C'est une belle exécution." Pour Audrey Bartis, les photos font penser à la tradition soviétique : "On remarque la position et la direction des visages, tournés de concert vers un avenir lumineux et heureux. Les deux protagonistes de l’image arrivent à le voir, hors champ, donc inaccessible aux spectateurs."
La République en marche : "Le nom de la tête de liste n’y figure même pas"
L'affiche du parti présidentiel est durement jugé par les communicants, surtout Olivier Cimelière. "Comment dire ? Tout est figé. Ce pourrait être l'affiche d'un tout petit parti qui n'a pas les moyens, ce n'est vraiment pas terrible. L'exécution fait un peu bricolage sur Photoshop. Le photomontage avec les nombreux colistiers n'est vraiment pas naturel."
L'autre particularité très marquante est l'absence du nom de la tête de liste, Nathalie Loiseau. "Déjà qu'elle a du mal à imprimer dans les têtes des électeurs et les médias, mais là…" Sophie Nunziati va dans le même sens : "Le nom du président est mis en avant alors que le nom de la tête de liste n’y figure même pas. Et que dire de l’équipe derrière Nathalie Loiseau et Pascal Canfin, qui 'lévite', évanescente, sans ancrage."
Les Républicains : "Un format hyper classique"
"C'est un format hyper classique pour Les Républicains, dans la lignée de leurs précédentes affiches", décrypte Sophie Nunziati. "Les trois candidats sont sur le même plan mais ne s’affichent pas ensemble pour autant : ce sont trois photos indépendantes juxtaposées plutôt qu’une photo 'de groupe'".
"Cette affiche est propre, sobre, informative. L'objectif est clairement affiché. C'est intéressant de voir que Wauquiez n'est pas utilisé (peut-être parce qu'il est très clivant ?)", s'interroge Olivier Cimelière. "Juste un petit bémol : l'empilement des logos en bas, ce n'est pas clair. Mais globalement, l'affiche fait le job."
"Le seul problème de cette affiche, qui se voudrait rassurante, c’est son déséquilibre structurel : le petit drapeau européen, à sa base, semble bien trop petit pour supporter une telle structure. Cela donne une sensation étrange à la lecture de l’image", analyse pour sa part Audrey Bartis.
La France insoumise : "Le poids de la référence tutélaire"
Comme pour l'affiche du Rassemblement national, c'est la présence du chef qui marque les spécialistes. "Sur cette affiche, où la tête de liste Manon Aubry et Jean-Luc Mélenchon, avant-dernier sur la liste (78 sur 79) sont côte-à-côte, on voit bien le poids écrasant de la référence tutélaire", estime Sophie Nunziati. "Comme pour l'affiche du Rassemblement national. Le candidat est non seulement adoubé, mais littéralement épaulé par le chef de parti, avec la proximité des épaules qui se rejoignent." Audrey Bartis est sur la même ligne : "Les deux vestes noires forment une sorte de personnage à deux têtes, comme si la candidate était une excroissance de Jean-Luc Mélenchon."
"D'un point de vue visuel et esthétique, c'est classique mais assez efficace", conclut Olivier Cimelière. "En revanche le slogan n'est pas très clair : insoumission contre qui, contre quoi ? C'est plus un coup de gueule."
Europe Écologie-les Verts : "Une affiche plutôt jolie"
Le jugement du visuel des écologistes est en demi-teinte, pour Olivier Cimelière : "Le contraste jaune/vert fonctionne très bien. C'est plutôt une jolie affiche, assez moderne. Mais la photo du candidat est complètement pourrie, il fait la moue, c'est figé. C'est dommage car le reste est bien construit, ça se lit vite et bien. La photo n'est pas à la hauteur des promesses du reste de ce que l'on voit sur l'affiche."
Place publique/Parti socialiste : "C'est la pire de toutes"
L'affiche de la liste menée par Raphaël Glucksmann et soutenue par le PS est jugée de manière sévère par Olivier Cimelière. "C'est complètement désuet, morne, illisible. On croirait à un bulletin de vote ou une profession de foi, ça ne percute pas. Le choix des couleurs est mal fait et le slogan ne se voit pas au premier regard, c'est fade. Il y a zéro cohérence, pas d'harmonie. C'est la plus moche, la pire de toutes."
Le spécialiste note par ailleurs deux références à la gauche, avec des symboles plutôt liés au communisme ou à Lutte ouvrière : "C'est la prédominance du rouge, ainsi que les mots 'combattantes et combattant', c'est plutôt étonnant, décalé."
Parti communiste : "Une affiche moderne, vraiment bien faite"
L'affiche du Parti communiste fait l'unanimité chez les communicants. "C'est une très belle photo de Ian Brossat", juge par exemple Olivier Cimelière. "La composition graphique est très belle, avec le regard au loin, qui donne une impression de profondeur et la poste de trois-quarts. C'est bien fait."
La typologie assez originale est également relevée : "L'écriture inclinée, la police carrée, les couleurs jaune et violette fonctionnent bien", selon Sophie Nunziati. "Le PCF se démarque. C'est une affiche moderne, assez impactante." Olivier Cimelière confirme : "Le slogan est chouette, il parle à plein de gens et pas seulement aux électeurs communistes traditionnels. Globalement, c'est une affiche vraiment bien faite, c'est ma préférée."
Les spécialistes décryptent une volonté de changement : "L’affiche exprime clairement sa volonté de relooking et de rajeunissement", juge notamment Audrey Bartis. "Un jeune homme moderne, décontracté, viril mais pas trop, jeune mais pas trop. Derrière lui, on trouve le propos hyper synthétisé du parti, dans une typographie très contemporaine, voire assez pointue en matière de design graphique. Quelque chose s’est passé au niveau de la communication de ce parti considéré comme poussiéreux, des investissements ont été faits pour attirer le regard, faire la différence, renouveler le regard. Mais en même temps, la pose de Ian Brossat fait penser à ces statues et illustrations soviétiques. À la fois tout change et rien ne change."
Olivier Cimelière pointe enfin une particularité : "La référence au rouge, traditionnelle du communisme, a complètement disparu, il n'y a plus que le petit logo en bas." Le PC est quasiment le seul (avec la liste Allons enfants) à faire apparaître les pictogrammes de Twitter et Facebook.
Debout la France : "Une affiche très cohérente"
L'affiche de Nicolas Dupont-Aignant est également jugée très positivement par Olivier Cimelière. "Le traitement graphique n'est pas dément, mais c'est très cohérent. Il y a le chef, un slogan clair, des colistiers en arrière-plan, utilisés assez subtilement, car ça pourrait être les Français. On retrouve enfin tout le fonds de commerce de Dupont-Aignant, avec le village, le clocher. Je pense que cette affiche peut parler, au-delà du cercle des électeurs habituels de Debout la France, chez Les Républicains par exemple."
Audrey Bartis confirme l'aspect percutant de cette affiche : "La position de Nicolas Dupont-Aignan est plus que centrale, nous pourrions même dire monumentale, puisque le candidat occupe la quasi-totalité de l’image. Le discours de l’affiche est clair et redondant entre l’image et le texte : Nicolas Dupont-Aignan se situe en rempart colossal entre une menace indistincte et une France représentée comme rurale et figée dans un temps suspendu, la fameuse 'France éternelle'."
Allons enfants : "Le visuel change un peu"
C'est une formation qui est loin de faire la course en tête dans les sondages. Allons enfants, un parti politique "organisé et géré par des étudiants et jeunes actifs de moins de 30 ans" lit-on sur leur site internet, se démarque un peu des autres en termes de visuel. "C'est la seule liste à faire apparaître tous les visages de la campagne", décrit Sophie Nunziati.
"Graphiquement, c'est réussi au premier abord", analyse pour sa part Olivier Cimelière. "Mais après, on ne comprend rien. Le nom 'Allons enfant' fait évidemment penser à la Marseillaise. Quand on est sur un propos européen, c'est bizarre de prendre une référence aussi nationale. Et puis on ne comprend pas que c'est une liste gérée par les moins de 30 ans. Il n'y a pas d'incarnation. Ça n'émerge pas." Le côté un peu "flou" est aussi remarqué par Audrey Bartis : "Ces portraits ainsi assemblés ressemblent à un annuaire d’anciens élèves. Est-ce que la jeunesse est un concept politique ? Comme pour le Parti animaliste, le propos politique n’est pas clairement énoncé."
Le Parti animaliste : "L'affiche joue sur la corde sensible"
Le Parti animaliste est crédité de 1,5% dans les sondages, mais possède une visibilité relativement forte. Son affiche "joue sur la corde sensible et la popularité des animaux de compagnie qui cartonnent sur nos réseaux sociaux. Le programme est simpliste et le bénéficiaire devient la star", analyse Sophie Nunziati.
Mais le visuel ne fait pas tout de suite penser à un parti politique, mais plutôt à la SPA, affirment de concert Audrey Bartis et Olivier Cimelière. Enfin, deux choses sont assez réussies selon le communicant : "Le choix du violet est intéressant, c'est une couleur chaude et qui se remarque bien, elle a le don d'attirer l'œil." C'est la seule formation à avoir ajouté un QR code, pertinent pour que les électeurs se renseignent sur leur programme. "Je suis surpris que d'autres n'y aient pas pensé."
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