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Vrai ou faux Elections régionales : l'Etat était-il contraint de faire appel à Adrexo pour distribuer les professions de foi, comme l'affirme Gérald Darmanin ?

Le ministre de l'Intérieur affirme que l'Etat n'avait d'autre choix que de recourir aux services de la société Adrexo pour distribuer la propagande électorale, à parts égales avec La Poste. Mais les conditions d'attribution du marché, certes codifiées, n'impliquent pourtant aucun principe d'obligation, si ce n'est de choisir la meilleure offre.

Article rédigé par franceinfo - Julien Nguyen Dang
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Le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin assiste à la séance de questions au gouvernement à l'Assemblée nationale, le 29 juin 2021 à Paris. (CARINE SCHMITT / HANS LUCAS / AFP)

Il a présenté ses "excuses aux Français". Le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, a reconnu devant les députés, mardi 29 juin, des dysfonctionnements dans l'acheminement de la propagande électorale lors des élections régionales et départementales. Quelque 9% des plis contenant les professions de foi des différentes listes n'ont pas été distribués par les sociétés Adrexo et La Poste. Devant la commission des lois du Sénat, Gérald Darmanin a tout particulièrement épinglé Adrexo, groupe à propos duquel ont été signalés des "documents entreposés par terre, parfois dans des poubelles, parfois brûlés". Le ministre a aussi justifié le recours à ce prestataire. 

A la suite d'un appel d'offres remporté début 2021, Adrexo est devenue la première entreprise privée à investir ce marché, jusqu'ici entièrement occupé par La Poste. "Cette société a obtenu une partie du marché, pour un montant d'environ 200 millions d'euros ; Adrexo et La Poste se sont réparti les régions", a exposé Gérald Darmanin face aux sénateurs, ajoutant que le marché avait été "divisé en deux parts équivalentes en termes de population", selon le découpage des régions. "Seules deux sociétés sont qualifiées par l'Arcep [l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse] pour répondre à l'appel d'offres, et comme la loi nous oblige à faire des lots, nous devons retenir les deux sociétés... Le choix est limité !", a assuré Gérald Darmanin. Mais est-ce réellement le cas ?

Retenir les deux sociétés n'était pas une obligation

Franceinfo a pu consulter l'avis de marché passé par le ministère de l'Intérieur et publié en juin 2020 au Bulletin officiel des annonces des marchés publics. Ce marché d'une durée de quatre ans est dédié à "l'acheminement des enveloppes de propagande dans les boîtes aux lettres des électeurs". Sa valeur totale est estimée à près de 167 millions d'euros, hors TVA. Le marché est composé de 16 lots : un pour chaque région, plus un lot spécifique pour Paris, un pour l'outre-mer et un dernier pour l'étranger. 

Le ministère de l'Intérieur était-il contraint de recourir à cet appel d'offres ? Oui, confirme à franceinfo l'avocat spécialisé en droit public Louis le Foyer de Costil : "Dès lors que l'Etat achète des services, il faut passer par un appel d'offres." Depuis deux lois promulguées en 2005 et en 2010, adaptations dans le droit français de directives européennes, le marché des envois de correspondance a été ouvert graduellement à la concurrence, rappelle l'Arcep. Mais jusqu'à cette année, seule une entreprise, La Poste, avait remporté le marché

Dans le cadre de cet appel d'offres, Gérald Darmanin affirme que La Poste et Adrexo devaient être retenues. Louis le Foyer de Costil tique : "Non, ce n'est pas obligé de retenir les deux sociétés." Comme l'explique l'avocat en droit public, la répartition du marché se fait lot par lot, selon des "critères définis" dans l'avis de marché. Ces conditions sont identiques pour chacun des 16 lots. Chaque lot est remporté par la société qui obtient les meilleures notes sur l'aspect technique de son offre et sur le prix ; le premier critère comptant pour 40%, le second pour 60%. Le ministère de l'Intérieur "n'a pas le droit de répartir les lots", expose Louis le Foyer de Costil. En fait, le premier sur le lot 1 aura le lot 1, le premier sur le lot 2 aura le lot 2 et ainsi de suite. (...) On n'a pas le choix."

"Si La Poste est par exemple moins chère ou a une meilleure technique pour tous les lots, alors elle doit tous les remporter. C'est le meilleur qui gagne, et voilà."

Louis le Foyer de Costil, avocat spécialisé en droit public

à franceinfo

Face aux sénateurs, le ministre de l’Intérieur a rapporté que "le marché [était] divisé en deux parts équivalentes en termes de population : les régions Auvergne-Rhône-Alpes, Bourgogne-Franche-Comté, Centre-Val de Loire, Grand Est, Hauts-de-France, Normandie, Pays de la Loire ont été attribuées à Adrexo, détaille Gérald Darmanin. La Bretagne, la Corse, l'Ile-de-France y compris Paris, la Nouvelle-Aquitaine, l'Occitanie, l'outre-mer et Provence-Alpes-Côte d'Azur ont été attribuées à La Poste ». 

En l'absence d'avis d'attribution du marché – indisponible en ligne – impossible d'en savoir davantage sur les coulisses de l'attribution des lots à Adrexo. De plus, "les données essentielles de la commande publique", qui doivent normalement être publiées "sous deux mois" par les acheteurs, n'ont pas été publiées sur la Plateforme des achats de l'Etat. Ce que regrette Emeline Vandeven, consultante "open data" de la commande publique au sein de la société Datactivist : "Ça devrait être accessible. (...) Il est dommage que l'Etat n'accomplisse pas ses obligations." Le ministère de l'Intérieur n'a en outre pas répondu aux sollicitations de franceinfo.

Non, l'Arcep n'a "qualifié" aucune société pour répondre spécifiquement à l'appel d'offres

Pour justifier le choix d'Adrexo, Gérald Darmanin a répété que l'entreprise était, avec La Poste, la seule qualifiée par l'Arcep "pour répondre à l'appel d'offres". Contactée par franceinfo, l'Arcep confirme avoir autorisé l'activité de "prestataire postal" d'Adrexo pour la première fois en 2006, une autorisation renouvelée (PDF) en 2016 pour quinze ans. Mais cette société est loin d'être la seule. "Il existe plusieurs dizaines d'opérateurs postaux autorisés, précise à franceinfo l'autorité de régulation. La Poste bien entendu, Adrexo mais également de nombreux opérateurs de taille très modeste assurant uniquement une desserte très locale."

L'autorité de régulation dément de surcroît avoir "qualifié" spécifiquement l'entreprise privée dans le domaine de la distribution de la propagande électorale. "La procédure d'autorisation n'a pas pour but de valider le catalogue des offres des opérateurs (comme la distribution des plis électoraux par exemple) et la qualité de service associée", corrige l'Arcep auprès de franceinfo. "La procédure d'autorisation permet de s'assurer qu'un certain nombre de conditions nécessaires à l'exercice d'une activité postale sont remplies et que le prestataire a bien connaissance des textes qui s'appliquent à l'exercice d'une activité postale", explique enfin l'Arcep.

"L'autorisation n'a donc pas pour objectif d'attester de la capacité à distribuer des plis électoraux (et de fait ne l'atteste pas)."

Arcep

à franceinfo

Auditionné mardi par la commission des lois de l'Assemblée nationale, Eric Paumier, le président de Hopps Group dont fait partie Adrexo, a reconnu la "responsabilité" de l'entreprise tout en défendant le travail accompli, arguant d'une "très grande difficulté" due à la concomitance de "deux scrutins sur 100% du territoire avec une semaine d'intervalle". Le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin a quant à lui prôné "la ré-internalisation d'une grande partie de cette opération" : "Je souhaiterais (...) que nous ne [soumettions pas à la concurrence] la distribution de la propagande et que nous demandions, à la fois et à la Commission européenne et que la loi nationale en tire les conséquences, que nous puissions travailler en direct avec La Poste."

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