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: Reportage "Les gens sont blasés" : à Bobigny, comment les candidats aux élections départementales tentent de lutter contre l'abstention

Bobigny, préfecture de la Seine-Saint-Denis, est l'une des villes de France les plus touchées par l'abstention. Les candidats de tous bords ont de plus en plus de mal à mobiliser une population qui oscille entre dégoût et désintérêt de la politique.

Article rédigé par Clément Parrot
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Florent Lacaille-Albiges, candidat LFI aux départementales, tente de mobiliser les électeurs, jeudi 3 juin 2021, dans le quartier de l'Abreuvoir à Bobigny (Seine-Saint-Denis). (CLEMENT PARROT / FRANCEINFO)

"Vous savez, ici, plus personne ne vote, car on est déçus à chaque fois", confie une habitante de l'Abreuvoir, un quartier populaire de Bobigny (Seine-Saint-Denis) réputé pour son abstentionnisme. Face à la jeune femme, jeudi 3 juin, des militants de La France insoumise tentent de la convaincre de se rendre aux urnes, à l'approche du premier tour des élections départementales et régionales. Munis d'un questionnaire qui vise à "comprendre l'abstention", les militants interrogent la population sur son comportement électoral et en profitent pour tester quelques propositions du parti de Jean-Luc Mélenchon. "Le droit de révoquer vos élus, vous en pensez quoi ? Et la reconnaissance du vote blanc ?" interroge ainsi Marianne. 

"Plutôt que d'arriver comme des sachants qui délivrent un message, on les interroge, on échange, on essaye de déclencher quelque chose."

Marianne, militante LFI

à franceinfo

"Les gens qui ne votent pas, c'est le monde invisible. Alors que de l'autre côté du périph', l'élite, les riches, ils votent ! Et au final, rien ne change", argumente Thierry face à deux jeunes peu réceptifs. "Par exemple, t'as une carte de Sécu ? Eh bien, la Sécurité sociale, ça vient du vote des ouvriers", assure le militant, interrompu par le bruit d'un quad qui tourne en rond dans la cité. "Il faut installer un contact, une confiance, mais ce n'est pas facile", confie Thierry à franceinfo. 

Marianne, militante de La France insoumise, parle de l'abstention avec un habitant de Bobigny, jeudi 3 juin 2021. (CLEMENT PARROT / FRANCEINFO)

"Que je vote ou pas, ça ne changera rien"

"Notre premier ennemi, c'est la résignation, observe Marianne après avoir échoué à convaincre un abstentionniste. Ensuite, je peux comprendre les gens. Il y a tellement de déception face aux promesses non tenues." Quelques rues plus loin, Yvence témoigne de cet état d'esprit et d'un certain désintérêt pour la chose publique. "Que je vote ou pas, ça ne changera rien. Je me dis que d'autres gens vont aller voter à ma place et que, dans tous les cas, il n'y aura pas de miracle, ça ne changera pas ma vie, explique ce jeune homme de 24 ans qui travaille dans le secteur du BTP. En général, je n'ai pas trop le temps et je suis KO à cause du boulot."

"En plus, il fait beau en ce moment, si encore les élections se déroulaient l'hiver..." 

Yvence, habitant de Bobigny

à franceinfo

A Bobigny, Yvence est loin d'être un cas isolé. Selon les calculs de franceinfo, la préfecture de Seine-Saint-Denis, qui compte environ 53 000 habitants, est sur le podium des villes qui s'abstiennent le plus depuis dix ans, en prenant en compte tous les types d'élections. Aux municipales de 2020, l'abstention a dépassé 65% des inscrits au premier tour et 62% au second tour. Sur un collège de quelque 23 000 électeurs, seules 8 000 personnes se sont déplacées pour choisir leur maire. 

Aux dernières européennes de 2019, le taux d'abstention était monté à 70% et aux législatives de 2017, il avait atteint 72%. Seule la présidentielle mobilise encore les électeurs, avec plus de 64% de participation en 2017. "La présidentielle, c'est la dernière fois où j'ai voté, mais depuis, Macron m'a écœuré", confie Kader, un habitant du centre-ville qui prévoit de rester chez lui en 2022.

"Des déceptions successives"

Comme tous les jours, cet homme de 57 ans revient chez lui à Bobigny entassé dans une rame de la ligne 5 du métro parisien. Il peste un peu contre les vendeurs ambulants qui encombrent la sortie et se dirige vers le septième étage de son immeuble. "L'ascenseur ne marche toujours pas, encore un coup des cocos", sourit-il. Le Parti communiste et ses alliés de gauche ont repris aux dernières municipales la mairie de Bobigny à l'UDI (Union des démocrates et indépendants, centre-droit). "La droite, les communistes… ça ne change rien. Ça fait trente ans que je suis là et je suis écœuré par la politique, fulmine Kader. Du coup, je ne vote plus."

"Les politiciens annoncent le changement à chaque fois et quand ils arrivent au pouvoir, rien ne change."

Kader, habitant de Bobigny

à franceinfo

Comme Kader, ils sont nombreux à confier leurs désillusions. "On est désabusés, souffle Djaouhra, 56 ans. Pour la première fois de ma vie, je n'ai pas envie de voter. Les régionales, c'est aussi en fonction de la politique nationale. Et le débat politique en ce moment est au ras des pâquerettes." A Bobigny, le contexte particulier de la ville n'aide pas à réconcilier les habitants avec la politique. "Il y a eu des déceptions successives de majorité en majorité, entre les affaires et les emprunts toxiques", regrette un habitant âgé de 31 ans. 

En pleine campagne municipale, une journaliste de l'AFP a publié, en 2020, un livre-enquête intitulé Le maire et les barbares accusant de clientélisme la précédente majorité UDI du maire, Stéphane de Paoli, et de son premier adjoint, Christian Bartholmé (également candidat en 2020). Une enquête du Parquet national financier a d'ailleurs été ouverte en 2019 pour des soupçons de clientélisme et d'emplois fictifs. "Depuis le temps qu'ils cherchent, s'ils avaient dû trouver quelque chose, ce serait sorti", évacue Magalie, une militante UDI qui, elle aussi, arpente les rues pour convaincre de potentiels électeurs.

"Ils attendent une contrepartie à leur vote"

Avec un masque violet aux couleurs de son parti, Magalie accompagne sur le terrain les deux candidats UDI aux élections départementales pour le canton de Bobigny, Ourida Allali et Thomas Franceschini. "Aux municipales, nous avons perdu à cause de l'absentéisme de nos électeurs, notamment des personnes âgées inquiètes à cause de la pandémie", estime Ourida Allali. Mais dans le quartier pavillonnaire Pierre-Sémard, de nombreuses portes et fenêtres restent closes quand les candidats se présentent via l'interphone.

"Les gens, ils sont blasés. Sur Bobigny, à chaque fois, c'est compliqué."

Ourida Allali, candidate UDI aux départementales

à franceinfo

Une pluie battante s'invite au porte-à-porte et l'opération se transforme vite en simple distribution de tracts dans les boîtes aux lettres. De temps à autre, un visage se présente quand même, mais le plus dur reste à faire. "A quoi ça sert de voter, il n'y a jamais rien en retour. Ça fait trois ans que je suis au RSA [revenu de solidarité active], je suis allé voir toutes les mairies et ils ne sont même pas capables de me trouver un travail gratuit", s'emporte un habitant. "On est l'un des départements avec le plus de chômage en France [12% selon les derniers chiffres], on veut attirer des entreprises pour changer le département", explique Thomas Franceschini en prenant les coordonnées de son interlocuteur afin de le mettre en contact avec des employeurs.

"On élit des gens par défaut"

"Les gens attendent une contrepartie à leur vote, on les a trop habitués à ça", regrette Ourida Allali. Sur les marchés, on nous dit : 'J'ai voté pour vous, et je n'ai pas eu de logement !' ou bien 'mon fils n'a pas trouvé de stage'." Sur une centaine de maisons sollicitées, les militants UDI auront réussi à échanger dans la soirée seulement avec une demi-douzaine d'habitants. "Avec ça sur le visage, ça n'aide pas", souffle Magalie en désignant son masque du doigt. Tous les candidats s'accordent sur le fait qu'il est plus compliqué de faire vivre la démocratie en temps de crise sanitaire. "Avec toutes les mesures, c'est difficile. On ne peut pas faire de meeting par exemple", confirme "l'insoumis" Florent Lacaille-Albiges.

"On est dans une situation où le débat est un peu atrophié."

Florent Lacaille-Albiges, candidat LFI aux départementales

à franceinfo

Dans une ville qui cumule plusieurs difficultés socio-économiques, certains politiques misent sur l'action de proximité au quotidien pour tenter de renouer un lien avec la population. Dans un local associatif près de l'hôtel de ville, le socialiste Fouad Ben Ahmed tente de venir en aide aux habitants. Ce militant associatif, également adjoint au maire, a fondé le collectif Plus sans ascenseurs et se bat pour "le droit à la mobilité verticale" dans les logements. Pour lutter contre l'abstention, il aimerait que "la politique cesse de devenir un métier" et que l'on s'intéresse "plus aux projets qu'aux personnes". "Les candidats mobilisent généralement les électeurs pour aller voter contre, pour faire un 'vote sanction', mais rarement pour un vote d'adhésion. Du coup, on élit des gens par défaut." 

La nouvelle génération peut-elle redonner le goût de la politique aux habitants ? Youri Etillieux, jeune candidat suppléant des deux conseillers départementaux PCF sortants, Pascale Labbé et Abdel Sadi (également maire de Bobigny), assure vouloir faire de la politique autrement." Dans le quartier de l'Abreuvoir, avec un collectif, on bataille pour que les gens puissent avoir un logement digne et qu'ils puissent rester", assure ce conseiller municipal de 22 ans. "Je ne promets rien aux gens. Je leur dis ce que je peux faire et je tente de les aider, assure-t-il. Vous pouvez être communiste, socialiste, centriste... Si vous prenez le temps d'écouter les gens, vous arriverez à faire quelque chose et à les aider."

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