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Présidentielle : trois questions pour comprendre la forte abstention au premier tour

Avec 26,31% d'électeurs qui ne se sont pas rendus aux urnes, ce premier tour a été marqué par une abstention supérieure de 3,8 points à celle de 2017.

Article rédigé par Yann Thompson
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Un électeur glisse son bulletin dans une enveloppe dans un bureau de vote du 9e arrondissement de Paris, le 10 avril 2022, lors du premier tour de la présidentielle. (MAXPPP)

Plus d'un électeur sur quatre a boudé les urnes. Le premier tour de l'élection présidentielle a été marqué par une abstention de 26,31%, dimanche 10 avril, selon les résultats définitifs publiés lundi à la mi-journée par le ministère de l'Intérieur. Dans l'histoire de la Ve République, ce niveau a été seulement dépassé en 2002, quand 28,4% des électeurs s'étaient abstenus au premier tour. En 2017, le niveau d'abstention s'élevait à 22,2%.

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Pourquoi y a-t-il eu autant d'abstention ?

Traditionnellement, la présidentielle est l'élection qui attire le plus les citoyens, y compris les désenchantés de la politique. "La remobilisation de l'électorat se joue en partie sur la qualité de la campagne, qui permet aux gens de se plonger dans les débats et de se positionner", expose le chercheur en sociologie électorale Vincent Tiberj. 

"Cette campagne n'a pas été suffisante pour contrer la désillusion des Français face au vote."

Vincent Tiberj, professeur à Sciences Po Bordeaux

à franceinfo

Sans élan, en partie éclipsée par la guerre en Ukraine, cette campagne a été marquée par la déclaration de candidature tardive d'Emmanuel Macron et par l'absence de grand débat télévisé entre les candidats. "Le Covid-19 a aussi chamboulé les meetings, limité le porte-à-porte, contraint des candidats à s'isoler", ajoute Céline Braconnier, professeure spécialiste des comportements électoraux.

Autre facteur aggravant, selon la chercheuse : "Les sondages ont tout de suite mis en scène une élection jouée d'avance, ce qui est peu mobilisateur et même décourageant pour les plus éloignés de la politique. Cet effet avait déjà expliqué l'abstention record de 2002, quand tout le monde s'attendait à un second tour Chirac-Jospin."

Céline Braconnier relève toutefois que l'abstention enregistrée ce dimanche est inférieure aux niveaux redoutés en fin de campagne. "Une remobilisation de dernière minute a sans doute eu lieu sous l'effet du resserrement des sondages. Les possibilités pour Jean-Luc Mélenchon d'arriver au second tour et pour Marine Le Pen de se faire doubler ont pu mobiliser leurs électorats."

Quel est le profil des abstentionnistes ?

L'absentionnisme s'avère particulièrement forte chez les jeunes, selon une enquête Ipsos-Sopra Steria pour France Télévisions et Radio France, réalisée entre mercredi et samedi. La part des abstentionnistes s'élève à 46% chez les 25-34 ans et 42% chez les 18-24 ans, contre 12% chez les 60-69 ans. "Contrairement aux personnes âgées, qui votent en masse, par devoir, même quand elles ne croient plus en la politique, les jeunes sont plus difficiles à mobiliser", rappelle Céline Braconnier. 

"Les thèmes de préoccupation des jeunes, comme l'écologie, la précarité, le chômage des jeunes, ont été très peu évoqués dans cette campagne."

Céline Braconnier, directrice de Sciences Po Saint-Germain-en-Laye

à franceinfo

Les ouvriers sont également sur-représentés parmi les abstentionnistes (33%), tout comme les chômeurs (35%). Selon les affinités partisanes, ce sont les sympathisants du PS qui ont le plus boudé les urnes (24%).

A quoi peut-on s'attendre pour le second tour ?

Depuis 30 ans, le second tour de la présidentielle est habituellement marqué par une participation plus forte qu'au premier tour. Une seule exception : 2017, quand l'abstention avait grimpé de 22,2 à 25,4% entre les deux tours. "Beaucoup de gens ne se reconnaissaient pas dans Emmanuel Macron ou Marine Le Pen", commente Céline Braconnier.

Cette année, la répétition de la finale de 2017 risque d'être marquée par une nouvelle hausse de l'abstention, redoute la chercheuse. "Marine Le Pen fait moins peur d'année en année", souligne-t-elle, ce qui pourrait freiner la tentation de se déplacer pour lui faire barrage, notamment à gauche. "En 2017, Emmanuel Macron avait une copie vierge et pouvait toucher l'électorat de gauche, ajoute le chercheur Vincent Tiberj. Cinq ans plus tard, il est davantage perçu à droite et Marine Le Pen travaille déjà à attirer ses opposants de gauche."

Jean-Luc Mélenchon a appelé dimanche soir à "ne pas donner une seule voix" à Marine Le Pen, ce qui n'exclut pas l'abstention ou des votes blancs. "En 2017, l'abstention avait progressé, mais aussi les bulletins blancs ou nuls, poursuit Vincent Tiberj. Cette année, sa légitimité et sa capacité à gouverner pourraient être remises en cause par une abstention encore plus forte au second tour et, possiblement, par un score beaucoup plus étriqué."

Selon un sondage Ipsos-Sopra Steria réalisé pour France Télévisions après la fermeture des bureaux de vote, Emmanuel Macron est crédité de 54% des voix au second tour, loin de son score de 2017 (66,1%). Ce suspense pourrait aussi inciter les électeurs des deux camps à se mobiliser davantage cette année.

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