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Tribune "Réorganiser la voirie à Paris au détriment de la voiture et au profit du vélo n'a rien d'un délire idéologique"

Julien Demade, chercheur au CNRS et auteur de "Les Embarras de Paris ou l'illusion techniciste de la politique des déplacements", défend la réduction de la capacité de circulation automobile dans la capitale.

Article rédigé par franceinfo - Julien Demade, chercheur au CNRS
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La nouvelle piste cyclable quai Pompidou à Paris, le 4 septembre 2017. (LUDOVIC MARIN / AFP)

Le débat fait rage dans la capitale. Faut-il réduire l'espace alloué aux voitures rue de Rivoli, en plein centre Paris, au profit des vélos et des transports en commun ? D'un côté, la mairie a entamé les travaux et prévoit d'ouvrir une portion de la nouvelle piste cyclable dès octobre. De l'autre, des automobilistes et la préfecture de police s'inquiètent de la recrudescence des embouteillages. Julien Demade, chercheur au CNRS et auteur du livre Les Embarras de Paris (éd. L'Harmattan), explique pourquoi cette politique de réduction de la capacité de circulation automobile devrait être menée dans tout Paris.

On l'entend de toutes parts : la réduction de la circulation automobile à une seule file, rue de Rivoli à Paris, serait une absurdité, et d'autant plus grande qu'elle n'a pour seule raison que la création d'une piste cyclable. Et pourtant : une telle réduction de 50% de la capacité de circulation automobile d'un axe parisien majeur n'a rien de fantaisiste. Et encore moins si elle a pour objet de faciliter la circulation cycliste.

En effet, entre 1992 et 2015, la circulation automobile a diminué de 43% à Paris. Autant dire que la seule chose qui puisse paraître curieuse, dans toute cette affaire, est qu'il n'y soit question que de la seule rue de Rivoli… C'est manifestement dans l'ensemble de la capitale qu'une telle politique pourrait, devrait, être menée.

Elle pourrait être menée parce que la circulation automobile ne représente plus aujourd'hui qu'une part marginale des déplacements parisiens.

Julien Demade

Qu'il s'agisse des déplacements internes à Paris ou entre la capitale et la banlieue, et qu'ils soient effectués par des Parisiens comme par des banlieusards. Ainsi, la voiture n'assurait plus que 13% des déplacements en 2010, et c'est autour de 10% seulement qu'elle doit aujourd'hui tourner.

Neuf déplacements sur 10 ne se font pas en voiture

Limiter l'espace consacré à la circulation automobile ne pose donc plus de vraies difficultés puisque plus rien de vital n'est par là atteint, 90% des déplacements s'opérant autrement. Mais ce n'est pas seulement que cette limitation peut donc parfaitement être opérée, c'est surtout qu'elle devrait l'être. Tout d'abord parce que, si la circulation automobile a fortement baissé, il n'en reste pas moins que chaque jour 5 millions de kilomètres sont parcourus par des véhicules polluants dans Paris, avec comme conséquence que 90% des Parisiens sont exposés à une pollution supérieure aux normes sanitaires.

Si la limitation de l'espace abandonné à la circulation automobile doit être opérée, c'est aussi pour libérer de la place aux modes de déplacements qui ont eux, au cours de ces dernières décennies, explosé à mesure que l'automobile reculait.

Julien Demade

C'est avant tout du vélo qu'il s'agit, dont l'usage a été multiplié par 10 entre 1991 et 2010. Le vélo qui, à Paris tout comme à Londres, devrait représenter à partir des années 2020, un nombre de déplacements supérieurs à ceux réalisés en voiture.

A cette aune donc, réorganiser la voirie au détriment de la voiture et au profit du vélo, comme cela est fait rue de Rivoli, non seulement n'a rien d'un délire idéologique, mais est plutôt une simple adaptation pragmatique aux transformations profondes qu'ont connu nos façons de nous déplacer ces dernières décennies, des transformations dont rien ne permet de penser (tout au contraire) qu'elles ne vont pas se poursuivre dans le futur proche.

A l'inverse, c'est l'immobilisme qui, en la matière, serait complètement déconnecté de la réalité. La voirie ne peut plus aujourd'hui rester organisée comme elle l'était au début des années 1990, quand la circulation automobile était 85 fois supérieure à la circulation cycliste, alors même qu'aujourd'hui déjà les trajets effectués à vélo par les Parisiens représentent un tiers du nombre de trajets qu'ils effectuent en voiture.

Une politique qui nuit surtout aux plus favorisés

Mais, ne cesse-t-on d'entendre : "Les gens qui circulent en voiture dans Paris le font parce qu'ils n'ont pas le choix : parce qu'ils viendraient de trop loin, la banlieue, pour pouvoir se déplacer autrement." La réduction de l'espace de circulation automobile serait ainsi une politique qui ne profiterait qu'aux Parisiens, et dont tout le poids pèserait sur les banlieusards, une politique menée donc au profit des plus privilégiés, et au détriment des plus démunis : une politique de bobos. L'argument, cependant, est totalement faux.

A Paris, en effet, comme d'ailleurs dans toute la France, ce qui frappe c'est avant tout le caractère absurdement faible des distances pour lesquelles est utilisée l'automobile : dans 40% des cas, il s'agit de moins de 5 km, soit une distance que l'on parcourt à vélo en moins de 20 minutes...

D'autre part, la moitié des trajets automobiles réalisés dans Paris le sont par des Parisiens.

Julien Demade

Dire, alors, d'une politique qui porte autant sur les Parisiens que sur les banlieusards qu'elle serait spécifiquement anti-banlieusards, apparaît pour le moins curieux. Et qui sont ces Parisiens qui choisissent de rouler en voiture ? Les plus fortunés, parce que la principale déterminante du fait de se décider pour la voiture est le revenu. Ainsi les habitants du 16e arrondissement se déplacent-ils trois fois plus en voiture que ceux du 18e.

Moins de circulation = moins d'accidents

Et pour les banlieusards non plus, il n'en va pas différemment : ceux qui font le choix de venir à Paris en voiture ne sont que ceux qui en ont les moyens. On rappellera à cet égard que, les habitants d'une ville comme Saint-Denis (soit la ville la plus peuplée du département, la Seine-Saint-Denis, le plus pauvre de l'agglomération parisienne) ne disposant pas, pour la majorité d'entre eux, d'une voiture, on voit difficilement comment la voiture pourrait constituer pour eux le seul moyen de se rendre dans Paris.

Dernier argument pour crier haro sur le réaménagement de la rue de Rivoli en particulier, et sur la politique parisienne de la voirie en général : la sécurité, mise en avant par la préfecture de police. Mais faut-il vraiment prêter quelque attention que ce soit à ce que peut bien dire la préfecture de police en matière de sécurité des déplacements, elle qui pendant des années s'est, par exemple, farouchement opposée, toujours au nom de cette même sécurité, aux double-sens cyclables, alors que ceux-ci, lorsque la loi les a généralisés dans les zones limitées à 30 km/h (et que la préfecture a donc dû céder), ont entraîné à Paris rien moins qu'une diminution de 45% de la probabilité pour les cyclistes d'avoir un accident ?

De toute façon, si l'on se soucie réellement de la sécurité des déplacements, la première mesure à prendre est bien de réduire la circulation automobile, puisqu'à Paris l'évolution de celle-ci explique 90% de l'évolution du nombre d'accidentés.

Ce n'est que parce qu'entre 1992 et 2015 la circulation automobile a baissé de 43% que le nombre d'accidentés a pu chuter de 42%.

Julien Demade

Et quand on sait qu'en plus, la pollution de l'air tue, à Paris, 60 fois plus que les accidents de la route, la cause, en matière de sécurité, n'est-elle pas entendue, et l'urgence n'est-elle pas de généraliser à tout Paris ce qui est fait rue de Rivoli ?

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