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Trafic perturbé à la SNCF : grève ou droit de retrait ? Trois questions sur le mouvement social lancé par des conducteurs et des contrôleurs

Le PDG de la SNCF a contesté samedi la validité du droit de retrait exercé par les agents de l'entreprise et annoncé son intention d'aller devant la justice pour faire reconnaître qu'il s'agit d'une grève "surprise".

Article rédigé par franceinfo
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La gare du Nord, à Paris, lors d'une grève des cheminots le 24 avril 2018.  (CHRISTOPHE SIMON / AFP)

Le trafic SNCF est fortement perturbé, samedi 19 octobre, à la suite d'un "mouvement social inopiné", trois jours après un accident survenu dans les Ardennes. Les cheminots sont libres d'exercer leur droit de retrait dès lors qu'ils l'estiment nécessaire, contrairement à une grève, qui doit être annoncée et respecter un préavis. "Je n'ai jamais vu ça en dix ans", a réagi le PDG de la SNCF sur BFMTV. C'est la première fois que je viens sur un plateau dire qu'un droit de retrait est illégitime." Le PDG de la SNCF a aussi annoncé son intention d'aller devant la justice pour faire reconnaître qu'il s'agit d'"une grève surprise". "Ce n'est pas aujourd'hui un droit de retrait, il n'y a aucun danger grave et imminent sur aucun train à la SNCF", a estimé Guillaume Pepy.

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Mercredi, un TER a percuté un camion à hauteur de Saint-Pierre-sur-Vence, dans les Ardennes. Onze personnes ont été légèrement blessées, dont le conducteur de train. Celui-ci était le seul agent de la SNCF à bord : aucun contrôleur n'était présent, et le cheminot a donc dû gérer la situation seul. D'après Jean Riconneau, secrétaire général CGT Cheminots de Metz interrogé par France Bleu Moselle, "il est d'ailleurs prévu que le 15 décembre, la direction généralise ce type de circulation [sans contrôleur]. Elle souhaite aussi supprimer les agents d'escale, qui donnent aujourd'hui l'autorisation de départ des trains en gare, et confier aussi cette responsabilité au conducteur." C'est ce que dénonce la CGT et ce qui justifie, selon le syndicat, l'exercice du droit de retrait. Explications. 

1Dans quelles circonstances le droit de retrait peut-il s'exercer ? 

L'article L4131 du Code du travail reconnaît à tout salarié un droit d'alerte et de retrait face à un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé. Ce droit est défini par la loi du 23 décembre 1982, qui dispose que tout salarié se trouvant dans une situation dangereuse est tenu d'informer son employeur le plus rapidement possible. Le Conseil d'Etat, qui a interprété cette loi à plusieurs reprises à la suite de divers contentieux, estime que cette alerte est une obligation pour le salarié, et qu'elle doit avoir lieu "sans délai ou le plus rapidement possible". Cette alerte peut aussi bien être consignée à l'écrit qu'énoncée à l'oral. Dans le cas présent, la direction de la SNCF a dû être prévenue de l'accident dès son occurrence, étant donné que le trafic a été immédiatement perturbé.

L'agent doit également pouvoir se retirer de cette situation de danger. Pour que le droit de retrait soit admis, deux conditions cumulatives doivent être remplies : la présence d'un grave danger et son caractère imminent. Le grave danger est défini comme "un danger susceptible de produire un accident ou une maladie entraînant la mort ou paraissant devoir entraîner une incapacité permanente ou temporaire prolongée", par la circulaire de la direction générale du travail du 25 mars 1993. En somme, le droit de retrait n'est applicable que si le danger signalé met directement en péril la vie ou l'intégrité physique du travailleur.

Dans le cas de l'accident des Ardennes, le conducteur du train n'a été que légèrement blessé. Mais il a dû à la fois prendre en charge les passagers et mettre en place un dispositif de sécurité sur les voies, s'exposant ainsi à d'autres dangers. 

2La notion de "danger grave et imminent" est-elle justifiée ?  

L'estimation du danger et de sa gravité est nécessairement subjective. C'est pourquoi le droit du travail considère comme valable un simple "motif raisonnable" de croire à l'existence d'un danger : il faut que le salarié soit de bonne foi. 

Le deuxième critère, c'est-à-dire l'imminence du danger, a été défini par une circulaire du ministre de l'Intérieur du 12 octobre 2012. "Le caractère imminent du danger se caractérise par le fait que le danger est susceptible de se réaliser brutalement dans un délai rapproché. L’imminence du danger suppose qu’il ne se soit pas encore réalisé mais qu’il soit susceptible de se concrétiser dans un bref délai. Il convient de souligner que cette notion n’exclut pas le 'risque à effet différé' ; ainsi, par exemple, une pathologie cancéreuse résultant d’une exposition à des rayonnements ionisants peut se manifester après un long temps de latence mais le danger d’irradiation, lui, est bien immédiat. L’appréciation se fait donc au cas par cas."

S'il est difficile de dire si l'ensemble des personnels de la SNCF exerçant leur droit de retrait sont en danger grave et imminent, la réduction du nombre de contrôleurs à bord et d'agents d'escale prévue pour le mois de décembre pourrait être interprétée comme tel. 

Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'Etat aux Transports, interrogé sur BFMTV vendredi matin, a estimé qu'il s'agissait d'une "instrumentalisation" du droit de retrait. "On n'instrumentalise pas un événement de sécurité pour faire valoir une position politique. La CGT conteste que les conducteurs de trains soient seuls, c'est le cas depuis dix ans", a-t-il détaillé. La direction de la SNCF a réuni les syndicats dans la matinée, afin de trouver une solution immédiate. 

3Ce droit de retrait peut-il être renouvelé ? 

Un salarié doit avertir son supérieur hiérarchique dès qu'il constate ce type de danger pour pouvoir exercer son droit de retrait : c'est l'obligation d'alerte. Une phase d'enquête est ensuite entamée par le comité compétent. Cette enquête permet aux supérieurs de prendre d'éventuelles sanctions en cas d'abus du droit de retrait. Si ce dernier est jugé non fondé, l'agent s'expose à une retenue sur salaire et des sanctions disciplinaires pour abandon de poste. Si son retrait a entraîné des conséquences pour des tiers, sa responsabilité pénale peut être engagée. 

Durant l'exercice de son droit de retrait, l'employé est toujours soumis à la subordination de son chef. En revanche, aucune sanction ni retenue de salaire ne peut être décidée à l'encontre d'une personne ayant exercé son droit de retrait dans des conditions valables.

Les salariés exerçant leur droit de retrait ne sont pas tenus de reprendre leurs activités tant que la situation de danger persiste. Là encore, l'appréciation est subjective : plus la durée de ce droit de retrait est longue, plus les sanctions risquent d'être salées si l'enquête et/ou le juge estiment qu'il est abusif. Concrètement, le mouvement social à la SNCF peut être reconduit pendant plusieurs jours si les cheminots considèrent qu'il est légitime.

Invité de BFMTV, samedi, le président de la SNCF, Guillaume Pépy, a annoncé que la direction était "en train d'étudier la voie judiciaire, pour faire juger qu'il s'agit bien d'une grève et non pas d'un droit de retrait". Le patron des cheminots a estimé que "c'est une grève surprise qui ne respecte pas la loi sur la grève dans les services publics, ce n'est pas un droit de retrait, il n'y a aucun danger grave et imminent sur aucun train à la SNCF".

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