Réquisition de non-lieu contre Air France dans l'affaire du vol Rio-Paris : "On passe à côté des vraies causes de cet accident"
Le syndicat national des pilotes de ligne estime que les conclusions du procureur sont "inacceptables".
Le parquet de Paris requiert mercredi 17 juillet un procès contre Air France devant le tribunal correctionnel, tandis qu'il demande un non-lieu pour Airbus dans l'affaire du crash du vol Rio-Paris, qui a fait 228 morts en juin 2009. "On est en train de passer à côté des vraies causes de cet accident", estime sur franceinfo Vincent Gilles, vice-président du Syndicat national des pilotes de ligne (SNPL).
franceinfo : Ce que dit le parquet, c'est que les pilotes ont été désarçonnés par le gel des sondes Pitot, qu'ils n'ont pas eu la réaction adaptée faute d'entraînement. Estimez-vous que c'est la faute d'Air France, qui ne les aurait pas assez formés ?
Vincent Gilles : Nous avons d'abord une pensée pour les familles des victimes, car selon le SNPL, on est en train de passer à côté des vraies causes de cet accident. Les conclusions du procureur sont, selon nous, inacceptables au vu de la connaissance que nous avons du dossier. Effectivement, la cause de l'accident, c'est tout d'abord l'absence d'identification de la situation de décrochage par l'équipage. On va être très simple et très clair : l'équipage n'a pas compris, selon nous, qu'il décrochait.
C'était de vrais professionnels, totalement entraînés, il n'y a aucune question là-dessus. Mais selon nous, ils n'ont pas compris ce qui leur est arrivé, principalement car on leur a expliqué que cet avion ne pouvait pas décrocher. C'est ce qu'Airbus mettait en avant à l'époque : cet avion ne peut pas décrocher. D'ailleurs à l'époque, dans le manuel de formation technique des équipages, il est clairement marqué noir sur blanc que l'architecture technologique des commandes de vol électriques et des voies de pilotage permettait d'éviter tout entraînement des équipages à la nécessité de récupération d'une manoeuvre dans le cadre d'une perte de contrôle, sur ces avions qui sont non-protégés.
Selon vous, n'importe quel autre pilote aurait pu se tromper ?
Oui. Il était extrêmement compliqué d'arriver à identifier la situation à laquelle ils étaient confrontés à ce moment-là. On n'est pas dans une attitude qui consiste à dire "il faut fustiger telle ou telle personne", ce que nous voulons c'est que toutes les parties qui ont des responsabilités dans cet accident, et bien sûr les pilotes également, soient parties prenantes du procès pour qu'on puisse réfléchir et faire progresser la sécurité des vols.
Même Airbus, en 2011, dans la voix de son chef pilote d'essai, Jacques Rosay, malheureusement décédé depuis, reconnaissait que dans une situation analogue à celle à laquelle nos collègues ont été confrontés, il fallait immédiatement descendre de 4 000 pieds parce qu'en réalité les marges dont dispose l'équipage n'étaient pas les marges prévues, auxquelles ils avaient été formés, sensibilisés. Cette marge de 4 000 pieds n'existait pas dans les manuels de l'époque. C'est véritablement le constructeur qui est en cause dans ce cas-là.
Mais le parquet requiert un non-lieu pour Airbus. "Pas de charges suffisantes à l'encontre de l'avionneur", écrivent les magistrats. C'est cela que vous ne comprenez pas ?
C'est totalement incompréhensible, puisque le constructeur disait que la situation qui va arriver en juin 2009 n'était pas possible. Or, elle est possible. Il y a une problématique dans la responsabilité du constructeur et dans son appréciation du risque. Le constructeur a toujours refusé de considérer que le cas des givrages des trois sondes Pitot était ce qu'on appelle un risque supérieur plus grave qu'un risque majeur. Il disait qu'il suffisait d'entraîner les pilotes pour que ça ne soit pas un risque majeur. Il y a deux contradictions fondamentales : d'une part le constructeur dit qu'il n'y a pas besoin d'entraîner, ensuite il dit qu'il gère un risque vis-à-vis des autorités en disant qu'il suffit de les entraîner. On est au coeur des contradictions.
On demande que les gens et entités qui sont responsables et parties prenantes soient présents au procès, sinon on ne fera pas progresser la sécurité des vols. On mettra un voile sur une partie du problème. Ce n'est pas une question de constructeur, c'est une question d'avenir du transport aérien. Les programmes de formation ont été entièrement revus : les pilotes n'étaient pas entraînés à la situation de décrochage à haute altitude avant l'accident. Aujourd'hui, ils y sont confrontés, on connaît les limites des entraînements car les simulateurs ne sont pas tout à fait capables de reproduire fidèlement les conditions de haute altitude.
Les recommandations d'action aux pilotes que le constructeur fournit ont été totalement modifiées suite à l'accident, en particulier la procédure "Stall", celle de décrochage. Et à côté de ça le constructeur n'est pas en cause ? C'est tout simplement incompréhensible.
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