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Endetté, sans PDG et paralysé par la grève, le groupe Air France peut-il se crasher ?

Un PDG qui démissionne, une concurrence qui se développe... L'avenir de la compagnie aérienne semble incertain.

Article rédigé par franceinfo, Romain Bonte
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Un avion d'Air France à l'aéroport Roissy-Charles de Gaulle, le 24 avril 2018 (STEPHANE DE SAKUTIN / AFP)

"La survie d'Air France est en jeu." Les propos tenus par Bruno Le Maire, dimanche 6 mai sur BFMTV, laissent craindre le pire pour "ce fleuron national". Le ministre de l'Economie et des Finances s'est montré alarmiste alors que la grève portant sur la question des salaires se poursuit au sein de la compagnie aérienne. La crise sociale est telle qu'elle a poussé le PDG d'Air France, Jean-Marc Janaillac, à démissionner. Le Premier ministre Edouard Philippe s'est lui-même dit "préoccupé par la situation" lundi et a souligné que la compagnie était "soumise à une concurrence délicate". Le groupe Air France-KLM est-il vraiment menacé ? Eléments de réponse.

Oui, des compagnies nationales ont déjà disparu

"On ne peut pas dire qu'Air France est encore à genoux, mais des compagnies nationales qui ont disparu sont légion", assure Michel Albouy, professeur de finance à l'université-Pierre Mendès-France de Grenoble. En 1991, la Pan American Airlines, pourtant leader aux Etats-Unis, avait ainsi déposé le bilan après la libéralisation de l’espace aérien américain. "Personne n'est à l'abri, Air France non plus."

"On a l'exemple de Swissair, qui a été reprise par Lufthansa en 2005, rappelle aussi ce spécialiste. Comme Air France, c'était une référence : l'Etat était actionnaire et la société portait les couleurs du drapeau national. C'était très internationalisé." Ce qui n'a pas empêché la compagnie de couler en 2001 après de profondes difficultés. Elle a dû être relancée avec l'aide de l'Etat suisse en 2002 avant de finalement être vendu au géant allemand. L'expert cite encore l'exemple de la compagnie belge Sabena, qui a fait faillite en 2001, croulant sous les dettes, après le désengagement de l'Etat belge en 1995.

Par ailleurs, cette crise a un coût important

La crise sociale qui s'éternise risque de coûter cher au groupe. Les journées de grève successives ont fait perdre près de 300 millions d'euros depuis le début de l'année. Et la facture risque encore de gonfler si le mouvement persiste. Avec "80%" des vols prévus mardi, le mouvement de contestation perdure. La démission vendredi de Jean-Marc Janaillac augure une période de flottement. L'un des membres du conseil d'administration doit être nommé pour quelques mois afin d'assurer une gouvernance de transition, explique Le Figaro (article payant).

Mais c'est davantage I'image négative des grèves qui pourrait peser plus encore sur l'économie du groupe. Dans un entretien au Figaro, l'économiste libéral Nicolas Bouzou revient sur le sujet s'adressant directement aux grévistes : "Quel masochisme peut nous pousser à vous rester fidèles dans ces conditions ?" Prenant en exemple des compagnies comme EasyJet, "qui a considérablement développé son réseau ces dernières années", il s'interroge sur la "faute morale" des grévistes.

En plus, la participation de l'Etat ne protège pas Air France

L'Etat détient environ 14% des parts du groupe. Mais Air France n'est pas pour autant une entreprise publique et une recapitalisation de l'Etat n'est pas à l'ordre du jour. Le ministre de l'Economie et des Finances, Bruno Le Maire, se montre même très distant sur la situation du groupe. "Ceux qui pensent que l'Etat viendra à la rescousse et épongera les pertes d'Air France se trompent", a-t-il affirmé dimanche sur BFMTV.

Selon Marc Ivaldi, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), "Air France est un groupe privé. Il ne faut pas confondre avec la SNCF. L'Etat est actionnaire et doit se comporter comme tout actionnaire. S'il subventionnait, il dérogerait aux règles de la concurrence saine et se ferait taper sur les doigts !" Et de conclure : "C'est une erreur stratégique de croire que l'Etat peut aider Air France."

Nicolas Bouzou va même plus loin en estimant que l'Etat doit sortir du capital. "Air France peut encore être sauvée, mais il faut pour cela un désengagement de l'Etat qui, dès le départ, a empêché cette société de se développer considérablement", assure-t-il dans Le Figaro. S'il convient que l'opération financière ne sera pas une aubaine en raison du faible prix des actions, celui qui a réalisé une mission de conseil pour la compagnie aérienne française en 2015, estime que "l'État devrait laisser à un actionnaire qui s'en sentirait capable les mains libres pour redresser et restructurer cette compagnie et faire vivre cette marque".

Mais le groupe reste solide grâce à KLM

En rachetant KLM en 2003, Air France est devenu l'un des plus grands groupes mondiaux de transport aérien. Dans un contexte concurrentiel de plus en plus contraignant et face à une importante croissance du secteur, les alliances deviennent nécessaires.

Michel Albouy affirme que le trafic aérien va exploser, ce qui doit inciter les groupes aériens à s'armer du mieux possible. "Sans KLM, ce serait terminé. Air France n'existerait plus", affirme-t-il. Transavia, filiale de la compagnie néerlandaise, a par exemple permis au groupe de faire face à la concurrence florissante des compagnies low cost. Et la concurrence s'est également organisée, avec par exemple le groupe IAG qui rassemble British Airways, Iberia et Vueling. 

Marc Ivaldi confirme que la fusion avec l'entreprise néerlandaise est "un atout". Ce spécialiste de la finance précise toutefois que "KLM n'apprécie pas ce qu'il se passe" chez Air France. Aux Pays-Bas, la presse populiste milite pour la séparation de KLM et d'Air France, rapporte Le Point. Le quotidien ajoute qu'entre le syndicat majoritaire des pilotes de KLM et son homologue français, les contacts sont quasiment rompus depuis la grève de 2016.

C'est également l'avis du patron de KLM, Pieter Elbers. "C'est très décevant que nos collègues d'Air France se soient prononcés contre les propositions de Jean-Marc Janaillac", a-t-il dit après le rejet par les salariés d'Air France de la proposition d'accord de la direction.

Même si les résultats ne sont pas aussi bons que prévus

Si l'on en croit le syndicat national des pilotes de ligne (SNPL), le groupe est plutôt sur la bonne voie. "En 2017, Air France-KLM a diminué sa dette de 3,6 milliards d'euros à 1,6 milliard d'euros, assure son président, Philippe Evain, sur France Inter. Air France seule n'a plus que 800 millions d'euros de dettes nettes. Donc il n'y a aucun souci de danger pour l'entreprise, ni de dette à éponger de l'Etat." Le 15 février dernier, Jean-Marc Janaillac évoquait de "solides résultats, dans un environnement économique porteur".

Mais selon un document confidentiel que s'est procuré Libération, ces résultats s'avèrent préoccupants lorsque l'on dissocie les comptes de KLM de ceux d'Air France. Alors que la compagnie néerlandaise "apporte deux tiers des bénéfices", la compagnie française enregistre "une forte dégradation des coûts de production par rapport au budget initialement prévu". La progression du bénéfice n'atteindrait que 95 millions d'euros au lieu des 218 millions annoncés. Toujours selon le quotidien, Air France est déficitaire sur deux de ses trois principales activités : les moyen-courriers et les courtes distances. Seuls les vols long-courriers génèrent des bénéfices.

Enfin, le prix à la hausse du carburant, ainsi que la perte de 269 millions d'euros au premier trimestre, incitent le groupe à la prudence. "Air France s'est redressée, mais pas à un point tel que les pilotes puissent demander 6% d'augmentation", nuance Michel Albouy. "Une telle augmentation représente 450 millions d'euros par an de surcoût", souligne-t-il pour franceinfo.

"Le temps presse", lance pour sa part le consultant aéronautique et transport Gérard Feldzer. "Il ne faudrait pas que ça dure encore des semaines et des mois. Il va falloir trouver une issue honorable pour tout le monde", dit-il sur franceinfo, confirmant lui aussi, "que l'on ne peut pas prétendre que la compagnie Air France est insubmersible".

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