POINT DE VUE. "Gilets jaunes", voici pourquoi payer les députés et sénateurs au smic n'est pas une bonne idée
Pour le politologue Olivier Costa, "priver les parlementaires d'une rémunération décente ou des moyens de travailler efficacement à l'Assemblée et en circonscription n'est pas le meilleur moyen de rénover la démocratie française". Explications.
Olivier Costa, auteur de cet article, est directeur de recherche au CNRS et directeur des études politiques au Collège d'Europe, Sciences Po Bordeaux. La version originale de cet article a été publiée sur le site The Conversation, dont franceinfo est partenaire.
Un élément revient sans cesse dans les revendications des "gilets jaunes", et plus largement dans les commentaires sur nos institutions politiques : la remise en cause des avantages extravagants dont sont supposés jouir les parlementaires. La critique n'est pas nouvelle.
Certains semblent regretter l'époque où l'engagement politique était une activité bénévole – mais de fait réservée aux citoyens aisés. D'autres font référence à une époque révolue, où les parlementaires cumulaient massivement les mandats, les indemnités et les avantages. D'autres, encore, considèrent qu'il conviendrait pour tous les élus de vivre chichement, afin de mieux comprendre le quotidien des classes laborieuses.
Cette revendication pose trois problèmes.
Sur les réseaux sociaux, des informations erronées
Tout d'abord, la plupart des informations qui circulent sur le sujet, notamment sur les réseaux sociaux, sont obsolètes, erronées ou fantaisistes. Le statut et la rémunération des parlementaires français ont beaucoup évolué ces dernières années, avec l'interdiction du cumul des mandats, l'alignement de leur système de retraite sur le régime commun, le contrôle de l'utilisation des frais de mandat, la suppression d'avantages divers, l'interdiction de l'emploi des proches…
Aujourd'hui, on ne peut plus considérer qu'ils disposent de revenus substantiels.
• Un député français gagne 5 300 euros par mois, imposables et soumis à la CSG ;
• Il dispose d'une enveloppe mensuelle de 10 500 euros pour payer ses collaborateurs, cet argent ne lui revient pas en propre ;
• Il bénéficie, enfin, d'une avance pour couvrir ses frais de mandat de 5 300 euros par mois, qui est versée sur un compte spécifique et soumise à justificatifs. Cette somme permet à l'élu de louer une permanence électorale, de payer les déplacements de ses collaborateurs, de s'équiper en bureautique et de contribuer à l'organisation d'événements publics, notamment en circonscription, mais elle ne constitue pas un revenu dont il dispose à sa guise.
Certes, le fonctionnement des assemblées françaises n'est pas exempt de reproches. Il y a encore des progrès à faire en termes de contrôle de l'utilisation des fonds, de transparence des activités annexes des élus, de limitation des conflits d'intérêts, mais la question de la rémunération et des avantages des parlementaires semble être un faux problème.
Une question d'équité
En second lieu, on ne voit pas au nom de quoi on accepterait qu'un médecin, un directeur commercial ou un avocat gagne bien sa vie, tout en tenant à ce qu'un député vive modestement. La plupart d'entre eux pourraient prétendre à des fonctions bien mieux rémunérées s'ils travaillaient dans le secteur privé, ou même dans le secteur public.
Rappelons que le salaire moyen d'un cadre ou d'un buraliste est du même ordre que l'indemnité d'un député (respectivement 5 564 et 5 180 euros brut par mois en 2015, selon l'Insee) et que, à l'Assemblée nationale comme au Sénat, les administrateurs sont bien mieux payés que les élus.
Le risque d'une chambre purement symbolique
En troisième lieu, s'il est bon qu'il y ait une certaine diversité socio-professionnelle à l'Assemblée nationale, et pas uniquement des hauts fonctionnaires ou des avocats, il est démagogique de considérer qu'être parlementaire ne réclame aucune compétence particulière, et que seul un chômeur ou un agriculteur peut veiller aux intérêts des chômeurs ou des agriculteurs.
Il n'est certes pas nécessaire d'avoir fait l'ENA pour être parlementaire, et certains élus ont développé des compétences au fil de leur carrière professionnelle, de leurs mandats locaux ou d'engagements politiques, syndicaux ou associatifs. Mais il n'en reste pas moins que, pour être un élu efficace – et pas juste un aboyeur de tribune – il convient de connaître les institutions, de maîtriser la manière dont on fait les lois et les politiques, et d'avoir quelque expérience d'un aspect de l'action publique.
Olivier Costa, directeur de recherche au CNRS
On pourrait tirer au sort une partie des députés sur les listes électorales : ces citoyens viendraient enrichir les débats, en apportant leur propre expérience professionnelle et personnelle, et limiteraient la tendance des politiciens de carrière à se focaliser sur des problématiques qui leur sont propres.
Mais l'Assemblée nationale ne pourrait se passer, par ailleurs, d'élus ayant une certaine connaissance de la chose publique. À défaut, elle deviendrait une chambre purement symbolique, incapable de remplir ses fonctions législatives, budgétaires et de contrôle. Rédiger ou amender une loi, passer en revue l'action du gouvernement et de l'administration, examiner les traités internationaux soumis à ratification, adopter le budget du pays, analyser les propositions de normes européennes, faire remonter les demandes qui s'expriment dans les territoires sont autant de tâches qui requièrent des compétences spécifiques et un investissement à temps plein des élus. Et ce savoir et cette disponibilité ont un prix.
Les conséquences néfastes d'une baisse des salaires
Il n'est donc pas certain que la démocratie gagnerait à ce que les députés soient payés au smic ou au salaire médian. Quelles seraient les conséquences d'une telle réforme ?
D'abord, les plus compétents et les plus impliqués cesseraient sans doute d'être candidats. On peut aimer la chose publique et vouloir en même temps assurer des conditions de vie décentes à sa famille. Par ailleurs, alors que l'on dénonce déjà la surreprésentation de certaines catégories socioprofessionnelles à l'Assemblée nationale, réduire drastiquement l'indemnité des élus reviendrait à chasser les rares représentants du secteur privé qui y siègent.
De fait, avec une indemnité massivement réduite, l'Assemblée nationale présenterait sans doute un piètre visage. Elle serait principalement composée que de cinq types d'élus – qui constituent déjà une fraction pas toujours glorieuse de la représentation nationale :
• Il y aurait d'abord des députés disposant d'une fortune personnelle, souvent peu au fait des conditions de vie du commun des mortels, ou ayant choisi de se faire élire pour le seul bénéfice de leurs sociétés, notamment lorsqu'elles vivent de la commande publique ;
• L'Assemblée attirerait aussi des retraités, qui pourraient cumuler indemnité et pension, et contribueraient par leur présence à accroître encore la représentation des citoyens les plus âgés ;
• Il y aurait sans doute davantage d'élus complaisants, prêts à se mettre au service d'intérêts privés afin de bénéficier de rémunérations ou d'avantages complémentaires à leur indemnité ;
• Siégeraient aussi des députés qui consacreraient leur temps à d'autres activités professionnelles, et dont le mandat ne serait qu'un loisir ;
• Enfin, puisqu'une indemnité très réduite serait de nature à dissuader les citoyens les plus compétents de faire de la politique, on assisterait sans doute à l'arrivée massive de parlementaires qui n'auraient pas la moindre expérience à faire valoir, et pour lesquels cette rémunération modeste constituerait une opportunité financière déjà appréciable.
Une représentation nationale plus à l'écoute du pays
Le fonctionnement des assemblées parlementaires françaises mérite sans aucun doute d'être réformé davantage. Le statut des élus a déjà été révisé en profondeur, mais la recherche de la solennité et de l'autorité symbolique, qui a été au cœur de l'histoire de l'Assemblée nationale et du Sénat – la pompe, les ors, le protocole –, n'est plus d'en phase avec les attentes des citoyens.
Comme on l'a vu avec le mouvement des "gilets jaunes", ceux-ci aspirent à une représentation nationale plus à l'écoute du pays et plus en prise avec les réalités économiques et sociales du pays. La grandiloquence qui marque les activités du Parlement français n'engendre plus l'allégeance et le respect, mais le rejet et l'incompréhension.
Il reste que priver les parlementaires d'une rémunération décente ou des moyens de travailler efficacement à l'Assemblée et en circonscription n'est pas le meilleur moyen de rénover la démocratie française.
Olivier Costa, directeur de recherche au CNRS
Dans un pays où l'exécutif concentre l'essentiel des pouvoirs et où les hauts fonctionnaires et les conseillers jouent un rôle central dans l'action publique, il faut au contraire faire de sorte que nos élus soient compétents et impliqués, et leur donner les moyens de faire entendre la voix des citoyens et des territoires qu'ils représentent.
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