A Valence, la gare TGV fait pousser un "fragment de ville" au milieu des champs
Inaugurée en 2001, à l'écart du centre-ville, cette gare a bouleversé le paysage de cette région agricole. Une centaine d'entreprises se sont installées à proximité de l'édifice, accompagnées d'une nouvelle population. Reportage.
Les bâtiments ne sont même pas encore sortis de terre, mais la route est déjà prête, le macadam coulé et les lampadaires installés. Depuis plusieurs mois, les grues s'activent pour bâtir la future plateforme scientifique du Rovaltain, une zone d'activité installée autour de la gare TGV de Valence (Drôme).
Succès commercial, avec 2,2 millions de voyageurs en 2013, selon Gares & Connexion, cette implantation fait partie de ces gares TGV installées à l'écart des agglomérations, et qui ont souvent soulevé de houleux débats. Les Lorrains étaient appelés à se prononcer, dimanche 1er février, sur l'avenir d'une autre gare de ce type, située à Louvigny (Moselle) : faut-il ou non la remplacer par une autre implantation, sur le territoire de Vandières (Meurthe-et-Moselle), à 20 kilomètres de là ? A l'occasion de cette consultation locale, francetv info vous propose un tour de France de ces gares excentrées. Après la Picardie, deuxième arrêt en région Rhône-Alpes.
"Sans la gare, qui aurait aménagé une zone d'activité ici ?"
A 10 km du centre-ville de la préfecture de la Drôme, une cinquantaine de trains à grande vitesse s'arrêtent chaque jour à Valence TGV, avec pour destination Lille (Nord), Paris, Marseille (Bouches-du-Rhône) ou encore Lyon (Rhône). Contrairement à d'autres gares TGV excentrées, celle-ci est aussi reliée au réseau des transports express régionaux (TER), avec une desserte vers le centre-ville et d'autres communes de la région, comme Romans (Drôme), Aubenas (Ardèche) ou Grenoble (Isère).
"On doit tout à la SNCF, elle a été notre locomotive", explique Michèle Roche. Plus de dix ans après l'arrivée du TGV, la directrice du Rovaltain revendique l'installation de 120 entreprises, qui emploient 1 850 personnes sur le site. "Sans la gare, qui serait venu aménager une zone d'activité à l'écart des villes ?, s'interroge-t-elle. Elle nous est tombée dessus et on a décidé de la gérer. Aujourd'hui, c'est un fragment de ville qui s'est créé ici."
Face au massif du Vercors, des immeubles de bureaux ont poussé autour de la gare et de son parking, régulièrement saturé. Rien à voir avec le paysage qui prévalait jusqu'alors à cet endroit, situé sur les communes de Châteauneuf-sur-Isère et Alixan, 6 200 habitants à elles deux. Jadis, les champs et les vergers fleurissaient là où défilent à présent les cadres et les voyageurs.
"Il faut préserver notre identité agricole"
"S'il n'y avait pas eu la gare TGV, on serait encore une plaine agricole, estime Jean-Louis Clauzel, agriculteur retraité à Châteauneuf-sur-Isère. On était bien tranquille." Il est né ici, à quelques mètres de là où passe désormais la ligne à grande vitesse. A plusieurs reprises, la conversation est d'ailleurs brièvement interrompue par le passage à vive allure du train. "Par vent dominant, c'est comme s'il passait dans la maison, mais on s'y fait", confie-t-il.
Les cultures céréalières et les veaux ont remplacé les arbres fruitiers et les volailles dans son exploitation, désormais dirigée par son fils. "On a perdu beaucoup de bonnes terres avec l'arrivée du TGV", se désole Jean-Louis Clauzel. Face à l'urbanisation galopante, la précédente municipalité a d'ailleurs mis en place une large "zone agricole protégée", où les constructions sont désormais mieux encadrées. "Il faut préserver notre identité", martèle l'agriculteur.
"Un casse-tête pour les urbanistes"
Tout ne va pas changer du jour au lendemain, rassure Michèle Roche. Aujourd'hui, 51 hectares sur 162 sont aménagés ou en cours d'aménagement sur la zone d'activité du Rovaltain. Le reste est loué à des agriculteurs, qui exploitent le terrain. "Il ne faut pas être mégalo, juge la directrice. Ces terres, d'une qualité extraordinaire, resteront peut-être agricoles pendant trente, quarante ou même cinquante ans."
Car le développement du site prend du temps. "Avoir une gare dans une zone rurale, c'est une bénédiction économique, mais un casse-tête pour les urbanistes", détaille la directrice du Rovaltain. Pour convaincre les entreprises de s'installer, les institutions publiques ont montré l'exemple. Le conseil général de la Drôme et le conseil régional de Rhône-Alpes y ont ainsi installé des bureaux. "C'était une façon d'envoyer un message à l'extérieur, de dire qu'ils croyaient en cette zone d'activité", glisse Michèle Roche.
Un lieu de travail, pas encore "un lieu de vie"
Depuis, des entreprises du numérique, du bâtiment ou de l'agroalimentaire se sont installées. "Il y a un potentiel réel, assure Christine Moret, responsable de l'agence Axite, spécialisée en immobilier d'entreprise. On est à proximité de la fameuse A7, l'autoroute du soleil. Et notre grande force, c'est d'être à 2 heures et 15 minutes de Paris, 1 heure de Marseille et 1 heure et 15 minutes de Montpellier (Hérault). Le tout dans un bassin de vie de 300 000 habitants." "En une demi-heure, vous pouvez vivre dans un environnement protégé, avec le Vercours aux alentours", renchérit son voisin de bureau, Joël Charrin, de l'entreprise de conseil Cidées.
Président du club des entreprises de la zone d'activité, il regrette tout de même que le Rovaltain ne soit pas encore devenu "un lieu de vie" à part entière. "On ne peut pas y faire ses courses, ni prendre son café le matin", souffle-t-il. Tout cela pourrait changer dans les années à venir, car l'installation de commerces est envisagée en face de la gare, à côté du nouveau pôle scientifique.
La crainte du "village-dortoir"
A cinq minutes en voiture de là, la maire d'Alixan sort tout juste de la salle polyvalente, où s'est tenu le repas - arrosé - des anciens de la commune. Sans le TGV et le Rovaltain, un tel bâtiment de "500 m2, climatisé, sonorisé" n'aurait jamais vu le jour, estime l'édile, Aurélie Bichon-Larroque. "La gare nous a amené une aisance financière", poursuit-elle, évoquant une contribution de 187 000 euros sur un budget d'environ 1,4 million.
Mais au-delà des finances, cette urbanisation a surtout métamorphosé la population d'Alixan. En plus des anciens du village, "qui se connaissent tous", sont arrivés des cadres et des catégories socioprofessionnelles supérieures. "Ce sont des populations qui habitent la même commune, mais qui ne se voient pas, ne se fréquentent pas", regrette Aurélie Bichon-Larroque, qui craint qu'Alixan ne se transforme en "village-dortoir". Car pendant ce temps, le TGV poursuit sa course, attirant toujours de nouveaux venus. "Pour un ex-urbain installé à la campagne, voir la lumière de la gare, ça vous rassure", sourit l'élue.
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