: Reportage "Le gouvernement et les employeurs partagent une vision hostile du syndicalisme" : en Turquie, les syndicats contraints à recruter "en cachette"
Mieux vaut désormais recruter en cachette pour les syndicats turcs. Selon la Confédération syndicale internationale, la Turquie est en queue de classement des pays les plus respectueux des droits des travailleurs, pour se retrouver dans les dix dernières places, au même titre que le Bangladesh, le Myanmar ou l’Egypte.
L’organisation dénonce en particulier les "pratiques anti-syndicales" très fréquentes dans le pays, les licenciements de salariés ayant tenté de s’organiser en syndicat devenant monnaie courante dans le secteur privé, où le taux de syndicalisation reste très faible. Et ce alors qu’une très forte inflation a entraîné ces dernières années une chute du pouvoir d’achat des travailleurs turcs.
Il y a un an et demi, Betül a été licenciée avec 150 collègues, tous ouvriers comme elle. Ils avaient arrêté le travail pour réclamer un meilleur salaire et beaucoup avaient, dans le même temps, entamé des démarches pour adhérer à un syndicat. Selon Betül, c’est ce dernier facteur qui a poussé leur employeur – un poids lourd de l’industrie automobile turque – à les licencier : "Comme notre adhésion était en cours, l’entreprise ne savait pas exactement qui était syndiqué et qui ne l’était pas, ce qui explique pourquoi quelques collègues non syndiqués ont aussi été licenciés. Mais la vraie cause, c’était bien le syndicat."
"Leur rêve serait qu’aucun travailleur ne soit syndiqué"
"Cela fait longtemps qu’en Turquie, le gouvernement et les employeurs partagent une vision hostile du syndicalisme", confirme Adnan Serdaroglu, secrétaire général de Disk, l’une des principales confédérations syndicales turques, pour qui le cas de ces ouvriers illustre les obstacles que subissent les travailleurs et ceux qui les défendent. "Leur rêve serait qu’aucun travailleur ne soit syndiqué, poursuit-il, que les employeurs fassent ce qu’ils veulent dans les entreprises."
"C'en est arrivé à un point où les syndicats sont parfois perçus comme des organisations illégales."
Adnan Serdarogluà franceinfo
Les efforts pour recruter de nouveaux membres sont ainsi menés "en cachette", selon l’expression d’Adnan Serdaroglu : "Quand on recrute un nouveau membre, par exemple, on est obligé de lui dire de n’en parler à personne, pas même à sa famille, avant que l’adhésion soit finalisée. Sinon, il risque d’être licencié avant. Par ailleurs, après avoir informé le ministère qu’on a syndiqué assez de travailleurs pour négocier une convention collective, on s’aperçoit souvent que le ministère a prévenu l’employeur. Et c’est comme ça qu’on se retrouve avec des licenciements collectifs."
Dans le secteur privé turc, seuls 7% des salariés sont membres d’un syndicat. Pour Betül, la jeune syndicaliste licenciée l’an dernier, c’est souvent la peur qui retient ses collègues : "Moi, j’ai compris qu’il n’y a aucune raison de plier l’échine, d’avoir peur… Adhérer à un syndicat, c’est un droit inscrit dans la Constitution. Personne ne devrait craindre de l’utiliser." D’autant que la Cour constitutionnelle rappelle régulièrement les entreprises et l’État à l’ordre : dans un arrêt en début d’année, elle estimait par exemple que l’adhésion à un syndicat ne pouvait être assimilée à une appartenance à une organisation terroriste.
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