Révolte en Libye, manifs en Oman, tensions à Bahrein, les raisons sont multiples pour que le prix du pétrole s'envole
Après avoir franchi le 31 janvier le seuil des 100 dollars pour la première fois depuis deux ans, le baril de Brent de la mer du Nord s'est inscrit à près de 120 dollars jeudi, un sommet jamais atteint depuis le mois d'août 2008.
Cette brutale remontée des cours du pétrole fait courir des risques sur la reprise de la croissance et sur l'inflation.
L'envolée du brut
Alors que la Tunisie et l'Egypte étaient de petits producteurs de pétrole ou de gaz, la révolte en Libye touche un important producteur énergétique (même si cette production n'équivaut qu'à 2% de la production mondiale). Autres sources d'inquiétudes pour les intervenants sur le marché de l'énergie, la situation en plein coeur du golfe arabo-persique avec les tensions à Bahreïn, à la frontière des champs d'extraction saoudien et la toute récente poussée de fièvre en Oman, petit producteur, mais situé sur l'une des côte du golfe d'Ormuz, clef d'accès au golfe arabo-persique.
Les évènements de mardi en Iran ont provoqué une nouvelle hausse des prix du pétrole, qui après le sommet atteint jeudi dernier avait légèrement baissé. "Un nouveau jour, un nouveau pays touché par les révoltes", a noté Matt Smith, de Summit Energy. Cette fois c'est l'Iran qui a avivé les inquiétudes des investisseurs, déjà sur les nerfs.
Cette envolée des cours qui s'inscrit dans une forte hausse de la demande (en Chine notamment) permet aux gros producteurs -comme l'Arabie ou l'Iran- de financer des mesures sociales destinées à calmer les attentes de la population. Un débat s'est cependant ouvert entre partisans d'une augmentation de la production -pour compenser la baisse de la production libyenne- et opposants à une telle décision.
"Les membres de l'Opep n'ont pas besoin de prendre de décisions hâtives et unilatérales" d'augmentation de la production, a déclaré le ministre iranien du Pétrole , Massoud Mir Kazemi, interrogé au sujet de la proposition faite par Ryad de compenser une éventuelle pénurie. Le 22 février, le ministre saoudien du Pétrole , Ali al-Nouaïmi, avait en effet indiqué que son pays se tenait prêt à remédier à une éventuelle pénurie liée aux soulèvements en cours au Moyen-Orient, tout en indiquant qu'il n'y avait pour le moment "pas de pénurie". L'Arabe saoudite, le plus gros producteur de l'Opep, produit environ 8,4 millions de barils par jour, mais peut selon M. Nouaïmi fournir plus de 4 millions de barils par jour supplémentaires.
Autre preuve de la tension qui règne sur les marchés et sur les inquiétudes de certains opérateurs, l'once d'or a atteint mardi un niveau record, à 1.432,57 dollars, effaçant son dernier pic qui datait de décembre
Risques sur la croissance
Cette envolée des prix de l'énergie -qui rappelle celle des chocs pétroliers précédents- intervient en plein redémarrage de l'économie mondiale. Même si les économies occidentales sont moins dépendantes du pétrole, le prix de l'énergie reste un sujet sensible. Ben Bernanke a mardi soir mis en garde contre la menace d'une éventuelle "hausse durable" du pétrole pour la reprise de la première économie mondiale. Des prix du pétrole élevés représentent une menace sérieuse pour la reprise économique", car ils aggravent l'inflation "notamment dans les pays en développement", prévient le Centre for Global Energy Studies (CGES). Les économistes ont analysé l'impact du coût de l'or noir sur la croissance: une hausse du cours entraîne un surcroît d'inflation qui peut se répercuter sur la production et le transport, et donc sur les prix à la consommation.
Cela affecte le pouvoir d'achat des ménages qui, en contrepartie, réclament des salaires plus élevés, ce qui provoque les effets inflationnistes dits de "second tour". Parallèlement, la consommation et l'investissement reculent. Et, in fine, l'activité économique ralentit.
Reste à chiffrer un tel impact. Selon les économistes de la Deutsche Bank, un bond de dix dollars du prix du baril ampute la croissance américaine d'un demi-point de pourcentage. Les thèses dites de "l'inélasticité de la demande de pétrole" restent encore à être prouvées. Lors de la très forte hausse de 2008, les pays développées avaient montré que leur consommation pouvait fortement baisser. Plusieurs experts estiment ainsi que les répercussions d'une hausse se sont estompées dans les pays riches.
En France, une étude des économistes Muriel Barlet et Laure Crusson évoque ainsi une "meilleure résistance aux chocs pétroliers " depuis le début des années 1980. Cela s'explique par "une politique énergétique ambitieuse pour réduire la facture pétrolière" et une politique monétaire rigoureuse pour éviter "les spirales inflationnistes".
Néanmoins, relève l'étude, l'impact négatif sur la croissance est plus marqué "lors de périodes où la conjoncture nationale et internationale sont assez mauvaises", ce qui est le cas actuellement. Les économies américaine et européenne tentent de tourner définitivement la page de la récession historique de 2009, mais elles sont encore sous perfusion d'une politique monétaire accomodante (en clair des taux d'intérêts proches du zéro).
Or "si l'inflation continue à monter", les banques centrales pourraient être tentées de resserrer les boulons "en relevant les taux d'intérêt", explique Ben May, de Capital Economics. "Cela aggraverait notamment la situation des pays fragiles de la zone euro, qui peinent à sortir de la récession".
Mais les risques sont aussi élevés dans les pays émergents. D'abord parce que la croissance vigoureuse se traduit déjà, chez eux, par une poussée inflationniste. La flambée des cours du brut peut donc entraîner, chez ces grands consommateurs de matières premières, un emballement des prix.
En outre, "les économies émergentes sont encore plus dépendantes que nos économies du pétrole, en raison de leur structure industrielle", relève Philippe Martin, professeur à Sciences-Po à Paris. "La hausse du pétrole va donc se traduire dans ces pays par une augmentation des prix industriels".
Pour autant, "tout dépend du niveau (des prix) du brut et du caractère passager ou durable de la flambée actuelle", nuance Ben May. Un baril à 100 dollars, même si ce n'est pas l'idéal pour les pays consommateurs, reste bien en deçà des 147 dollars atteints en 2008. Et la plupart des analystes doutent qu'il poursuive sur sa lancée.
Les craintes sur la crvoissance (mais aussi sur un resserement des taux) a pesé sur les bourses. L'indice Standard & Poor's (USA) a signé la semaine dernière sa pire performance hebdomadaire en 15 semaines, mais cela ne veut pas dire pour autant que la correction de Wall Street, anticipée par bon nombre d'analystes, est terminée. La semaine dernière, l'indice a reculé de 1,7%, ce qui est un repli plutôt modeste pour un indice qui affiche un bond de plus de 25% depuis le début du mois de septembre.
Risques inflationnistes
Les craintes inflationnistes pouraient inciter les banques centrales à modifier les politiques extrêmement accomodantes décidées en pleine crise financière et économique.
En France, les prix de production de l'industrie ont enregistré un quatrième mois consécutif de hausse sensible en janvier, augmentant de 0,9% par rapport au mois précédent et portant à 5,6% leur progression sur un an, selon les chiffres publiés par l'Insee. En décembre, les prix avaient également augmenté de 0,9% par rapport au mois précédent (+1,0% en première estimation). Cette hausse est en partie due au coût de l"énergie.
La Banque centrale européenne (BCE ), qui se réunit jeudi, pourrait évoquer cette question de l'inflation mais les analystes n'attendent pas une hausse imminente de son principal taux directeur. L'économiste en chef de la BCE , Jürgen Stark, a assuré que l'institution monétaire agirait "rapidement et de manière décisive" si l'objectif de la BCE d'une inflation proche mais inférieure à 2% à moyen terme dans la zone euro s'avérait compromis.
L'euro était monté la semaine passée au-dessus de 1,38 dollar, soutenu par des spéculations sur une hausse des taux de la Banque centrale européenne (BCE) après de nombreux commentaires de responsables européens Les anticipations autour d'un resserrement monétaire sont par ailleurs alimentées par une accentuation des tensions inflationnistes en raison de l'envolée des cours du pétrole due à la poussée des violences dans le monde arabe et particulièrement en Libye, un important producteur d'or noir.
Depuis mi-février, des commentaires de responsables de la BCE , s'inquiétant d'une hausse des tensions inflationnistes, ont fait penser que l'institution pourrait considérer un relèvement de son taux d'intérêt directeur, maintenu à 1% depuis mai 2009. Les marchés y ont vu le signe de la possibilité accrue d'un resserrement monétaire anticipé, poussant la semaine dernière la monnaie unique au-dessus de 1,38 dollar pour la première fois depuis trois semaines.
Cependant, "la BCE pourrait adopter l'idée que les pressions inflationnistes qui découlent (d'une hausse) des prix de l'alimentation et de l'énergie ne sera que temporaire", tempérant ainsi les attentes du marché, prévenait Jane Foley, analyste chez Rabobank.Ton différent aux USA, où le patron de la FED a affirmé mardi que "la politique monétaire de la Fed reste centrée sur le fait qu'elle doit donner un coup de pouce à l'économie". Difficile en effet pour la BCE et les autres banques centrales de remonter leurs taux alors que le chômage reste à des niveaux record et que la croissance ne donne pas, dans les économies développées, des signes d'enballement (on en est loin). Le spectre de la stagflation des années 70, après le premier choc pétrolier, pèse sur la décision des banquiers centraux.
Rappel des précédents chocs pétroliers
On parle de "choc pétrolier" depuis 1973. A cette date, les cours du brut s'étaient envolés à la suite de la guerre de kippour entre Israël et ses voisins. La guerre avec Israël avait été le prétexte à une augmentation massive des prix et à un contingentement de la production. Cette hausse, due aussi à la chute du dollar liée à l'abandon de la référence à l'or, avait aggravé de façon sensible les effets du ralentissement conjoncturel mondial.
Le deuxième choc pétrolier est lié à la hausse du prix du pétrole qui est multiplié par 2,7 entre la mi-1978 et 1981. Une hausse liée à la révolution iranienne et à la guerre Iran-Irak.
On a pu parler de troisième choc pétrolier quand les prix de l'énergie ont bondi en 2008 en raison d'une demande en hausse de la part des pays émergents (Chine notamment), de crainte de raréfaction de la production (peak oil) et de mouvements spéculatifs. Lors de ce "choc", le pétrole avait dépassé les 147 dollars....avant de rechuter brutalement à 35 dollars. Entre temps la crisé était passé par là.
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