Transition, exceptions, financement… Où en sont les discussions sur la réforme des retraites, en dehors des débats à l'Assemblée ?
Plusieurs discussions se déroulent en parallèle autour de la réforme des retraites, alors qu'elle est discutée à l'Assemblée. Passage en revue.
Dans l'hémicycle, les députés commencent, mardi 17 février, à examiner au pas de charge la réforme des retraites et ses 41 000 amendements. En coulisses, des discussions se poursuivent entre syndicats, patronat et exécutif, sur les modalités d'application du texte, la transition entre les deux systèmes et les dérogations accordées à certaines catégories.
La conférence de financement censée trouver des solutions pour ramener à l'équilibre le système de retraite d'ici 2027, elle, a du plomb dans l'aile. La CGT a menacé de claquer la porte, jugeant le compromis impossible, puisque le Premier ministre Edouard Philippe avait d'emblée écarté certaines options, comme la hausse des cotisations. Transitions, dérogations, pénibilité, financement… Ces discussions parallèles ont-elles permis aux syndicats d'obtenir des concessions de la part de l'exécutif ? Passage en revue.
Transition : la "clause à l'italienne" étendue
Fonctionnaires, régimes spéciaux et salariés du privé à cheval sur les deux systèmes de retraite vont bénéficier de la "clause à l'italienne". En clair, le calcul des droits acquis avant 2025 [date à laquelle le système universel entre en vigueur pour les salariés nés à partir de 1975] se fera au moment du départ en retraite et non pas au moment de la bascule, "sur la base des six vrais derniers mois" pour les fonctionnaires, ou des 25 meilleures années pour les salariés du privé. Ce mode de calcul est donc plus avantageux que la règle prévue initialement.
Le Premier ministre Edouard Philippe l'a annoncé, jeudi 13 février, dans un courrier aux partenaires sociaux. "Cette disposition sera garantie par un amendement du gouvernement. Elle maintient au sens strict les droits acquis, tels que prévus dans les conditions actuelles", explique-t-on du côté de l'exécutif.
Le secrétaire général adjoint de l'Unsa Dominique Corona se félicite de la généralisation de cette clause, que le syndicat avait réclamé et obtenu, au départ, pour la RATP et la SNCF, lors de la grève entamée le 5 décembre. "C'est un moindre mal, même si ça ne résout pas les problèmes de fond", admet également Pierre Roger, secrétaire national de la CFE-CGC (syndicat de l'encadrement), qui reste fondamentalement opposé à la réforme.
Modalités particulières : flou et incertitudes
La réforme des retraites est-elle "un texte à trous", comme le martèle l'opposition ? La critique est fondée : le gouvernement devra en effet recourir à 29 ordonnances pour préciser les modalités du passage au système universel à points. L'article 64 en précise les raisons. "Le présent projet de loi unifie les 42 régimes actuels de retraite légalement obligatoires, de base et complémentaires. Cette refonte rend nécessaire des adaptations rédactionnelles dans un très grand nombre de textes."
Derrière ce "toilettage", pour reprendre l'expression gouvernementale, quel niveau de pension, quel âge de départ à la retraite et quel "âge d'équilibre" pour chacun, puisque des exceptions à la règle générale restent prévues, tandis que d'autres sont abandonnées ? "Qu'est-ce qu'on fait pour les régimes dérogatoires ? Compensation ou maintien ? S'il y a une compensation, laquelle ? S'il y a maintien, qui paie ?" énumère le secrétaire national de la CFDT en charge des retraites, Frédéric Sève. Il y a donc des discussions avec les syndicats sur tous ces sujets au niveau de l'institution, ou de la branche, ou de l'entreprise".
Des discussions avec leur cortège d'incertitudes et le sentiment, souvent, d'avancer dans le flou. Derrière le mécontentement des enseignants ou la colère médiatique des avocats ou encore des pompiers, quantité d'autres professions tentent d'arracher des assurances sur leur avenir. Le trésorier du Syndicat national des sapeurs-pompiers professionnels Yaël Lecras admet qu'il navigue dans le brouillard. "Nous avons des échanges avec des conseillers du ministère de l'Intérieur et avec les services de nos employeurs, l'association des maires de France et l'association des Départements de France, mais rien d'officiel, et aucune visibilité sur le dispositif technique", explique-t-il.
On a beaucoup de mal à obtenir des infos précises et fiables, on est beaucoup dans la parole donnée.
Yaël Lecras, trésorier du Syndicat nationale des sapeurs-pompiers professionnels
Pénibilité : retour à la case départ
Les syndicats interrogés déplorent tous l'absence totale d'avancées concernant les départs anticipés liés à la pénibilité. Les partenaires sociaux ont défilé au ministère du Travail, début janvier, mais les rounds de discussion avec la ministre Muriel Pénicaud, n'ont rien donné. Retour, donc, à la case départ. "Le compte pénibilité permet, au mieux, deux ans de départ anticipé si l'assuré obtient le nombre de points suffisants, expose Dominique Corona, de l'Unsa. L'exécutif ne bouge pas : il refuse toujours la réintégration des quatre critères exclus en 2017". Depuis cette date, en effet, les postures pénibles, les vibrations, le port de charges lourdes ou l'exposition aux produits chimiques ne font plus partie des critères de pénibilité.
En vain également, poursuit Dominique Corona, l'Unsa, entre autres syndicats, a tenté de plaider la cause des égoutiers, qui ont manifesté leur colère devant le ministère des Finances, le 6 février dernier. "Pour l'instant, les égoutiers appartiennent à la catégorie active qui permet de partir à la retraite à 57 ans [à 52 ans dans certains cas], développe-t-il. Demain, ils passeront dans le régime général, sans reconnaissance de l'insalubrité du métier". En cause : la disparition, dans le futur système, de la catégorie active qui permet à certains fonctionnaires de partir cinq à dix ans plus tôt. Une catégorie à laquelle appartiennent les égoutiers, dont l'espérance de vie est inférieure de 17 ans à la moyenne générale, selon une étude de l'Inserm de 2010.
Financement : guère de chances d'aboutir
Reste la conférence de financement, dont la CGT vient de claquer la porte. En pointant l'impossibilité d'un compromis, le syndicat de Philippe Martinez a exprimé haut et fort un scepticisme largement partagé chez les participants, tant la marge de manœuvre est étroite. Les partenaires sociaux sont censés trouver des solutions pour combler le trou annoncé du système de retraite à l'horizon 2027, mais ils sont une simple force de proposition. L'exécutif décidera de toute façon seul des mesures à prendre, comme le prévoit l'article 57 du projet de réforme. En outre, le Premier ministre a d'emblée proscrit certaines voies, dont la hausse des cotisations.
Qui croit encore à la pertinence de ces réunions ? La CFDT, qui a réclamé la conférence, et l'Unsa espèrent encore obtenir "un cocktail de mesures" où le fardeau serait davantage réparti entre syndicats et patronat. Du côté de la CFE-CGC, Pierre Roger se montre nettement plus acerbe. Il rappelle que "ni l'exécutif ni l'Assemblée nationale ne sont tenus de s'inspirer" des mesures proposées.
Après la première séance, mardi 18 février, Pierre Roger raconte : "Ça a duré trois heures pour se mettre d'accord sur l'analyse des déficits. Sachant qu'on est 40 autour de la table et qu'on a commencé par relire pendant une heure trente les documents reçus sur le sujet, il restait dix minutes par organisation pour s'exprimer. En tout, avant la réunion de synthèse, il n'y aura que trois séances portant sur le financement des déficits à court terme. On va jouer le jeu, mais ce n'est pas du boulot. Si on veut donner des chances à cette conférence, on ne s'y prend pas comme ça. Tout le monde va venir avec ses idées et repartir avec. Et, pendant ce temps-là, l'Assemblée poursuit son travail."
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