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Témoignages "Il n’y a rien de pire que de se dire que c’est foutu" : grévistes contre la réforme des retraites, ils racontent pourquoi ils continuent la lutte

Cinq mois après le début de la contestation et alors que le mouvement s’essouffle dans la rue, quatre hommes et deux femmes exposent ce qui les fait encore tenir.
Article rédigé par franceinfo
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Des manifestants contre la réforme des retraites, à Perpignan, le 1er mai 2023. (JC MILHET / HANS LUCAS / AFP)

"Les gens disent que c'est terminé mais non, moi je dis qu'il faut se battre." Depuis le début du mouvement contre la réforme des retraites, Julien Schanen, cariste à Châteaubourg (Ille-et-Vilaine), a participé à douze manifestations. Un long engagement qu'il compte faire perdurer une nouvelle fois mardi 6 juin, pour la quatorzième journée de mobilisation décrétée par l'intersyndicale.

Alors que le mouvement contre la réforme des retraites voit ses troupes diminuer dans les cortèges et que la loi a été promulguée, pourquoi certains grévistes font-ils le choix de persister ? Espoir d'obtenir le retrait de la réforme, sentiment de mépris de la part du gouvernement, colère contre la méthode adoptée, lutte contre l'injustice sociale… Six d'entre eux témoignent de leur mobilisation indéfectible.

Eva Raynal : "Ce n'est pas parce que les choses sont actées qu'il ne faut plus protester"

En l'espace de deux mois, les amis et collègues qui composaient le cortège des manifestations contre la réforme des retraites avec Eva Raynal se sont peu à peu évaporés. "La grève a rincé pas mal de monde. Et à partir des violences suite au 49.3, plusieurs amis ont arrêté de manifester", explique cette enseignante à l'université d'Albi. Pas de quoi décourager cette syndiquée de SUD-Education : "J'y vais même si j'ai peur. Il n'y a rien de pire que de se dire que c'est foutu." Optimiste, mais sans illusions, la tout juste trentenaire croit encore en la force de la foule. "Ce n'est pas parce que les choses sont actées qu'il ne faut plus protester."

Le mépris du gouvernement et la "disproportion de la force" utilisée agissent comme un moteur pour Eva Raynal. Alors, le 6 juin, comme les jours de mobilisation qui lui succéderont peut-être, elle sera encore dans la rue pour "arrêter d'avoir l'impression d'être perçus comme illégitimes et illégaux".

Julien Schanen : "Je ne veux pas laisser un monde comme ça à mes enfants"

Titulaire d'un bac pro espaces verts, Julien Schanen, 43 ans, n'avait pas prévu de passer toute sa carrière à fabriquer et porter des palettes, ni à passer ses journées dans un élévateur, à huit mètres au-dessus du sol. "Il y a une usure physique. A 64 ans, je me vois mal encore sur l'élévateur à tenir la même cadence", déplore ce cariste en logistique agroalimentaire. De ses quinze ans en poste ne découlent que "des courbatures partout dans les cervicales, le dos et des douleurs aux mains et aux doigts". Plus que le report de l'âge légal de départ, c'est la suppression de certains critères de pénibilité qui a sonné comme une profonde injustice pour lui.

Julien Schanen s'identifie à "la classe moyenne par excellence", celle "qui subit les coupures budgétaires" alors qu'il "y avait d'autres choses à faire que de nous prendre deux ans de retraite". Le coût de la vie le préoccupe aussi : "Je fais toujours attention mais je suis quand même ric-rac. Je ne veux pas laisser un monde comme ça à mes enfants." Alors, cinq mois après le début du mouvement, l'amertume est intacte, et sa détermination aussi. "La retraite a été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase", lance-t-il.

Nathalie Brun : "Qu'on soit dix ou dix millions, je resterai dans la rue"

Quand Nathalie Brun, 55 ans, a fait les comptes, ses 43 ans de cotisations auraient pu la faire partir à 60 ans. Mais la réforme a tout chamboulé. A deux trimestres de bénéficier du dispositif de carrière longue et malgré les trimestres supplémentaires pour ses trois enfants, la Lyonnaise devra finalement travailler jusqu'à 63 ans et neuf mois. "On m'oblige à avoir 46,25 ans de cotisations, regrette-t-elle. Je vais travailler trois ans pour rien alors que j'ai bossé toute ma vie." Une iniquité qu'elle a "du mal à avaler" et qui l'a poussée à descendre dans la rue douze fois depuis janvier.

Le 6 juin, Nathalie Brun espère que les gens comprendront qu'ils "doivent se bouger". Mais, raz de marée ou pas, elle restera mobilisée. "Qu'on soit dix ou dix millions, je resterai dans la rue et je suis prête à perdre encore des journées de salaire", assure cette ingénieure en informatique. Loin d'être résignée, elle refuse de mettre un point final à la lutte : "J'agis à ma microscopique échelle, mais je pourrai regarder mes enfants dans les yeux et leur dire que j'ai fait tout mon possible."

Alexandre Pignon : "Je suis prêt à faire grève encore trois mois si ça me permet de gagner deux ans"

En sortant du travail, Alexandre Pignon se plaisait à décompresser au bar avec ses collègues facteurs. Un luxe qu'il ne peut plus se permettre depuis qu'il s'est engagé dans trente jours de grève depuis le début de la contestation. "Je suis prêt à faire grève encore trois mois si ça me permet de gagner deux ans", se motive-t-il, malgré le sacrifice financier inévitable de sa décision. Cette année, sa mobilisation lui a coûté un mois de salaire, soit environ 1 500 euros, avec ses 25 ans d'ancienneté. Une perte considérable qui n'a pu être comblée que d'un tiers environ grâce à la caisse de solidarité de la CGT.

"On ne mange plus la même chose et je me restreins sur le peu de loisirs que j'avais", note ce syndiqué à la CGT. Son épouse, en CDD, a décidé d'arrêter la grève pour pouvoir subvenir aux besoins de leur fille en études supérieures. Alexandre Pignon, lui, ne considère pas les problèmes financiers comme une barrière. Pour lui, "c'est une question de convictions".

Romain Mahieu : "On voulait amener les ordures jusqu'aux portes de l'Elysée"

En plus des nombreuses manifestations auxquelles il a participé, Romain Mahieu a également délaissé les bancs de la fac à cinq reprises pour participer au blocage de l'incinérateur d'Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne). "Pour moi, la retraite est un horizon lointain, je manifeste en solidarité avec les personnes concernées", affirme l'étudiant. Soutenir les éboueurs a été une manière pour lui "d'amener les ordures jusqu'aux portes de l'Elysée et la contestation dans les quartiers de la haute bourgeoisie qui n'est pas touchée".

Depuis, Romain Mahieu tente de remobiliser ses proches et ses camarades. "On ressent de la lassitude et, en étant rationnel, il y a peu de chances que ça marche", reconnaît-il. Mais lui considère la retraite comme "un combat parmi d'autres" face à "un mur impassible, même après les manifestations" auxquelles il a participé. Devant l'absence de main tendue du gouvernement face à la colère sociale, Romain Mahieu a été tenté d'utiliser la violence comme "un exutoire". Une violence qu'il n'a "jamais concrétisée", assure-t-il, mais qu'il n'a pas non plus condamnée, "tant que ça touchait le système en général, comme les poubelles et les panneaux publicitaires".

Pierre de Chambrun : "Je le fais pour mes enfants, pour les générations à venir"

Du haut de ses 78 ans, Pierre de Chambrun, engagé sous la banderole Nupes, a l'énergie d'un tout jeune militant. Depuis mi-janvier, le retraité est de toutes les manifestations à Angers, sans compter les nombreuses distributions de tracts. "Treize manifestations, ça fait beaucoup, les gens ont des familles. A force, il y a une usure", reconnaît-il. Mais lui ne "lâche pas l'affaire" et tente tant bien que mal de remobiliser les travailleurs à la sortie des usines.

Chez Pierre de Chambrun, l'engagement à gauche est une affaire de famille. Ses enfants ont aussi manifesté. "Je le fais pour eux, pour les générations à venir, les gens qui ont eu des carrières dures", affirme-t-il. Du président de la République, il n'attend pas de concessions, surtout après "l'abus de pouvoir" du 49.3. Et avec ses camarades angevins de la Nupes, Pierre de Chambrun s'active pour la suite : "On va se battre pour les échéances électorales."

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