"Smic jeunes", plan Juppé, CPE, loi Travail... Ces réformes sur lesquelles la rue a réussi (ou pas) à faire plier le gouvernement
Pour faire passer le projet de réforme des retraites sans passer par le vote des députés, la Première ministre Elisabeth Borne a engagé la responsabilité de son gouvernement, jeudi 16 mars, en ayant recours au 49.3. Cette situation n'est pas inédite et rappelle, par la contestation qu'elle génère, plusieurs grandes réformes de la Ve République. Dans le passé la mobilisation a poussé les différents gouvernement à reculer ou au contraire à maintenir ses plans en restant "droit dans ses bottes".
En 1994, le "Smic jeunes" est abrogé
À la fin de l'année 1993, face à un important taux de chômage, qui a atteint les 10% de la population active, le gouvernement Balladur met en place le CIP (contrat d'insertion professionnelle). Un contrat à durée déterminé à destination des moins de 26 ans et jusqu'à bac + 3 ans. La loi est votée le 20 décembre 1993 à l'Assemblée nationale et mise en application par un décret du 23 février 1994. Le contrat d'insertion professionnelle, surnommé le "SMIC-jeunes", prévoit une rémunération à 80% du SMIC, voire moins si le contrat est associé à une formation. Des conditions qui provoquent la colère de la rue. Dans un de ses journaux, France 3 parle de "plus d'un mois d'une opposition tonitruante" menée par des lycéens, étudiants et syndicalistes.
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Le CIP est finalement retiré le 30 mars face à la pression de la rue. Le 7 avril 1994 une motion de censure est déposée mais elle n'obtient que 87 voix contre les 289 requises. Le gouvernement Balladur remplace finalement le CIP par une aide de 1 000 francs par mois versée durant neuf mois aux entreprises qui prennent en contrat pendant au moins un an et demi un jeune de moins de 26 ans.
En 1995, le plan Juppé met la France à l'arrêt pendant trois semaines
C'est l'un des plus grands mouvements de grève de la Ve République : les grèves de 1995. Alors que Jacques Chirac vient à peine d'être élu président de la République, son Premier ministre Alain Juppé présente un projet de réforme de la Sécurité sociale et du régime des retraites. Un projet immédiatement impopulaire, dans un contexte social déjà agité et marqué par plusieurs mouvements de grève importants. La présentation du plan à l'Assemblée nationale, le 15 novembre 1995, déclenche la colère. Durant trois semaines, le pays est paralysé, les trains et métros sont bloqués.
Le 2 décembre une motion de censure est déposée contre le projet le plan de réforme de la Sécurité sociale, le contrat de plan de la SNCF, et l'alignement des régimes spéciaux de retraite sur les salariés du privé. Sur les 284 voix nécessaires pour obtenir la majorité, la motion, déposée par notamment Laurent Fabius du Parti Socialiste et Jean-Pierre Chevènement, ne recueille que 87 voix.
Le 12 décembre, qui marque le moment le plus fort de la contestation, entre un et deux millions de personnes manifestent pour montrer leur opposition au plan Juppé. Face à cette contestation d'une grande ampleur, Alain Juppé retire finalement, trois jours plus tard, de son plan la partie concernant les retraites mais garde les autres aspects concernant la sécurité sociale.
En 2006, le gouvernement Villepin renonce finalement au CPE
Même si il a été adopté grâce à l'article 49.3 le 10 février 2006, c'est bien la mobilisation de la rue qui poussera le gouvernement de Dominique De Villepin à supprimer le contrat de premier embauche (CPE). Le CPE, c'est ce dispositif, là encore très controversé, prévu dans l'article 7 du projet de loi sur l'égalité des chances, qui devait faire baisser le chômage des jeunes. Ce contrat, d'une durée indéterminée, destiné au moins de 26 ans, prévoyait une période d'essai de deux ans révocable à tout moment. Résultat : la jeunesse et les syndicats se retrouvent dans les rues pendant trois mois.
"Les conditions nécessaires de confiance et de sérénité ne sont réunies ni du côté des jeunes, ni du côté des entreprises pour permettre l'application du contrat première embauche."
Dominique De Villepin, Premier ministreà Paris, le 10 avril 2006
Si une motion de censure est déposée le 15 février, contre la seule utilisation du 49.3 lorsque Dominique De Villepin était à Matignon, elle échoue et la contestation se poursuit. Dans une rétrospective en 2016, franceinfo expliquait qu'"au plus fort du mouvement, un à trois millions de personnes défilaient pour demander le retrait de la réforme". Le 10 avril, le Premier ministre Dominique de Villepin annonce finalement faire marche arrière et abandonne son CPE qui, regrettait-il alors, n'avait "pas été compris par tous" alors qu'il constatait "une crise révélant une anxiété sociale autant qu'un désir de modernisation". La loi du 21 avril abroge le projet de CPE et le remplace par des mesures d'aide à l'insertion pour les jeunes en difficulté.
En 2016, la loi Travail passe après trois 49.3
En 2016, la tension est toujours très vive dans les rues contre la loi travail présentée par Myriam El Khomri, ministre du Travail et de l'Emploi de François Hollande alors que Manuel Valls est Premier ministre. A trois reprises, Manuel Valls engage la responsabilité du gouvernement devant l'Assemblée nationale avec l'article 49.3. Une seule motion de censure sera déposée le 12 mai, après le premier passage de la loi à l'Assemblée, il lui manquera 44 voix sur les 288 nécessaires pour être votée. La contestation a duré au total cinq mois, avec de nombreuses manifestation, dont certaines marquées par des violences. Mais, cette fois, la voix de la rue ne fait pas plier le gouvernement de Manuel Valls, et la loi sera promulguée le 8 août 2016.
En 2020, le Covid-19 mène à une suspension de la réforme des retraites
Si les manifestations ont parfois fait reculer les gouvernements de la Ve République, en 2020 c'est la pandémie de Covid-19 qui pousse le gouvernement à suspendre la réforme des retraites.
La contestation sociale était déjà forte avec des manifestations dès décembre 2019 contre ce régime de retraite "universel" par points avec entre 806.000 et 1,5 million de personnes dans les rues, le 5 décembre 2019. Dans les transports, à la SNCF et la RATP, la grève se poursuit lors des fêtes de fin d'année et devient la plus longue grève à la SNCF depuis sa création, la mobilisation des enseignants atteint elle aussi des records.
Le projet est pourtant adopté en première lecture à l'Assemblée nationale le 29 février 2020 grâce à l'utilisation du 49.3 malgré deux motions de censure. Alors que l'épidémie de Covid-19 progresse sur la planète, c'est le confinement qui pousse le gouvernement à suspendre la réforme. Trois ans plus tard, en 2023, le gouvernement reprend le dossier et propose de décaler l'âge légal de départ à la retraite à 64 ans.
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