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Retraites : au Sénat, la gauche veut contrer la réforme sans rejouer le "spectacle" de la Nupes à l'Assemblée

Article rédigé par Thibaud Le Meneec, Lola Scandella
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Les bancs du Sénat, au Palais du Luxembourg, à Paris, le 8 février 2023. (XOSE BOUZAS / HANS LUCAS / AFP)
Minoritaires, les groupes socialiste, communiste et écologiste veulent notamment limiter le nombre d'amendements déposés afin de pouvoir examiner l'article 7, qui prévoit le recul de l'âge légal de départ à la retraite à 64 ans.

Après un examen agité à l'Assemblée nationale, la réforme des retraites arrive au Sénat. Discuté en commission depuis mardi, le texte sera débattu en séance dans l'hémicycle à partir du jeudi 2 mars. Si la gauche, minoritaire, compte contrecarrer les plans du gouvernement, elle aborde cette séquence avec une autre stratégie que celle adoptée par la Nupes à l'Assemblée nationale. Sur la forme aussi, les débats au palais du Luxembourg se distingueront de ce que les Français ont pu observer pendant deux semaines au Palais-Bourbon. "A gauche, la différence majeure au Sénat par rapport à l'Assemblée nationale, c'est que La France insoumise n'y est pas", rappelle Damien Lecomte, docteur en science politique.

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Or, ce sont les députés La France insoumise qui se sont opposés le plus vertement au texte à l'Assemblée nationale. Ils ont assumé une stratégie de blocage en déposant et en maintenant plusieurs milliers d'amendements, puis en multipliant les prises de parole. Cette opposition frontale a aussi donné lieu à plusieurs incidents, comme lorsque Thomas Portes a tweeté une photo sur laquelle il pose le pied sur un ballon à l'effigie d'Olivier Dussopt, puis quand Aurélien Saintoul a qualifié le ministre du Travail d'"assassin", propos pour lesquels il s'est ensuite excusé.

Pas "de leçons à recevoir" de La France insoumise 

Dans l'atmosphère traditionnellement plus feutrée du Sénat, les groupes de gauche veulent éviter cette stratégie du bruit et de la fureur. "Nous voulons une ambiance apaisée. (…) Nous ne voulons pas que les débats tournent au spectacle", a affirmé au journal Les Echos (article réservé aux abonnés) Patrick Kanner, patron des 64 sénateurs socialistes. "Cela correspond à la composition et à l'image que veut donner le Sénat, comme une assemblée de la modération, au-delà des clivages partisans", analyse Damien Lecomte. 

Pour la stratégie de fond, les écologistes, les socialistes et les communistes veulent également se distinguer de La France insoumise, dont le conseil politique a "solennellement" appelé la semaine dernière "les sénateurs de la Nupes" à "tout faire pour empêcher l'adoption de la retraite à 64 ans au Sénat". Cette petite phrase a pu agacer dans les rangs de la gauche sénatoriale. "Nous n'avons de leçons à recevoir de personne, surtout pas venant d'autres forces politiques", balaie Eliane Assassi, présidente du groupe communiste, qui compte 15 parlementaires. 

La gauche veut arriver à l'article 7 sur le report de l'âge légal

Au sein de la chambre haute, qui compte 348 parlementaires, les trois groupes se sont tout de même coordonnés pour avancer ensemble face aux défenseurs de la réforme. D'abord lors d'une visioconférence organisée mardi 21 février pour accorder leurs violons, puis en signant collectivement une motion référendaire, comme l'a révélé Le Figaro, mardi. Cette motion, qui sera déposée "vendredi matin" par les socialistes "au nom des trois groupes de gauche" au Sénat, vise à soumettre un texte débattu au Parlement à un référendum, a précisé Patrick Kanner lors d'une conférence de presse, mercredi. Elle n'a que très peu de chances d'aboutir à l'issue de son examen, mais a le mérite de permettre à la gauche de se faire entendre. "C'est ce que les Français attendent de nous, qu'on fasse front", souligne la socialiste Laurence Rossignol. 

"Il y a un front syndical uni, il appelle un front parlementaire uni de la gauche."

Laurence Rossignol, sénatrice PS de l'Oise

à franceinfo

La gauche sénatoriale souhaite en revanche ne pas faire d'obstruction parlementaire, tactique que les groupes écologistes, socialistes et communistes ont pu reprocher à La France insoumise à l'Assemblée nationale. "Le nombre d'amendements que l'on dépose dépassera les 3 000, mais ce sera le maximum", avance Guillaume Gontard, le président du groupe écologiste au Sénat, qui compte 12 sénateurs. "Ces amendements veulent dire quelque chose, car on propose de vraies options politiques." Pour autant, la position est délicate à tenir. "Il y a un équilibre difficile à trouver entre être une opposition qui s'oppose véritablement et être une opposition constructive et républicaine. C'est une ligne de crête pour eux", anticipe Damien Lecomte.

Un objectif a été clairement affiché : arriver au moins à l'examen de l'article 7 du texte, qui prévoit le recul de l'âge légal de départ à la retraite à 64 ans, alors que les députés n'ont pas atteint l'article 3, au grand dam des syndicats. "On arrivera à cet article 7 et on se battra pour qu'il ne soit pas voté", assure Guillaume Gontard. L'examen de ce fameux article pourrait intervenir mardi 7 mars, date de la prochaine journée de mobilisation nationale contre la réforme. "Nous voudrions pouvoir arriver ce jour-là à l'article 7 et avoir un débat de fond, pouvoir injecter par voie d'amendements nos propositions", défend Eliane Assassi. Cette journée s'annonce cruciale pour les opposants au projet de réforme. "Il y aura vraisemblablement la mobilisation sociale, la discussion et le vote", détaille Guillaume Gontard.

Et les sénateurs de gauche comptent bien s'appuyer sur la rue pour faire entendre leurs voix. "Nous considérons que nous sommes légitimés par les enquêtes d'opinion, qui font état de 75% de Français hostiles à la réforme, par les centaines de milliers de manifestants, par l'unité syndicale. Tout cela nous donne notre feuille de route", estime Laurence Rossignol.

Un champ d'action limité

Dans l'enceinte du Sénat, l'examen du texte est aussi l'occasion pour la gauche d'apparaître comme la principale force d'opposition. Dans cet hémicycle, le Rassemblement national ne dispose pas d'élus, contrairement à l'Assemblée nationale, où son groupe de 88 députés revendique le statut de premier opposant à la majorité. Malgré cette absence notable, les trois groupes de gauche doivent composer avec une chambre haute dominée par la droite et le groupe Les Républicains (LR). A l'Assemblée, les députés du parti se sont divisés sur la ligne à adopter face à la réforme, mais les 145 sénateurs LR affichent un front uni et favorable à l'exécutif qui complique les plans de la gauche.

"Au Sénat, la gauche n'a pas énormément de marge de manœuvre." 

Damien Lecomte, docteur en science politique

à franceinfo

Si les groupes socialistes, communistes et écologistes sont déterminés "à tout faire pour que le texte ne soit pas adopté", comme le souhaite Laurence Rossignol, leur pouvoir apparaît limité. Et leur marge de manœuvre pourrait se réduire encore si le président du Sénat, Gérard Larcher (LR), faisait usage de l'article 38 du règlement intérieur (document PDF). Cette disposition permet d'abréger les débats sur un amendement ou un article à partir du moment où "au moins deux orateurs d’avis contraire sont intervenus". De quoi alimenter un arsenal législatif "contre l'opposition", dont pourrait se servir une droite sénatoriale "en osmose" avec l'exécutif, tacle Laurence Rossignol. "Le Sénat ne doit pas devenir un simple relais du gouvernement, on doit prendre le temps du débat", a complété Guillaume Gontard en conférence de presse, adressant une "mise en garde" à la majorité sénatoriale de droite qui pourrait devenir selon lui ce "relais"

"Le gouvernement dispose d'une armurerie très conséquente pour tordre le bras au Parlement."

Laurence Rossignol, sénatrice PS de l'Oise

à franceinfo

L'utilisation de l'article 38 raccourcirait des débats déjà contraints dans le temps par l'article 47-1 de la Constitution, enclenché par Elisabeth Borne avant le début de l'examen parlementaire. Elle pourrait également permettre que l'examen du texte soit mené à son terme et voté avant le dimanche 12 mars à minuit, date de la fin des discussions au Sénat. Un scénario redouté par la gauche, qui veut éviter l'adoption du projet de réforme et a "l'intention de prendre tout le temps nécessaire pour s'exprimer sur le texte", poursuit Laurence Rossignol. La gauche rejette d'avance tout reproche d'obstruction, anticipant l'éventualité que le texte ne soit pas entièrement examiné d'ici au 12 mars. "On ne pourra pas nous le reprocher", a lancé Patrick Kanner mercredi. "La première obstruction, c'est celle du gouvernement", a-t-il assené. 

La gauche minoritaire en commission mixte paritaire

Le sort de la réforme ne serait toutefois pas réglé. A l'issue des débats au Sénat, le texte doit partir en commission mixte paritaire (CMP). Instance législative peu connue du grand public, la CMP réunit, en cas de désaccord entre les deux chambres du Parlement, sept députés et sept sénateurs, chargés de se mettre d'accord sur une version commune. Sa composition dépend de la taille des groupes politiques. Avec seulement cinq voix, la gauche sera là aussi minoritaire face à l'alliance de la droite et du gouvernement.

Reste à l'opposition un argument qui dépasse le circuit parlementaire. "Comment peut-on mettre en œuvre une réforme comme celle-ci alors qu'elle n'a pas été adoptée par l'Assemblée nationale, élue au suffrage universel direct ?", s'interroge Eliane Assassi. Pour la sénatrice communiste, les parlementaires qui composeront la commission mixte paritaire seront confrontés "à une sacrée question démocratique"

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