: Reportage Réforme des retraites : "Ce n’est pas dans notre ADN de manifester, mais là il fallait monter au créneau", expliquent des patrons de TPE
Perceuse en main, Vincent Vaquez porte, soulève et fixe des plaques de plâtre et d'isolants, dans une maison en construction à Quintin, au sud-ouest de Saint-Brieuc dans les Côtes-d’Armor. "C'est très difficile. Une plaque de placo, c'est 30 à 35 kilos, explique-t-il. Il en porte "entre 100 et 150" sur un chantier. "Physiquement, j'ai 45 ans, je suis cassé, dit-il. Je le ressens sur mes épaules, mon dos. Et puis le plâtre est volatil. Je respire les poussières de ciment toute la journée !"
Vincent Vaquez a déjà été arrêté plusieurs mois, et hospitalisé. Tout comme son patron, opéré des genoux. À 47 ans, Walid El Sayed, le gérant de l'entreprise, vient toujours prêter main forte. "Cela fait 25 ans que je suis sur les chantiers. Je sais ce que c’est que le travail. J’aide beaucoup mes gars. Ils sont épuisés, fatigués. Donc cette loi-là, ce report de l’âge légal, on ne peut pas l'accepter, c'est impossible", certifie-t-il.
"À 62 voire 64 ans, on arrivera avec une canne ou en fauteuil roulant sur les chantiers !"
Walid El Sayed, gérant d’Armor Plaquiste Isolationà franceinfo
Ses huit salariés et lui sont tous contre la réforme des retraites. Ils ont défilé à plusieurs reprises dans les rues de Saint-Brieuc, à quelques kilomètres d’ici, lors des précédentes journées de mobilisation. Et pour les soutenir, le patron ne leur décompte pas leurs heures de grève. "Dans le bâtiment, les salaires ne sont pas mirobolants. Un peu au-dessus du SMIC. 1 600, 1 700 euros net. Donc si on leur retire un ou deux jours de salaire, ils ne vont pas s'en sortir", estime-t-il.
Depuis son échelle, son employé, Vincent Vaquez, confirme. "Ça aurait été très compliqué sinon, vu le contexte, l'inflation. Je gagne 1 700 euros net. J'ai de la chance que mon patron me soutienne. J’ai pu ainsi me libérer plusieurs demi-journées et aller manifester. Si je dois continuer jusqu’à 64 ans, c’est impossible. Je serai au cimetière avant !"
Pour limiter l'impact des grèves, et les retards sur les chantiers, il prévient deux jours avant Aurore Vasse. La directrice d'exploitation et responsable des plannings fait en sorte qu'il y ait un roulement. Si un salarié veut faire grève, un collègue le remplace, et inversement lors de la journée de mobilisation suivante. "Il faut que l’on travaille en bonne intelligence pour que l’entreprise continue de tourner", expose-t-elle.
"On essaye de toujours avoir au moins une personne de la société dans les cortèges, pour nous représenter."
Aurore Vasse, directrice d’exploitation d’Armor Plaquiste Isolationà franceinfo
"Cela peut arriver de prendre un peu de retard sur les chantiers, admet-elle. On essaye de le pondérer avec autre chose. Mais finalement, le sujet des retraites est trop important !"
Licencier pour inaptitude, "un crève-cœur"
Payer les jours de grève coûte, selon elle, beaucoup moins que les conséquences du report de l'âge légal. Des salariés plus vieux sur les chantiers, plus fatigués, des arrêts maladies, voire pire, un licenciement pour inaptitude, qui coûte cher à une entreprise. Aurore Vasse et Walid El Sayed ont dû en effectuer un l’an dernier, pour un salarié inapte au travail sur les chantiers. "C’était un crève-cœur. On ne pouvait pas le mettre sur un poste moins physique, de chef de chantier par exemple. On ne peut pas avoir dix chefs de chantier pour deux ouvriers, ou davantage de postes administratifs, de bureau. Ça ne tient pas, en tout cas pas dans une petite entreprise comme la nôtre", explique Aurore Vasse.
Les patrons d’Armor Plaquiste Isolation ne sont pas seuls à se mobiliser contre la réforme des retraites. Ils y ont notamment été appelés par leur syndicat patronal sectoriel, la CAPEB des Côtes d’Armor. À rebours de l’organisation nationale, qui s’est prononcé plutôt pour la réforme, le président de la CAPEB 22, Erlé Boulaire, y est ouvertement opposé. Il a sondé ses adhérents à la fin du mois de janvier. Les trois quarts de ces petits patrons, artisans sont opposés à la réforme. "Ce n’est pas dans notre ADN de manifester, mais là, on s’est dit qu’il fallait monter au créneau, explique Erlé Boulaire. On a donc défilé plusieurs fois. Les bureaux de la CAPEB ont fermé certains jours de grève. On a aussi participé au blocage d'un rond-point. Il n’y a plus de frontière entre les combats des salariés et ceux des patrons".
"Au moins, quand on se regardera dans le miroir, on pourra le faire sans aucun état d'âme."
Erlé Boulaire, président du syndicat patronal CAPEB 22à franceinfo
Dans une des villes du département, à Lannion, son organisation patronale siège même à la table de l'intersyndicale, à côté de la CGT, la CFDT ou encore Force Ouvrière. Les administrateurs de la CAPEB décideront après le 14 avril, et selon la décision du Conseil constitutionnel, s’ils poursuivent ou non la mobilisation après cette date.
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