: Reportage "Maintenant, c'est la colère qui parle" : les opposants à la réforme des retraites promettent de durcir le mouvement
Des traces de plastique brûlé, des barrières de chantier renversées... Dans le centre ville de Saint-Etienne (Loire), les traces des incidents de la veille sont encore visibles, vendredi 17 mars au matin. Ici, comme à Nantes, Rennes ou Paris, des manifestations spontanées ont eu lieu afin de dénoncer l'usage par Elisabeth Borne de l'article 49.3 de la Constitution, jeudi, pour faire passer la réforme des retraites. La police a fini par disperser la fin de cortège en usant de gaz lacrymogènes. Mais le gros de la foule stéphanoise a défilé pacifiquement pour exprimer sa colère.
Le cortège se rend devant la permanence du député LR Quentin Bataillon. Dans la foule, des manifestants allument des fumigènes et des pétards. pic.twitter.com/7hWaIL3i1m
— France Bleu Saint-Étienne Loire (@bleustetienne) March 16, 2023
"Là, on force le peuple, il y en a marre, souffle Laure. Maintenant, c'est quoi notre solution ? La démocratie, ils nous la mettent, désolée, mais... bien profond. Et là maintenant, c'est la colère qui parle. Le peuple n'en peut plus. Je suis auxiliaire de vie, je lève des gens le matin, le soir, je m'occupe d'eux. Je suis bienveillante et qui est bienveillant avec nous ? On veut m'envoyer au boulot jusqu'à 67 ans !"
"Moi, avec ma carrière hachée, c'est 67 ans, pour 900 balles par mois. Non, je ne peux plus !"
Laure, auxiliaire de vieà franceinfo
Ce qui est très marquant, c'est l'empathie des Stéphanois rencontrés hors cortège. Pascale, une commerçante qui dit ne pas être farouchement opposée à la réforme, condamne la méthode du gouvernement : "Beaucoup de dégoût. Ça veut dire qu'on n'écoute personne et qu'on va dans quelque chose qui est difficile pour les jeunes, difficile pour les moins jeunes. On ne peut pas accepter d'être pris pour des pions ! On n'est pas avec un roi à la tête de notre gouvernement ! Et nos députés, qui connaissent très bien nos demandes, ne peuvent plus avoir aucun pouvoir. Pourquoi y a-t-il des députés ?"
"Chacun défend son bifteck"
À Montargis, où plusieurs milliers de manifestants ont défilé contre la réforme des retraites ces derniers mois, c'est un sentiment d'aigreur qui domine après le passage en force de l'exécutif. "C'est une honte, lâche Benoît. Je suis absolument révolté contre ça parce que le 49.3... On ne peut rien faire, on va dans la rue, ça ne sert plus à rien du tout. Qu'est-ce qu'il en a à foutre Macron ? Il est bien au chaud, chez lui. Rien à foutre ! C'est pas deux heures qu'il faut y aller, c'est tous les jours, H24, et là, il va céder ! De toutes façons, il ne va pas dissoudre l'Assemblée nationale. S'il dissout, c'est le Front national (sic) qui passera." Seule solution, selon Benoît : bloquer vraiment tout le pays. "La seule chose qu'on peut faire, c'est quoi ? Une mobilisation générale, et puis Mai-68. S'il faut les balancer des cailloux, j'irai balancer des cailloux parce que c'est une honte".
"Ce n'est pas un président qu'on a, c'est un voleur. Borne, c'est pareil, c'est une honte. Ce n'est pas un gouvernement, tout passe au 49.3 ! C'est invraisemblable !"
Benoît, habitant de Montargisà franceinfo
Christophe, lui aussi, est écœuré par le choix du gouvernement : "Il n'écoute pas le peuple !" Pourtant, lui ne s'était pas mobilisé. "Moi, je suis indépendant artisan. Je n'ai pas le temps d'aller manifester, je gagne ma croûte pour payer ma retraite qui va être très légère."
Dans cette commune de près de 15 000 habitants, on ne croise pas que des opposants à la réforme, bien entendu. Beaucoup de gens aussi pressent le pas en disant : "Nous, vous savez, la politique..." Et puis d'autres, comme Daniel, retraité d'un laboratoire pharmaceutique, estiment que le gouvernement a fait ce qu'il fallait faire : "Sur la méthode du gouvernement. Je pense qu'il n'avait pas le choix. C'est tellement débattu, chacun amène son avis, chacun défend son bifteck. Je suis complètement d'accord pour qu'ils passent en force avec le 49.3, je valide complètement."
Des commerçants aussi disent leur fatigue de voir toutes les semaines des cortèges dans le centre-ville de Montargis. Mais Eric lui pressent que ce n'est pas la fin du mouvement, au contraire : "Je pense que ça va mal se passer, il y a de grandes chances. Ça va peut-être dégénérer, peut être devenir beaucoup plus dur que ce qu'on pense. Les 'gilets jaunes', peut-être des gens comme ça".
"Les jeunes, ils sont où ?"
La sous-préfecture du Loiret fut un foyer très actif des "gilets jaunes". Mais Benoît, celui qui tout à l'heure était prêt à lancer des cailloux, s'inquiète aujourd'hui d'un essoufflement : "Les gens, ils finissent par lâcher. Les jeunes, ils sont où ? Dans les manifestations, les gens, ils ont en moyenne 50 ans, mais les jeunes, ils sont où ? Mon Dieu, mais moi, quand j'avais 20 ans, qu'il y a eu des problèmes, on était dehors, on allait se battre pour l'avenir !"
De fait, Fanny ne se voit pas retourner sur les ronds-points : "Je vais peut-être me mobiliser, histoire d'aller faire une manif à Paris et ainsi de suite. J'en ai fait tellement avec les "gilets jaunes". On a tellement été jugés que là pour aider les anciens avec leur retraite... Mais en fait, moi personnellement, j'ai 27 ans, je ne pense pas à la retraite et je pense que la plupart des jeunes, on pense pas à la retraite".
"Ma grande peur, c'est que ça fasse voter extrême"
À Saint-Etienne, de nouvelles actions sont prévues dès aujourd'hui. Dans le cortège, plusieurs salariés annoncent leur intention de débrayer jeudi 23 mars lors de la prochaine journée de mobilisation organisée par l'intersyndicale. La contestation est partie pour durer, pas de doute pour Bekir, 28 ans : "J'espère que l'opposition va se soulever face à ça. Et le peuple, que ce soit à 'Saint-É' ou partout. En fait, j'espère que ça va changer. Mais c'est bien parti pour que Macron, il fasse sa loi comme il le veut lui."
"Je pense que ça va bouger, abonde Martine, infirmière retraitée, surtout une ville comme Saint-Étienne, c'est une ville ouvrière quand même, un grand passé ouvrier, métallurgiste. Et puis ça se sent, il me semble". Cette ville a la longue histoire de lutte fortement mobilisée contre le 49.3, avec des Stéphanois qui craignent pour la suite des événements. "Ma grande peur, c'est que ça fasse voter extrême", confie Martine.
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