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Réforme des retraites : dix questions sur le système suédois qui a inspiré Emmanuel Macron

Article rédigé par Simon Gourmellet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 13min
La réforme des retraites du gouvernement s'inspire du modèle suédois, lancé à la fin des années 1990.  (WINFRIED ROTHERMEL / PICTURE ALLIANCE / AFP)

La réforme des retraites du "modèle suédois", souvent vanté par le président de la République, présente un bilan mitigé, avec des gagnants mais aussi beaucoup de perdants. 

"J'ai toujours considéré qu'il y avait, dans ce que certains ont pu appeler 'le modèle suédois', une véritable source d'inspiration à plusieurs égards." Cette déclaration d'Emmanuel Macron, le 31 juillet 2017, donnait déjà de nombreux indices sur ce qu'allait devenir la réforme des retraites en France, dans l'esprit du président de la République. Alors que les arbitrages sur ce dossier brûlant ont été rendus publics mercredi 11 décembre par le Premier ministre, Edouard Philippe, franceinfo propose un retour d'expérience venu de ce pays scandinave qui a lancé son "big bang" des retraites il y a désormais vingt ans.

1Comment est né ce système ?

Pour comprendre cette réforme, il faut la replacer dans son contexte. Lorsque la Suède se lance dans la refonte de son système de retraite à la fin des années 1990, le pays sort tout juste d'une grave crise financière. Explosion d'une bulle immobilière, banques confrontées à des pertes abyssales, récession… Un marasme qui non seulement doit être endigué, mais qui plombe le système de retraite par répartition d'alors, où les pensions sont basées sur les quinze meilleures années d'activité. Au moment de sa mise en œuvre, "la réforme s’est accompagnée d’économies budgétaires et les pensions ont donc été globalement revues à la baisse", explique dans Challenges Alain Lefebvre, ancien conseiller social d’ambassadeurs français en Scandinavie. L'effort est global et doit permettre à l'Etat suédois de revenir à l’équilibre financier. Lancée en 1991, la concertation a abouti en 1999.

2Qu'est-ce que ça a changé ?

Avant la réforme, les cotisations des actifs étaient modulées en fonction du montant des pensions versées aux retraités (calculées sur les quinze meilleures années, avec trente ans de cotisations pour une pension à taux plein) et le niveau des pensions était garanti. Avec le système mis en place en 1999, les cotisations sont fixes et le montant de la retraite n'est plus garanti : il dépend de l'âge de départ, avec décote et surcote, et de la croissance économique du pays.

3Concrètement, comment ça marche ? 

Le système est basé sur un point qui doit refléter la situation économique du pays, le niveau des salaires, et l'espérance de vie. "Un point, c’est une couronne suédoise, explique au Figaro Ole Settergren, expert auprès de Pensionsmyndigheten, l’agence suédoise chargée des retraites. Quand vous liquidez votre compte, donc quand vous prenez votre retraite, on divise la somme que vous avez versée – vos cotisations – par l’espérance de vie moyenne à votre âge. Cela vous donne le montant que vous percevrez tous les ans, donc votre retraite mensuelle."

Lorsqu'un salarié cesse de travailler, le montant des cotisations qu'il a versées est divisé par le nombre d'années qu'il lui reste à vivre, selon l'espérance de vie moyenne, et on obtient le montant annuel qui lui sera versé chaque mois. Plus il partira tôt, plus le quotient (nombre d'années) sera important, moins sa retraite sera élevée. Plus il partira tard (à partir de 65 ans), plus sa surcote sera importante, sans compter les incitations fiscales.

4Comment sont financées les pensions ? 

Le modèle suédois repose sur trois piliers : répartition, capitalisation, épargne.

Pour la répartition : la cotisation retraite totale s'élève à 18,5% du salaire. La majeure partie (16%) sert à financer le régime général de retraite ("allmänpension"), tandis que les 2,5% restants alimentent un régime par capitalisation via des fonds de pension ("premiepension").

La capitalisation : une épargne d'entreprise négociée dans le cadre des conventions collectives ("tjänstepension") complète le dispositif. Elle représentait en 2017 environ 25% de la valeur totale des pensions versées et sa part ne cesse d'augmenter. L'employeur verse 4,5% du salaire pour financer ce système. Environ 90% des salariés sont couverts par ce dispositif.

L'épargne privée : sa part est bien moindre et en recul depuis la suppression d'un abattement fiscal en 2015 et 2016.

5Comment sont réévaluées les retraites ? 

Les pensions sont réévaluées tous les ans en fonction de l’espérance de vie et de l’évolution du salaire réel moyen par tête. En cas de réserves financières insuffisantes ou de baisse du nombre d’actifs, un équilibrage automatique se déclenche, pouvant réduire le niveau des pensions.

6A quel âge peut-on prendre sa retraite ? 

Outre les cotisations, la réforme joue sur l'âge de départ à la retraite. Aujourd'hui fixé à 65 ans sans décote, il devrait progressivement passer à 67 ans en 2026. L'âge moyen effectif de départ est actuellement de 64,6 ans.

A partir du 1er janvier 2020, l'âge auquel un salarié pourra commencer à faire valoir ses droits au régime général, moyennant décote, sera relevé de 61 à 62 ans, avant un probable relèvement à 64 ans d'ici 2026.

7Comment les Suédois suivent-ils l'évolution de leur future pension ? 

En raison de tous ces paramètres et de la relative volatilité des prévisions, chaque Suédois reçoit un bilan tous les ans via une "enveloppe orange". A l'intérieur, il trouve son compte individuel de cotisations, qui lui permet d'anticiper le montant de sa future retraite selon l'âge de départ choisi. Ainsi, par exemple, un aide-soignant gagnant 2 800 euros brut en fin de carrière touchera 1 600 euros brut s'il part à la retraite à 65 ans, et 2 100 euros à 69 ans. "C'est un document très pratique qui résume bien notre situation concernant la pension issue de la répartition et nous aide à nous projeter", explique Pascale Ruault, une Française de 60 ans installée en Suède depuis le début des années 2000, contactée par franceinfo. Pour la partie complémentaire née de l'épargne d'entreprise, il faut se rapprocher des organismes concernés pour obtenir le détail, comme c'est déjà le cas en France, par exemple, avec l'Agirc-Arrco. 

8Quelles sont les limites de ce système ?

Des pensions qui fluctuent. Comme la valeur du point varie en fonction de la conjoncture du pays, de l'espérance de vie et de l'âge de départ à la retraite, il y a forcément des fluctuations. Ce fut notamment le cas avec des baisses en 2010 et 2011, puis des hausses en 2012 et 2013 avant une nouvelle baisse en 2014, comme le montre ce graphique du Conseil d'orientation des retraites (COR)

Les pensions des retraités suédois ont baissé en 2010 (-1,7%) et 2011 (-4,5%), puis augmenté en 2012 (+0,2%) et 2013 (+2%) avant de rebaisser en 2014 (-1,6%). (COR)

Des pensions faibles. En 2017, l'ancien Premier ministre suédois Göran Persson l'avait lui-même reconnu : "Nous avons le meilleur système de retraite au monde, avec le seul petit défaut qu’il donne des pensions trop basses." Les pensions en Suède s’élevaient ainsi à 60% du salaire de fin de carrière en 2000, et n'en représentent en 2018 plus que 53,4 %, selon les chiffres de l’OCDE. Pour avoir un niveau de vie correct, certains seniors sont donc obligés de travailler en complément de leur pension. 

Les femmes pénalisées. Les carrières dites "hachées ou incomplètes", avec des temps partiels, des études longues ou des arrêts de travail longs, comme c’est souvent le cas pour les femmes, sont pénalisées. Les Suédoises gagnent en moyenne 600 euros de moins par mois que les hommes, note Challenges. Un fossé qui a inspiré la série télévisée Braquage à la suédoise en 2017 (diffusé sur Arte), mettant en scène deux amies proches de la retraite qui décident de braquer une banque.

Pas de prise en compte de la pénibilité. Comme il s'agit d'un système universel, la pénibilité de certains métiers n'est pas prise en compte. Les "cols blancs" sont donc favorisés. En revanche, des systèmes de "flexi-pensions" ont été négociés dans certains secteurs avec, par exemple, des départs à la retraite progressifs en travaillant à temps partiel.

Davantage de retraités pauvres. Le nombre de personnes de plus de 65 ans qui reçoivent une aide publique parce que leur revenu est insuffisant a doublé dans les quinze dernières années en Suède, note Libération. En France, le taux de pauvreté est de 7,5% dans la tranche d’âge 65-74 ans et de 7,9% pour les plus de 75 ans, selon l'Insee. Il s’agit du taux le plus bas d'Europe. Au sein de la population française, le taux de pauvreté des seniors est également le plus faible de toutes les tranches d'âge. En Suède, le taux de pauvreté des seniors était de 14,7% en 2017, selon Eurostat, pratiquement le double de la France

Des incertitudes liées aux fonds de pension. La valeur de la part des cotisations placée dans les fonds dépend de leur rendement. Or le rendement moyen de ces fonds en 2018 a été négatif (-3,4%).

9Le système est-il à l'équilibre ? 

Oui, car c'est le principe même de ce régime de retraite. En fonction de la conjoncture du pays, des recettes et de l'espérance de vie, la valeur du point est ajustée, tout comme l'âge de départ à la retraite. Outre cet intérêt fondamental, le système est totalement autonome et déconnecté des finances de l’Etat. 

10Qu'en pensent les Suédois ? 

Les avis sont forcément partagés et dépendent de la situation de chacun. Pascale Ruault est arrivée en Suède au début des années 2000, au moment du lancement du nouveau système. "Aujourd'hui, il nous semble normal. Plus on travaille, plus on gagne de salaires, et plus nos pensions sont élevées. Bien sûr, au départ, ça ne fait pas plaisir, mais ce sont des mesures plutôt justes", estime cette bibliothécaire.

La limite de ce système réside bien évidemment dans la partie épargne. Le concubin de la sexagénaire, aujourd'hui à la retraite, ne s'est pas constitué d'épargne qui lui permettrait de toucher une pension complémentaire. "Le parcours de vie de ce professeur ne lui a pas permis de se constituer une telle épargne", souligne-t-elle. "Une partie non négligeable de la pension repose désormais sur la responsabilité de chacun." D'autant que pour constituer ce troisième étage de la fusée, il faut adhérer à des contrats avec des banques et des assurances, avec les aléas que cela représente. "Ce sont des fonds de pension, des produits financiers liés à des placements, avec les risques qui en découlent", reconnaît Pascale Ruault. 

"Je me sens rabaissée. Ce n'est pas drôle du tout", estime quant à elle Gunvor Andersson, une retraitée suédoise rencontrée par France 2.

A 77 ans, elle vit au centime près. Sa pension : 12 000 couronnes, soit 1 200 euros par mois. C'est inférieur au seuil de pauvreté du pays défini par l'Union européenne. Pour gagner quelques dizaines d'euros supplémentaires, elle confectionne des bijoux en verre.

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