Cet article date de plus de cinq ans.

Réforme des retraites : comment l'exécutif contre-attaque avant la grève du 5 décembre

SNCF, RATP, Education nationale, transports routiers ... Plusieurs syndicats appellent à une grève "reconductible" à partir du jeudi 5 décembre contre la réforme du système des retraites décidée par l'exécutif.

Article rédigé par Anne Brigaudeau
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Le président de la République Emmanuel Macron rencontre d'anciens salariés de Whirlpool désormais au chômage à Amiens, le 22 novembre 2019. (CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP)

Un "jeudi noir" en perspective dans les transports. La mobilisation s'annonce très suivie jeudi 5 décembre (et peut-être les jours suivants). A la SNCF, les quatre syndicats représentatifs – la CGT-Cheminots, l'Unsa ferroviaire, SUD-Rail et la CFDT cheminots – appellent à la grève contre la réforme des retraites voulue par Emmanuel Macron. A la RATP, comme dans le transport routier, à Air France comme dans l'Education nationale, les appels se multiplient... Comment l'exécutif se prépare-t-il à affronter le "mur du 5 décembre", comme l'appelle désormais l'entourage du chef de l'Etat, cité par Le Parisien ? Quelle bataille d'opinion livre-t-il d'ici là ? Eléments de réponse.

Un agenda allégé pour Emmanuel Macron 

L'écologie attendra. Lundi 2 décembre, le chef de l'Etat ne participera pas à la COP25 sur le climat, dont le coup d'envoi sera donné à Madrid (Espagneà). Il faut y voir, selon son entourage, la volonté d'"allèger" l'agenda international avant la date fatidique du 5 décembre. De la même façon, Emmanuel Macron ne restera qu'une journée au sommet de l'Otan, organisé mercredi 4 décembre à Londres.

Toujours selon ses communicants, le président de la République entend prendre son temps pour expliquer aux Français le sens de sa réforme et défendre son bilan. Jeudi 21 et vendredi 22 novembre, il s'est ainsi rendu à Amiens pour "rendre compte de son action", selon ses conseillers, même si cette visite a surtout été marquée par un échange tendu avec les ex-salariés de Whirlpool désormais au chômage. 

Des éléments de langage pour le gouvernement

Premier axe de la communication présidentielle : un exercice de pédagogie sur le thème "le pays ne va pas si mal". Jeudi 21 novembre, d'après Le Monde, Emmanuel Macron l'a décliné en évoquant devant des étudiants d'Amiens la "jeunesse qui réussit" dans la "transformation du monde". "Comparons la France aux autres pays, on ne se rend plus compte. (...) On a des tas d'atouts", s'est-il enthousiasmé. Avant de conclure :

On a l'impression, si on s'écoute collectivement, si on branche la radio ou qu'on allume la télé, que tout est terrible. (...) En ce moment notre pays est, je trouve, trop négatif sur lui-même.

Emmanuel Macron

Un élément de langage repris vendredi 22 novembre par la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, invitée de la matinale de BFMTV. "Je pense qu'il est important que, dans notre pays, on voit aussi ce qui va bien et ce qui marche bien. Il y a évidemment beaucoup de souffrances, a-t-elle déclaré, mais on a aussi des nouvelles positives et ça, il faut pouvoir s'en féliciter : quand vous avez plus de créations d'emplois, quand vous avez un pouvoir d'achat qui augmente, quand vous avez des impôts qui baissent, ce sont des bonnes nouvelles."

Une communication pour vanter la réforme

Second axe : convaincre l'opinion que la fusion des 42 régimes de retraite existants en un système unique (à points et basé sur l'ensemble de la carrière) relève de "l'équité". Interrogé par franceinfo mercredi 20 novembre, le haut-commissaire aux retraites Jean-Paul Delevoye a reconnu qu'il y avait fort à faire. "Il y a une inquiétude qui est nourrie par un certain nombre de personnes qui répandent des peurs", a-t-il affirmé. Et d'ajouter :

Il y a un certain nombre de contre-vérités. Notre combat, c'est de pouvoir retricoter à l'envers ces fausses vérités et de montrer à quel point ce projet est porteur de solidarité, de générosité et de solidité.

Jean-Paul Delevoye

sur franceinfo

A en croire Les Echos, l'Elysée a sommé ses troupes de passer à la vitesse supérieure : "Au boulot !", aurait ainsi lancé Emmanuel Macron. "Reprenez tout de zéro !" Le président "pense" même, selon le quotidien économique, qu'"il y a tous les éléments pour en faire une réforme heureuse". Encore faudra-t-il en persuader les Français :  selon un sondage pour La Tribune, Orange et RTL, 6 personnes interrogées sur 10 approuvent la journée de grève du 5 décembre.

Des avertissements envers les manifestants

Si ces arguments ne suffisent pas, des mises en garde complètent le dispositif. "Il n'y a pas de liberté de casser", a ainsi averti Emmanuel Macron, jeudi 21 novembre, à Amiens, lors de son discours devant des étudiants. Selon l'AFP, qui s'appuie sur une source gouvernementale, le chef de l'Etat attend que "tous ceux qui appellent à manifester condamnent clairement d'éventuelles violences avant le 5 décembre". Une façon de déplacer le curseur du social vers le sécuritaire. 

Auteur de Bloc contre bloc, la dynamique du macronisme, le sondeur Jérôme Sainte-Marie relève ainsi :

Emmanuel Macron semble ne rien vouloir céder sur le projet de réforme. Pour le faire passer, il est prêt à s'appuyer sur la force régalienne : la police et la justice. Le message, c'est que force restera à l'Etat.

Jérôme Sainte-Marie

à franceinfo

Cette méthode n'est pas sans danger, estime le spécialiste des sondages : "La logique de l'exécutif comporte une part de risques. Elle est interprétée par certaines catégories de Français comme une forme d'intimidation." A l'appui de leurs craintes, le bilan du mouvement des manifestations de "gilets jaunes" depuis un an, dressé par le gouvernement en novembre : 1 800 blessés côté force de l'ordre, 2 500 côté manifestants, dont "315 blessures à la tête, 24 éborgné.e.s et cinq mains arrachées", selon le décompte du journaliste David Dufresne publié sur Mediapart. Sans compter la mort d'une octogénaire à Marseille, décédée après avoir été touchée par une grenade lacrymogène alors qu'elle était à sa fenêtre.

Des discussions avec les syndicats

Sur la forme, le chef de l'Etat souligne l'importance de la "concertation" en cours avec les partenaires sociaux. Dans la réalité, les organisations syndicales de cheminots, qui portent plusieurs revendications, ne constatent aucun progrès. "Quatre réunions, zéro résultat", lâche à franceinfo Robert Dillenseger, secrétaire général de l'Unsa ferroviaire. "Il n'y a aucune garantie que la réforme des retraites ne s'appliquera pas aux actuels cheminots", prévient-il. 

Le processus tel qu'il est mis en place semble donner raison aux contestataires. L'exécutif souffle sur les braises.

Robert Dillenseger

à franceinfo

"A l'heure qu'il est, il n'y a pas de réponse. Est-ce que ce n'est pas délibéré ?", s'interroge encore le syndicaliste. Les dissonances apparentes, au sein de l'exécutif entre Emmanuel Macron, qui proclame sa détermination à aller au bout de la réforme, et le Premier ministre Edouard Philippe, qui se dit prêt à appliquer "la clause du grand-père" (seuls les nouveaux entrants sur le marché du travail seraient concernés par la réforme des retraites), le laissent dubitatif. Pour Robert Dillenseger, "à ce niveau de l'Etat, il ne s'agit pas de couacs, mais d'une méthode de négociation. On lance à l'opinion des suggestions, puis on voit ce que ça devient. C'est la volonté, encore une fois, d'affaiblir les corps intermédiaires." 

Contacté par franceinfo, le secrétaire fédéral de SUD-Rail, Eric Meyer, résume ainsi son sentiment : "Vu les postures de ces derniers jours et les communications portées, le gouvernement mène la bataille de l'opinion publique. Donc, à n'en pas douter, il a fait le choix de l'affrontement." Même la CFDT-Cheminots, la moins hostile au projet de réforme, s'est ralliée au mot d'ordre de "grève reconductible" aux côtés des trois autres syndicats représentatifs de la SNCF

Un hypothétique plan pour contrer la grève

En forme d'ultime contre-attaque, le gouvernement dit préparer "un plan de transports" en prévision d'une grève susceptible de se prolonger plusieurs jours. "Nous préparons bien sûr le plan de transports pour le 5, le 6, le 7, le 8, bref les jours possibles de grève, de manière à faciliter le transport des Français, et nous serons très vigilants sur les aspects d'ordre public", a indiqué le secrétaire d'Etat aux Transports Jean-Baptiste Djebbari, vendredi 22 novembre. Sans pour autant détailler les éventuelles mesures contenues dans ce plan pour l'instant.

Dimanche 1er décembre, à l'initiative d'Edouard Philippe, un séminaire gouvernemental sera par ailleurs organisé pour tenter de limiter l'impact de la grève. "Il faut s'assurer de la continuité des services publics", explique un conseiller de Matignon à franceinfo. Le secrétaire d'Etat chargé des Transports, Jean-Baptiste Djebbari, devra présenter un plan pour les transports, la ministre de la Santé Agnès Buzyn s'assurer de l'accès aux soins dans les hôpitaux, et le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner devra anticiper le nombre de policiers grévistes.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.