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Séries télé : les Français ont-ils enfin trouvé la recette du succès ?

Des saisons trop courtes et trop peu nombreuses, des scénarios pas toujours audacieux... Les séries télévisées françaises peinent à s'exporter. Mais la mutation est en marche, sur le modèle américain.

Article rédigé par Benoît Zagdoun
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
La boutique "Plus belle la vie" propose les produits dérivés officiels du feuilleton quotidien de France 3 à Marseille (Bouches-du-Rhône). (GERARD JULIEN / AFP)

Les Français sont complexés. "Le public compare l'efficacité de nos séries à l'aune des séries américaines", déplore Thierry Sorel, directeur de la fiction à France 2. "On doit encore travailler pour progresser et arriver à un niveau des séries américaines", confie-t-il à France Info. Une analyse partagée par nombre de producteurs, réalisateurs et scénaristes, réunis jusqu’au samedi 7 juillet à Fontainebleau (Seine-et-Marne) pour la première édition du festival "Séries Séries".

Le faible poids de la fiction française à l'export est révélateur. Son chiffre d'affaires a été d'un peu moins de 20 millions d'euros en 2011, selon l'association des exportateurs de programmes audiovisuels français, TVFI. Les séries françaises peinent à s'exporter : cela dure depuis des années, mais la tendance pourrait bien s’inverser.

Le franchouillard s’exporte

D’abord, il y a les récents succès à l'export des créations de Canal+ : Braquo, Mafiosa, Maison close et Engrenages. Cette dernière est même devenue la série française la plus vendue à l'international : près de 70 pays en ont fait l’acquisition. Elle détrône au passage Sous le soleil, rebaptisé Saint-Tropez, un titre plus évocateur pour les clients étrangers. Netflix, le géant américain de la VOD sur internet, l’a même ajouté à son catalogue. Une première pour une série française.

Plus surprenant, l’engouement pour le made in France traditionnel. L’Espagne, l’Italie et plusieurs pays d’Europe de l’Est ont acheté les 45 épisodes de Joséphine ange gardien, la série de TF1 avec Mimie Mathy. 

Mieux encore, les flops franco-français peuvent y trouver une seconde chance. La saga Rani, version indienne et modernisée d’Angélique marquise des anges, s’est vendue dans 25 pays. Elle s’achète même plus cher qu’Engrenages. Car la fleur bleue peut être diffusée partout en prime time. Une bonne nouvelle pour la série qui, malgré son budget de 14 millions d'euros, ses publicités dans le métro parisien, son casting prestigieux (Jean-Hugues Anglade) et ses paysages exotiques, n’avait pas séduit les téléspectateurs français.

Remake à la french touch

Mais les séries françaises ne s’exportent pas telles quelles, elles s’adaptent. Caméra Café, le programme court développé par Bruno Solo pour M6, a connu des déclinaisons grecque, espagnole, italienne ou flamande. Quant à la version américaine de Mafiosa, elle mettra en scène la pègre cubaine ou mexicaine. Et l'intrigue de Maison close se déroulera en Louisiane ou dans les Etats du Sud.

Les Hommes de l’ombre, la série politique de France 2 avec Nathalie Baye, intéresserait aussi plusieurs pays anglo-saxons pour un remake. Quant à Pigalle la nuit, qui n’a connu qu’une saison sur Canal+, son remake est annoncé outre-Atlantique par le créateur du triomphal Dexter, James Manos Jr.

"Il y a actuellement à Los Angeles un vrai marché du remake. Et beaucoup de producteurs américains, depuis deux ou trois ans, regardent de très près ce qui se passe en France", explique Emmanuelle Bouilhaguet, directrice générale d’Europe Images International (groupe Lagardère), au Parisien.  

Parfois, la télévision française offre même à sa grande sœur américaine ses plus grandes réussites. Modern Family a raflé près d’une dizaine d’Emmy Awards en deux ans. La sitcom familiale est adaptée de Fais pas ci, fais pas ça. En 2008, le géant américain ABC en a acheté les droits, comme l'a raconté Télérama, et l'a copié à l’identique : le quotidien de trois familles raconté à la manière d’un vrai-faux documentaire.

La création française handicapée

La série française a cependant un défaut de taille : elle ne dure pas assez longtemps. Pas assez de saisons, pas assez d’épisodes. "Entre deux saisons, il peut se passer un an et demi, deux ans. C'est trop long ! Les Britanniques, eux, sont capables de faire dix épisodes d'une série par an. C'est plus dynamique", tranche Hervé Hadmar, scénariste et réalisateur de Pigalle la nuit et Signature, sur France Info

"Parfois, je suis obligée d'attendre trois ou quatre ans avant de lancer une série car on n'existe pas sur le marché si l'on n'a pas assez d'épisodes. Pour Sœur Thérèse.com, il n'y a eu en dix ans que 21 épisodes produits. C'est incompréhensible pour les étrangers. Le minimum doit être de 12 épisodes par an", ajoute la distributrice de Newen, Laetitia Recayte, interrogée par l’AFP.

Mutation et industrialisation

Pour espérer rivaliser à l'exportation avec leurs concurrentes américaines, britanniques ou scandinaves, les séries françaises se convertissent aux standards internationaux. Borgia en est un bon exemple. La série est dotée d'un budget important, grâce à une coproduction franco-allemande, et tournée directement en anglais. 

Une recette également appliquée par Odysseus, l’adaptation télévisée du récit d’Homère. Le tournage de cette autre fresque historique vient de s’achever au Portugal. Cette série française, coproduite avec l’Italie, est déjà en prévente dans une dizaine de pays et sera diffusée sur Arte en 2013.

"Les Américains n’aiment pas le doublage, ce n’est pas dans leur mentalité", analyse dans Le Parisien Jacques Ouaniche, le producteur de Maison close. "C’est très difficile de vendre sur le marché américain des séries tournées en français. Ils préfèrent acheter le format et faire un remake", ajoute Nicole Collet, productrice de Mafiosa.

L'écriture "à l'américaine"

TF1 s'est mise aux ateliers d'écriture avec Section de recherches ou RIS, France 3 également avec Plus belle la vie et Un village français. La prochaine série policière de la première chaîne, Le Grand, s’appelle en fait A Cop in Paris. Pour la fabriquer, Lagardère Entertainment a fait appel au scénariste canadien René Balcer, auteur de New York, section criminelle

L'écriture "à l'américaine" bouscule l'équilibre financier de la filière. Elle coûte en effet 30% plus cher qu'une commande à auteur unique, rappelle Le Point, car il s'agit de payer plusieurs scénaristes écrivant sous la houlette d'un "scénariste-cadre", le fameux "showrunner". 

Le CNC a donc présenté en avril un plan d’action, détaillé par L'Express, qui rejoint les positions défendues par le rapport Chevalier sur la crise de la fiction française, remis un an plus tôt au ministre de la Culture. Il prévoit notamment d'encourager la phase d'écriture et de développement de séries, en renforçant le budget consacré à l'aide aux pilotes. Luxe, gastronomie… Le savoir-faire français dans ces domaines est mondialement réputé. Les séries télé feront peut-être un jour partie de la liste.

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