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Pourquoi appelle-t-on si souvent les femmes de pouvoir par leur prénom (et pas les hommes) ?

Ministres, journalistes, dirigeantes d'entreprises… Aucun milieu n'échappe à cette habitude d'effacer le nom de famille des femmes, aussi puissantes soient-elles. Explications.

Article rédigé par Camille Caldini
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
L'animateur Laurent Ruquier et la journaliste Léa Salamé, pendant l'enregistrement de l'émission "Vivement dimanche", de France 2, le 4 septembre 2014. (MAXPPP)

Cherchez l'erreur dans ce titre, en une du Parisien, lundi 30 mai : "Vanessa remplace Léa chez Ruquier". Les chroniqueuses Léa Salamé et Vanessa Burggraf ont mystérieusement perdu leur nom de famille, tandis que l'animateur Laurent Ruquier conserve son patronyme. Une maladresse ? Non, l'habitude, dans les médias notamment, de nommer les femmes, politiques, journalistes, et plus généralement médiatiques, par leur seul prénom. Comment expliquer cette tendance persistante ?

Par sexisme ordinaire

Martine (Aubry), Najat (Vallaud-Belkacem), Ségolène (Royal)… Les noms de familles des femmes politiques tendent à disparaître, dans nombre de médias. Sandrine Rousseau, porte-parole d'EELV, appelle cela le "paternalisme bienveillant". Dans un entretien à Libération, l'auteure d'un Manuel de survie à destination des femmes en politique (éd. Les Petits matins), explique qu'appeler une femme politique par son prénom s'inscrit dans cette forme de sexisme qui consiste à complimenter le physique, à juger le style vestimentaire ou à préciser le nombre d'enfants et la situation conjugale des femmes avant de s'intéresser à leur CV. 

Les femmes de médias n'y échappent pas. Il suffit de lire le court portrait de Vanessa Burggraf dans Le Parisien pour le constater. Le quotidien rappelle d'abord que la chroniqueuse est "maman de deux filles", avant de préciser qu'elle "est très pointue sur l'actualité internationale" et de dérouler son parcours, "après hypokhâgne, khâgne, un DEA de lettres et un DESS de sciences politiques", pourtant plus utile pour exercer son métier de journaliste. Rares sont les hommes de médias dont on précise qu'ils sont "papa".

Ce paternalisme ne concerne pas seulement les femmes jeunes. En 2015, Le Figaro annonçait l'entrée des résistantes Geneviève de Gaulle Anthonioz et Germaine Tillion en titrant : "Geneviève et Germaine, au nom des oubliées de la Résistance." Ces deux figures féminines de l'histoire de France ont pourtant été panthéonisées en même temps que Jean Zay et Pierre Brossolette, avec leurs noms de famille, eux.

S'ajoute au sexisme un traitement particulier pour les noms arabes. Karima Delli, députée EELV au Parlement européen, le faisait remarquer au Figaro Madame, l'an dernier : "Quand il y a une consonance plutôt maghrébine, on a l’impression que ça devient la règle." Une différence de traitement qu'a également relevée la journaliste de Mediapart Faïza Zerouala.

Pour décrédibiliser les femmes de pouvoir

Florence Montreynaud, fondatrice de l’association féministe Les Chiennes de garde, estime que la France, plus que d’autres pays, "a du mal à accepter l’idée de femmes puissantes". Citée par The Independant (en anglais), elle prend en exemple "Ségo" Royal, mais aussi Anne Lauvergeon, ex-patronne d'Areva, surnommée "Atomic Anne" à longueur d'articles. Interrogée par Le Figaro Madame, l'ancienne ministre Roselyne Bachelot considère qu'appeler la ministre de l'Education "Najat", en effaçant son nom, Vallaud-Belkacem, n'a "qu'un but, celui de décrédibiliser la ministre".

En 2015, Slate.fr s'est d'ailleurs amusé à recréer des unes de journaux avec les prénoms des hommes politiques au lieu de leur nom. "Juppé" devient "Alain", "Cameron" devient "David", "Fillon" devient "François". Immédiatement, la familiarité de cette pratique saute aux yeux.

Parce que certaines l'ont bien cherché

Certaines femmes politiques en ont fait une arme. Lorsque leur nom de famille est d'abord connu comme celui de leur époux, par exemple, comme Hillary Clinton, dont la campagne pour la présidentielle américaine s'intitule "Hillary for America". Manière d'affirmer son identité propre. "Une recherche en ligne du mot 'Hillary' vous emmène vers des articles consacrés à la campagne, alors que 'Clinton' mène à des informations sur le couple", explique le site d'information politique McClatchy (en anglais) 

C'est également une constante au Front national, où les membres du clan Le Pen n'ont que leur prénom pour se distinguer les uns des autres. "Rassemblement bleu Marine", vague bleu Marine"… Les soutiens de la présidente du FN sont d'ailleurs des "marinistes". Un raccourci utile dans la stratégie de "dédiabolisation", car "l’usage du prénom qui 'minorise' (au sens de rendre mineures) les femmes politiques, ici humanise (au sens de rendre humaine par opposition à son père)", analyse la politiste Frédérique Matonti dans un article consacré aux "représentations médiatiques de Marine Le Pen".

En Allemagne, la chancelière Angela Merkel connaît la chanson. Lors de la campagne pour son troisième mandat, elle a carrément profité de son surnom, "Angie", pour adoucir son image stricte de dirigeante austère.

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